La propriété intellectuelle, un enjeu commercial

En ce début d’année 2021, deux sujets font l’actualité en matière de propriété intellectuelle. Que ce soit l’adoption rapide et inattendue d’un accord dans le cadre du Brexit ou la demande d’assouplissement des droits en matière de propriété intellectuelle quant au vaccin contre le Covid-19, ces thématiques retiennent l’attention de tout le secteur. Luca Polverari, gérant et partenaire du cabinet luxembourgeois Marks & Clerk, nous éclaire sur ces problématiques.

 

Quelles sont les conséquences de l’accord provisoire du Brexit en matière de propriété intellectuelle (PI)?

Notre relation commerciale avec le Royaume-Uni est importante et un Brexit dur nous aurait obligé à reprendre cette relation de zéro, voire à subir une double imposition, nous avons au moins évité cette catastrophe! Cet accord – très volumineux – a été trouvé dans l’urgence. Nous devrons en examiner les détails et étudier son impact sur le commerce au fur et à mesure des prochains mois.

Les conséquences du Brexit se feront, à mon avis, davantage ressentir au Royaume-Uni; les chaines d’approvisionnement qui passaient souvent par le territoire européen seront plus longues et risquent de créer un accès plus difficile à certaines denrées. Les récents embouteillages de camion à l’entrée du tunnel sous la manche en sont un bon exemple. Certaines sociétés, financières et d’assurance, par exemple, ont décidé de déplacer leur centrale européenne du Royaume-Uni vers l’Europe pour un meilleur accès au marché; il en va de même pour certains centres de recherche de sociétés américaines ou asiatiques. Le Luxembourg a su attirer certains de ces acteurs, mais la lutte est rude avec les autres places en Europe.

 

Quel est son impact sur vos activités?

L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), gérant les marques et dessins européens, a dès le début des négociations annoncé que les conseillers anglais perdraient leurs autorisations en Europe au 1er janvier 2021. En ce qui concerne les brevets, l’Office de PI du Royaume-Uni a, comme attendu, réduit l’accès à ses services aux conseillers anglais de la même manière que les Offices nationaux ont fermé la porte aux Britanniques, comme le Royaume-Uni n’est plus sujet au droit du travail européen. Beaucoup de sociétés anglaises ont ouvert une succursale dans un pays européen pour avoir accès, depuis celle-ci, aux 27 pays du marché de l’UE. En ce qui nous concerne, nous sommes aussi enregistrés au Royaume-Uni, et pouvons de ce fait continuer à agir en Angleterre. Nous avons fait de même avec la maison mère anglaise, en enregistrant une succursale luxembourgeoise pour assurer la gestion des marques et dessins.

Nous avions informé nos clients qu’au 1er janvier plus aucune nouvelle marque européenne ne couvrirait le Royaume-Uni et qu’il faudrait donc procéder à un double dépôt. Ainsi, pour agir en Angleterre nous devrions passer par un agent local, mais dans notre cas, c’est bien plus simple, puisque nous sommes aussi établis en Angleterre.

 

Comment expliquer la rapidité avec laquelle le vaccin contre le Covid-19 a été trouvé? 

Comme l’accord sur le Brexit, le vaccin a très rapidement été mis au point grâce à différents facteurs comme des investissements massifs dès le début de la pandémie, l’application de nouvelles méthodes ainsi que l’accélération des processus de test. L’EMA, certainement l’une des plus strictes et des meilleures institutions de contrôle de médicaments au monde, a aussi accéléré les procédures administratives afin d’autoriser la mise sur le marché des différents vaccins. Je suis néanmoins convaincu que les procédures ont bien été suivies et que le vaccin n’aurait pas été autorisé s’il avait constitué un risque pour la santé.

La stratégie de l’UE d’investir dans différents vaccins avant leur autorisation a été critiquée. Or, cette décision a été prise avant de savoir quel vaccin serait autorisé en premier par l’EMA. A cette époque, négocier avec plusieurs partenaires potentiels était donc, à mon humble avis, la meilleure solution. Pour une fois, la Commission européenne a agi pour tous ses États membre afin de garantir un accès et une distribution équitable. Sans être une solution miracle, ce dernier nous aidera à sortir de la crise et à simplifier un retour à une normalité, qui sera tout de même altérée par cette récente expérience…

En fin d’année 2020, un appel a été lancé par l’Inde et l’Afrique du Sud pour assouplir les droits de propriété intellectuelle concernant les vaccins, médicaments et équipements médicaux. Ce dernier a été refusé par l’Europe pour plusieurs raisons. La propriété intellectuelle aide au développement de la recherche car elle garantit aux instituts un retour sur leur investissement grâce au monopole de revente du vaccin sur une certaine période. En assouplissant ces droits, on diminuerait donc également les investissements réalisés au départ et ainsi les probabilités de trouver rapidement un vaccin.

De plus, le danger est de créer un précédent qui pourrait toucher toutes les recherches médicamenteuses. Les sociétés produisant des médicaments génériques tentent déjà constamment d’invalider des brevets afin de pouvoir revendre le même principe actif à moindre prix. Or, ces producteurs ne doivent pas rentabiliser un processus de recherche, mais uniquement le développement d’un produit conçu ailleurs, ce qui est forcément moins coûteux… Je pense donc que plutôt que d’assouplir les droits de propriété intellectuelle, les gouvernements de pays développés devraient aider financièrement ceux du tiers-monde à acquérir le vaccin.

  

Quels sont vos projets pour l’année 2021?

Nous avons beaucoup de projets en interne, comme le développement du pôle européen marques et dessins à Luxembourg. Nous voudrions par ailleurs recruter un assistant en marketing pour augmenter nos parts sur le marché.

Comme une majorité d’acteurs de la Place, nous sommes aussi en train de revoir nos processus informatiques internes et externes. Nous voulons ainsi simplifier nos workflows afin de les rendre plus sécurisés, plus fiables et plus efficaces. L’année sera donc chargée…

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