Génération climat: un plan pour répondre au «défi du siècle»

L’horizon 2030, première balise sur le long chemin qui doit mener à un avenir meilleur sur le Vieux Continent. A cette échéance, les États membres de l’UE auront dû mettre en œuvre les différentes mesures de leur «plan national intégré en matière d’énergie et de climat» (PNEC) respectif. Un document qui fait la synthèse des outils intégrés de planification à moyen terme que sont tenus de préparer les États membres pour réaliser les objectifs qui ont été définis par l’Union en matière d’énergie et de climat. Présentation de la copie luxembourgeoise avec Carole Dieschbourg et Claude Turmes, respectivement ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable et ministre de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire.

 

Le PNEC est constitué de plus de 200 pages. Pouvez-vous revenir sur ses principales mesures ainsi que sur les étapes de sa mise en œuvre?

CD: Ce plan constitue une feuille de route pour les dix années à venir. Il contient différents types de dispositions qui doivent permettre aux citoyens de choisir une voie respectueuse de l’environnement et d’assurer une meilleure qualité de vie aux générations futures. Ces mesures sont aussi bien législatives, en lien avec la loi climat, que de nature à soutenir financièrement la transition, via des programmes «Klima-Bonus» dans tous les secteurs. Certaines initiatives sont déjà mises en œuvre, comme la stratégie Modu 2.0 ou la gratuité des transports publics, alors que d’autres doivent encore naître, comme la stratégie sur la réduction des émissions de méthane. La mise en œuvre du plan dépend des bases sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Nous avons déjà réalisé d’importants progrès au cours des dernières années, que ce soit au niveau législatif ou stratégique. La législation européenne est basée sur des cycles de dix ans mais nous travaillons également dans le cadre de l’accord de Paris qui, lui, est rythmé par des cycles de cinq ans. Donc, si le PNEC court jusqu’à l’horizon 2030, nous nous réservons le droit de rehausser nos ambitions en cours de route. Notre loi climat prévoit en effet un principe de progression qui rend ce document vivant.

  

On souligne souvent l’ambition du PNEC luxembourgeois en termes de politique énergétique. Quels sont vos objectifs?

CT: La meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée. C’est pourquoi la première de nos politiques concerne l’efficacité énergétique. Nous avons pour objectif de réduire la demande de 40 à 44% par rapport à l’évolution qui aurait eu lieu sans intervention. Pour l’atteindre, nous allons créer une panoplie d’instruments destinés principalement aux grandes productions industrielles mais aussi aux PME. Nous travaillons par exemple sur un outil de derisking financier pour encourager l’investissement. L’autre grand chantier concerne les bâtisses. Nous disposons aujourd’hui des meilleurs standards de rénovation des habitations à l’échelle européenne et sommes en train d’élaborer une nouvelle norme aussi ambitieuse pour les bâtiments fonctionnels. De plus, nous revoyons aujourd’hui complètement notre système d’aides afin d’en augmenter le niveau mais aussi pour les traiter de façon moins bureaucratique. De l’autre côté, nous misons sur les énergies renouvelables. En avril 2019, nous avons déclenché une offensive solaire en introduisant une tarification plus avantageuse qui a conduit à l’installation de 20 MW de panneaux solaires par les citoyens, mais aussi par les coopératives énergétiques. Actuellement, 100 grands investissements solaires citoyens sont en cours de réalisation. Depuis deux ou trois ans, nous investissons fortement dans l’éolien également.

 

Vos ministères ont annoncé «une panoplie d’innovations» pour le climat, quelles sont-elles?

CD: Le passage d’un monde polluant à un monde propre nécessite l’application intelligente de nouvelles technologies à divers niveaux. Il nous faudra repenser nos villes et réinventer nos façons de vivre avec de nouveaux concepts. Pour cela, nous essayons de marier les nouvelles technologies et les nouvelles connaissances grâce aux données, avec un vrai changement de comportement sur le terrain. Il nous faudra délaisser nos anciennes habitudes, c’est pourquoi nous travaillons par exemple avec des sociologues de l’Université du Luxembourg sur le design de cette transition sociétale. D’autre part, la recherche luxembourgeoise nous aide aussi à développer des solutions technologiques et éco-innovantes. Avec le LIST, nous participons par exemple au défi des «mille solutions» lancé par la fondation de Bertrand Picard en réalisant le screening des candidats startups luxembourgeois et de leurs solutions.

CT: Au-delà de la recherche sur les nouveaux modes de vie, il y a bien sûr l’innovation économique et financière. Notre but est de faire du Luxembourg un territoire des solutions climat en associant des marchés aux standards élevés, la recherche et développement, et le monde des finances à la transition. Le Luxembourg a l’ambition d’être le pays où des idées climatiques porteuses pourront se développer économiquement.

 

Ce plan traduit la mise en œuvre des objectifs de l’UE à l’échelle nationale. Vous êtes-vous inspirés de certaines mesures prises par d’autres États membres? À l’inverse, le Luxembourg a-t-il proposé des initiatives uniques ou originales?

CD: Chaque État membre est en train de déterminer le design de sa transition, même s’il y a des éléments assez similaires. Nous travaillons ensemble, regardons ce qui fonctionne ailleurs et ce qui ne fonctionne pas. Mais nous n’avons pas l’ambition de n’être qu’observateurs: nous essayons de rester à la pointe du développement et d’inspirer les autres via certaines de nos initiatives. C’est notamment le cas avec le Pacte Climat qui implique les 102 communes du pays depuis 2012 et qui semble avoir fait germer l’idée d’un «Climate Pact» de la Commission européenne pour les citoyens au niveau européen. Les autres États membres nous guettent aussi au niveau des finances vertes, par exemple. Ils soulignent le caractère exceptionnel de la collaboration qui s’est installée entre nos ministères des Finances, de l’Environnement et de l’Énergie et qui a permis de lancer pas mal de projets de derisking (mesures étatiques pour faciliter l’investissement dans l’éco-innovation), notamment. Beaucoup d’autres pays souhaitent maintenant suivre l’exemple pour accélérer les investissements privés dans la lutte contre le changement climatique. Il est vrai qu’au Luxembourg nous avons très tôt pris conscience de la responsabilité très spéciale dont nous dotait notre place financière. Proportionnellement, notre impact peut être bien plus grand que la taille de notre pays. C’est pourquoi nous voulons donner les bonnes impulsions dans tous les secteurs.

CT: L’énergie renouvelable est un domaine dans lequel nous coopérons beaucoup avec les autres États membres, notamment avec la Lituanie et l’Estonie. À terme, nous souhaitons aussi collaborer sur d’importants projets solaires avec le Portugal ou avec des pays de la mer du Nord sur de grands projets éoliens en mer. L’autre secteur dans lequel le Luxembourg se distingue est bien évidemment celui de la mobilité. L’instauration de la gratuité des transports publics est une mesure que nous pouvons qualifier de révolutionnaire. Mais, au-delà, nous sommes aussi le pays du monde qui investit le plus massivement, par habitant, dans les infrastructures de transport public. Quant à notre réseau de pistes cyclables, il sera bientôt inégalé. Les quartiers sans voiture qui commencent à émerger sont autant de signaux qui démontrent que la mobilité de demain sera douce.

 

Il est prévu d’introduire un prix minimal du carbone. Quels seront ses impacts sur l’activité économique ou sur le quotidien des citoyens?

CT: Il faut que cesse cette aberration économique qui veut que les solutions polluantes soient moins chères que les solutions écologiques. C’est pour cette raison que nous introduisons un prix du carbone, d’abord très modéré mais qui sera grandissant. Il faut considérer le prix du CO2 ensemble avec les revenus qui seront générés et qui serviront, pour la moitié, à subventionner des alternatives plus vertes. L’un dans l’autre, les investissements écoresponsables deviendront moins coûteux que les investissements polluants. C’est un moyen d’accélérer la transition écologique.

CD: C’est l’introduction du principe du pollueur-payeur. Le prix sera dynamique pour laisser le temps à la transition. Il faut, d’une part, que nous puissions proposer des alternatives et, d’autre part, que le basculement devienne graduellement plus intéressant. Soulignons aussi que la seconde moitié des revenus engendrés par le prix du carbone permettra de soutenir les plus vulnérables dans cette transition.

 

Le PNEC comporte en effet un volet «justice sociale». Quelles sont les mesures envisagées?

CT: Il ne faut pas mélanger les inégalités croissantes et le changement climatique, même si ce sont deux batailles importantes pour nos sociétés. Les principaux efforts pour réduire les inégalités doivent être entrepris dans le cadre de la réforme fiscale. Si l’équité sociale est beaucoup plus large que ce que nous pouvons faire au niveau de la politique climatique, le PNEC prévoit tout de même la création de programmes qui permettront d’aider davantage les citoyens qui ont le moins de revenus.

 

Un mot pour conclure?

CT: Il faut comprendre que nous nous attaquons à un des plus grands défis du siècle. Nous sommes très enthousiasmés par les jeunes qui sortent dans les rues et ravis de constater que le changement climatique est passé d’une discussion d’experts à un débat de société. Cette lame de fond est très encourageante. C’est donc à nous de saisir ce moment historique pour aider chacune et chacun à aller encore plus vite vers un monde où l’on protège l’environnement. Face à l’urgence climatique, il faut que nous soyons performants.

CD: Tout est dit. Ce qui m’impressionne le plus c’est que, parti de quelques pionniers, le débat investit désormais la société entière. Je considère que les jeunes y ont beaucoup contribué. Je crois que nous sommes au cœur du changement. Toute l’Europe est prête à bouger. Nous devons maintenant veiller à maintenir cette dynamique très positive.

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