Justice fiscale: les multinationales passeront-elles enfin à la caisse?
Le 1er juillet dernier, 130 pays – représentant 90% du PIB mondial – ont ratifié un accord visant à soumettre les multinationales à un impôt minimum de 15% et à le moduler selon les bénéfices réalisés dans chaque pays et non plus en fonction de leur présence physique sur un territoire. Sont ainsi concernées les entreprises dont le chiffre d’affaires mondial excède 20 milliards d’euros et dont les bénéfices sont supérieurs à 10%. On retrouve notamment parmi celles-ci les GAFAM, étant jusqu’ici parvenues, à coup «d’optimisation fiscale», à ne s’acquitter que d’impôts dérisoires. De plus, les activités des grands groupes pourront être segmentées de manière à taxer celles qui génèrent de tels bénéfices – indépendamment du reste de la société –, comme les activités dématérialisées de type «cloud». Selon l’Organisation de développement et de coopération économique (OCDE), ce socle minimum permettrait de percevoir plus de 150 milliards de dollars supplémentaires par an.
Si l’annonce est belle, l’envers du décor laisse pourtant à désirer. Il est tout d’abord à noter que les États-Unis, dont le président Joe Biden a remis le projet sur la table, étaient bien plus courageux en souhaitant instaurer une taxation minimum de 21%. Jugeant ce taux trop dangereux pour le commerce et craignant qu’il ne dissuade de nombreux États de l’appliquer, l’Europe a tiré ces ambitions vers le bas. Chaque pays aura toutefois la possibilité d’appliquer une taxation plus élevée. Difficile également d’ignorer que cet accord profiterait essentiellement aux États du G7 qui, selon l’ONG Oxfam, rafleraient à eux seuls environ 60% des recettes fiscales engendrées par ce dernier. En effet, bien qu’augmentant la part perçue par les pays à faibles revenus, cet accord privilégierait les marchés de consommation au détriment des pays de production… Enfin, il n’est pas à exclure que cette taxation finisse tout bonnement par être facturée aux consommateurs. Rappelons qu’en 2019, lorsque la France a créé la «taxe GAFA», Amazon a utilisé ce prétexte pour augmenter ses commissions de 3%, la répercutant ainsi par effet de ruissellement sur les particuliers.
Cet accord, sans doute imparfait, permettrait toutefois de réduire les disparités de traitement entre les multinationales et les PME. En effet, selon le Parlement européen, le taux moyen d’imposition sur les bénéfices des premières atteindrait seulement 9,5% à l’heure actuelle, contre 23% pour les entreprises traditionnelles. Et bien qu’il puisse encore varier d’un pays à l’autre, cet accord serait avant tout le symbole d’un système socialement injuste qui se remet en question.
Mais ne crions pas «demi-victoire» trop vite! Une telle harmonisation fiscale doit en effet faire l’unanimité parmi les 27 États membres pour être adoptée. Contre toute attente, le Luxembourg s’est montré plutôt enthousiaste face à cette proposition, Pierre Gramegna affirmant qu’elle ne devrait «pas avoir d’impact sur l’attractivité du pays, les investisseurs étant davantage sensibles au triple A, à la prévisibilité et à la croissance économique qu’au taux d’imposition». On ne peut pas en dire autant pour la Hongrie, l’Estonie et l’Irlande qui freinent pour l’heure le projet. «The Guardian» a pourtant révélé récemment qu’une filiale de Microsoft générant près de 325 milliards d’euros de bénéfices par an ne payait que des impôts dérisoires en Irlande. Dans ce contexte, difficile d’imaginer les arguments que le pays pourrait avancer pour ne pas réparer les injustices fiscales qui profitent aux multinationales…
Dans un monde souffrant économiquement d’une pandémie qui a rendu les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, les sommes promises par cette harmonisation fiscale pourraient constituer un véritable enjeu de relance et participer ainsi à réduire ces inégalités. Les 130 pays participant aux négociations ont jusqu’au mois d’octobre pour finaliser les travaux techniques permettant la mise en œuvre de cet accord en 2023, soit autant de temps laissé à l’Europe pour régler ses conflits internes. Ses beaux discours font aujourd’hui pâle figure face aux ambitions des États-Unis dont l’ultra-libéralisme semble s’être tempéré avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Nous manquait-il un leader américain fort pour à nouveau faire preuve de courage politique?