La politique d’intégration au Luxembourg : Un instrument en manque d’évaluation !

Dans la plupart des pays industrialisés, les immigrés et les réfugiés font partie des catégories les plus vulnérables de la population. Leur intégration économique, sociale, politique et même culturelle est devenue un sujet majeur du débat public. Il n’est donc pas surprenant que les gouvernements européens aient conçu et mis en œuvre des politiques visant à faciliter l’accueil et l’intégration des immigrés, à assurer l’égalité des chances et ainsi à promouvoir la cohésion sociale. Ces questions se posent avec une acuité toute particulière au Luxembourg, où la moitié de la population est composée d’immigrés issus de près de 170 pays d’origine. Dans un contexte aussi international et multiculturel, les questions de l’intégration et du vivre ensemble sont cruciales et concernent autant les nationaux que les immigrés.

Depuis 2008, le pays propose un Contrat d’Accueil et d’Intégration aux immigrés, accompagné de deux Plans d’Action Nationaux (PAN) donnant lieu à de nombreuses actions menées de manière décentralisée par les autorités locales, les associations et les plateformes d’échange. Alors qu’une motion a récemment été adoptée par la Chambre des Députés en vue d’un projet de réforme de cette politique, l’efficacité des mesures existantes n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation ou d’un monitoring systématique. A l’ère des evidence-based policies, le moment semble donc opportun pour la mise en place d’une analyse rigoureuse de l’impact des programmes d’intégration, et pour identifier ce qui peut être amélioré et réorganisé. La Policy Brief du LISER[1] motive cette position et explique les difficultés à surmonter.

L’intégration des ressortissants des pays tiers est un problème sérieux. On pourrait penser qu’avec l’un des revenus par habitant les plus élevés au monde, la question de l’intégration est mineure au Luxembourg. Le dynamisme du marché du travail, dominé par un secteur financier fort et de nombreuses start-ups internationales, attire de nombreux travailleurs hautement qualifiés et génère aussi de nombreux emplois peu qualifiés dans les services. Par rapport au citoyen moyen de l’UE (incluant les non-migrants), l’immigré moyen au Luxembourg se caractérise par un revenu nettement plus élevé (31.280 euros contre 17.875 euros pour l’UE), par un taux d’emploi plus élevé (71,4 % contre une moyenne de 69,0 % pour l’UE), et par une probabilité plus faible de vivre dans un logement surpeuplé (11,7 % contre une moyenne de 13,0 % pour l’UE). Néanmoins, ces chiffrent son peu représentatifs de la situation des ressortissants de pays tiers (non européens) et en particulier, des immigrés peu qualifiés. Que ce soit en termes de taux de pauvreté, de qualité du logement et de revenu médian, l’écart entre les ressortissants des pays tiers et les natifs est plus élevé au Luxembourg que dans le reste de l’UE, ce qui suggère clairement que l’intégration des minorités est un problème sérieux.

L’évaluation n’est pas aisée à mettre en place. L’une des priorités du PAN 2018 est de mettre en place un système de suivi et d’évaluation de sa politique d’intégration. Cette tâche nécessite une volonté et un engagement politique fort, et s’avère difficile tant la politique d’intégration luxembourgeoise est particulière et complexe. Elle est particulière dans la mesure où, contrairement aux pays voisins, les deux principaux ingrédients de la politique, le Contrat d’Accueil et d’Intégration et le Plan Communal d’Intégration (PCI), sont organisés sur base d’une participation volontaire pour les migrants réguliers. Seul le Parcours d’Intégration Accompagné (PIA) est imposé aux demandeurs de protection internationale. Il en découle que de nombreuses caractéristiques des migrants (telles que la motivation, les aptitudes cognitives, les liens avec la diaspora, etc.) affectent à la fois leur volonté à s’engager dans le PCI et leur intégration, indépendamment de leur participation au programme. Identifier l’impact causal du PCI sur l’intégration nécessite donc une approche méthodologique originale et rigoureuse. De surcroît, la politique d’intégration du Luxembourg est complexe dans la mesure où elle implique une multiplicité d’acteurs. Cette multiplicité complique fortement la mesure et la mise en perspective des actions menées, ou encore la création d’un inventaire des initiatives majeures prises en faveur des immigrés à différents échelons de pouvoir. Des efforts ont été entrepris pour harmoniser l’information, mais pas dans le but d’une évaluation de leur efficacité.

Nécessité d’un cadre d’évaluation expérimental. L’étalon-or parmi les méthodes d’évaluation des politiques requiert de mener des expérimentations contrôlées, qui consistent à soumettre certains immigrés à une mesure politique (groupe de traitement), puis à comparer leurs performances d’intégration quelque temps plus tard à celles d’autres immigrés qui possédaient des caractéristiques initiales similaires mais qui n‘ont pas été exposés à cette mesure (groupes de contrôle). Ces techniques posent des enjeux éthiques dans la mesure où elles impliquent que certains bénéficient du programme alors que d’autres en sont exclus. La recherche récente en sciences sociales montre toutefois qu’il existe de nombreux moyens de contourner ces problèmes. La Policy Brief fournit deux exemples d’intervention expérimentale qui pourraient être mise en œuvre au Luxembourg. Le premier, qualifié de Encouragement Design, porte sur le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI). Il consisterait à influencer la participation volontaire au CAI de manière expérimentale, en offrant davantage d’informations sur les bénéfices du CAI à un sous-groupe de nouveaux arrivants tirés au hasard. L’effet de cette intervention exogène sur la participation est utilisé dans une deuxième phase pour identifier l’effet causal du CAI sur l’intégration. Le second consiste à offrir la naturalisation à un quota de candidats respectant certaines conditions par le biais d’un tirage au sort (parallèle à la voie normale). Ensuite, en vue de mesurer l’effet causal de l’acquisition de la nationalité sur l’intégration, les performances (en matière de maîtrise des langues, de participation au marché du travail et à la vie sociale) des candidats sélectionnés seraient comparées à celles des candidats non retenus à différents horizons temporels. D’autres approches expérimentales du même genre peuvent être imaginées pour cerner l’effet ex-post du PIA ou du PCI, ou pour anticiper l’efficacité de possibles réformes. Les méthodes développées dans la communauté scientifique n’ont jamais été aussi alignées avec les préoccupations politiques… Il reste à convaincre les décideurs de coordonner les deux approches.

 

[1] Docquier, F., & Verheyden, B. (2021, Feb 18). In Luxembourg, immigrants’ integration is everyone’s business… So what? Policy Brief n°2021-01. LISER.

 

Communiqué par le LISER

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