La recherche publique à l’heure d’une pandémie mondiale

LISER

La mission du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research est d’observer, analyser et anticiper les mutations sociétales. Ses chercheurs étudient et décortiquent les fonctionnements, les disfonctionnements et les dynamiques de la société afin d’en dégager une compréhension profonde et précise. L’enjeu est de fournir les éléments d’aujourd’hui et les pistes de demain pour l’élaboration de politiques publiques plus efficaces, plus durables et plus inclusives. Aline Muller, directrice du LISER, partage sa vision de l’avenir de la recherche publique.

 

La crise du Covid-19 a-t-elle changé la vision que l’on porte sur la recherche publique?

La vision n’a pas fondamentalement changé mais, en cette heure grave, nos missions prennent toute leur ampleur, tout leur sens en nous rappelant nos responsabilités au service des citoyens. Cette crise questionne sur son endogénie et interroge les modes de fonctionnement de notre société, de notre économie, de son appareil productif et ébranle jusqu’à nos valeurs fondamentales. Le rôle de la recherche publique est d’accompagner la société dans ses réflexions et ses transitions afin de lui permettre de sortir de cette crise par le haut. Je suis convaincue que tout particulièrement le Luxembourg, grâce aux liens qui s’y sont tissés entre la société et la recherche, peut devenir un berceau, au cœur de l’Europe, pour des transformations sociétales innovantes et durables. Le LISER travaillant sur des thématiques fondamentales telles que la question des inégalités est aux côtés de la société. A travers une recherche scientifique de pointe, pertinente pour les enjeux à venir, nous nous engageons plus que jamais à informer au mieux la société et les politiques publiques.

 

Quel rôle joue le LISER dans la crise actuelle?

Dès le mois de mars, nous avons réorganisé notre travail. Très vite nous nous sommes rendu compte que le manque de recul et d’information rendait tout exercice de prévision difficile. Nos chercheurs ont alors retroussé leurs manches et ont uni leurs forces et nous avons intégré la Task Force pour la Coordination du Secteur de la Recherche Publique dans le Contexte de la pandémie Covid-19. Le Work Package 7 que nous coordonnons toujours vise à développer et rassembler les connaissances sur les implications socio-économiques de la crise et à proposer des plans d’actions pour réduire les dommages sociaux et économiques.

Dès qu’il a été question de confiner la population, nous avons été confrontés à des débats qui opposaient les dimensions sanitaires aux dimensions économiques. Pour sortir de cette opposition, nous avons créé dès le mois de mai un modèle unique en Europe, qui intègre les deux dimensions et leurs dynamiques. Ce modèle épidémionomique modélise simultanément l’évolution sanitaire et économique de la crise liée au Covid-19. Dans la mesure où le Luxembourg est une économie ouverte et que notre modèle intègre également les travailleurs frontaliers, il a suscité un vif intérêt de nombreux acteurs au niveau international.

Son troisième recalibrage vient d’être réalisé et apporte de nombreux enseignements. A travers ce modèle et les micro-simulations qui en découlent, il nous est possible de simuler les effets des chocs qui frappent les populations de salariés des différents secteurs, prévoir les pertes d’emplois, les pressions à la baisse de salaires ainsi que les inégalités de revenus. Les résultats montrent qu’au Luxembourg, les mécanismes stabilisateurs fonctionnent plutôt bien et ont permis d’éviter un accroissement des inégalités qui aurait pu être dramatique. En revanche quelle que soit l’ampleur du choc économique de la seconde vague, nous savons déjà que le rebond économique sera plus difficile. Le choix du gouvernement d’éviter autant que possible les chocs brusques et les mesures à court terme fait sens à la lumière de nos analyses même s’il ne permettra pas d’éviter une accélération des polarisations sur le marché du travail par exemple.

 

Votre sentiment personnel pour 2021 est-il plutôt optimiste ou pessimiste?

Une crise est – et doit toujours être – une opportunité de se réinventer. Et nous pouvons en sortir en faisant grandir notre modèle sociétal et notre appareil productif sur base de nos valeurs – quitte à construire un engagement collectif pour enrichir et faire évoluer ces valeurs. Cette crise a mis en évidence l’importance de métiers, souvent sous-estimés, de valeurs, de liens au sein de la société. L’intérêt général et la chose publique sont revenus au centre de notre société.

 

On entend souvent que la digitalisation des entreprises a gagné cinq ans en l’espace de six mois; nous dirigeons-nous vers une société du télétravail?

Le télétravail s’est généralisé là où c’était possible. Mais ce télétravail n’a pu, surtout dans la première phase, être préparé. Il a très souvent été subi. Nos enquêtes ont d’ailleurs très vite mis en évidence les limites du travail à domicile tant pour les employés que pour les employeurs. Certes la digitalisation qui est liée au télétravail s’est indéniablement accélérée mais là aussi l’urgence aujourd’hui est de nous approprier ces nouveaux outils au sein de nos organisations. Tant les employés que les employeurs doivent désormais travailler de concert pour reconstruire notre organisation du travail.

 

Quel avenir pour le LISER?

Nous travaillons actuellement à notre avenir et notre vision à l’horizon 2030. Ces travaux sont bien évidemment marqués par cette crise qui nous interroge non seulement sur notre capacité à apporter des réponses aux besoins d’une société en transition mais aussi sur notre manière d’interagir avec la société, de construire avec elle les innovations qu’elle adoptera et intégrera. Si ces réflexions passent indéniablement par une analyse interdisciplinaire des enjeux, elle pose aussi des questions de méthode et de fonctionnement.

La pertinence du LISER en 2030 dépendra de notre crédibilité et de notre capacité à travailler en toute clarté et transparence. Nous avons déjà pris un engagement extrêmement fort à travers toute notre organisation pour la transparence de nos traitements de données, le partage de nos sources, de nos modélisations et de nos méthodologies ainsi que pour le respect le plus strict de la protection des données personnelles.  Seul un système transparent et robuste pour le traitement des données pourra construire la confiance des citoyens afin que les informations que leurs données contiennent puissent être exploitées dans l’intérêt général. Nous n’y parviendrons qu’à travers la construction de moyens sûrs, transparents et fiables.

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