Sur la nécessaire résilience de notre économie

Résilience: la capacité à surmonter les perturbations. Le terme est sur toutes les lèvres depuis ce mois de mars. Nul étonnement de le voir s’inviter désormais dans l’offre de programmes de performance de Luxinnovation. Car s’il est une faculté à développer en 2020 – et sans doute au-delà –, c’est bien celle-ci. En souscrivant au programme Fit 4 Resilience, les entreprises cherchent à approfondir leur compréhension des défis et des opportunités qui résultent de la crise, avec l’espoir de s’en trouver grandies, plus fortes, plus performantes. C’est sans pessimisme et avec conviction, parce qu’elle connaît le potentiel d’innovation qui accompagne toute crise, que Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation, nous explique pourquoi il faut pouvoir se réinventer pour perdurer.

 

«Où d’autres voient des problèmes, nous voyons des solutions». Cette phrase résonne un peu comme un slogan chez Luxinnovation. Ressentez-vous un accroissement de vos responsabilités à l’heure où la survie de nombreuses entreprises dépend de l’innovation?

Nous avons vraiment ressenti un besoin d’accompagnement plus pressant de la part des entreprises, davantage sur les moyen et long termes que dans l’immédiat. En effet, pour répondre à leurs besoins à court terme, à savoir régler leurs soucis de liquidité, elles ont pu bénéficier des programmes de soutien du ministère de l’Économie. De notre côté, nous sommes là pour les aider à ouvrir les yeux sur le contexte général, sur les grands changements qui s’opèrent en leur sein et autour d’elles, afin qu’elles puissent s’y adapter et saisir les opportunités qui, même en temps de crise, s’offrent à elles. Notre rôle est de regarder vers l’avenir.

Quel est le rôle des clusters dans ce contexte?

Les clusters renforcent les liens des entreprises entre elles ainsi que les collaborations avec la recherche afin de stimuler l’innovation. Ils se concentrent sur les technologies-clés ciblées stratégiquement et visent à renforcer les secteurs économiques à forte valeur ajoutée pour le Luxembourg. Dans le contexte de la crise, ils détiennent un rôle très important dans la recherche de solutions pertinentes pour leur secteur. En relation directe avec les entreprises, les clusters managers captent leurs idées innovantes et les développent – moyennant un processus structuré d’idéation soutenu par des groupes consultatifs intersectoriels et impliquant des partenariats publics et/ou privés – afin d’en faire bénéficier tout l’écosystème et de renforcer sa compétitivité.

Fin mai, le ministère de l’Économie a lancé Fit 4 Resilience, un programme géré par Luxinnovation et s’inscrivant dans la politique de relance de l’économie nationale. En quoi consiste-t-il?

Il s’agit d’un programme de sortie de crise et de repositionnement stratégique. L’idée est d’offrir aux entreprises en difficulté les services d’un consultant qui les aidera à analyser les impacts de la crise sur des facteurs internes et externes à la société et qui les conseillera quant aux choix stratégiques à poser à court et moyen termes selon les problématiques rencontrées. Le programme s’adresse à tous types de sociétés, petites, moyennes ou grandes, peu importe leur secteur d’activité. Les honoraires du consultant (jusqu’à 25 jours de travail) sont couverts à 50% par le ministère de l’Économie. Si l’analyse met en lumière la nécessité de réaliser certains investissements permettant d’augmenter la productivité et la compétitivité de l’entreprise sur le long terme, une aide supplémentaire peut être sollicitée via le programme «Neistart Lëtzebuerg». Initialement limité à l’année en cours, le programme Fit 4 Resilience vient d’être allongé pour absorber le choc de la deuxième vague de l’épidémie. Les candidatures des entreprises seront donc ouvertes jusqu’au 31 décembre 2021.

Luxinnovation a publié cet été un rapport identifiant les principales tendances et innovations du marché qui façonneront l’économie post Covid-19. Quelles sont-elles?

Nombreuses sont les organisations qui publient ce genre d’analyses. Nous les avons passées en revue et avons étudié la situation d’un point de vue luxembourgeois. L’idée de ce rapport était d’identifier les «megatrends» qui impactent plus spécifiquement nos entreprises. Les tendances identifiées ne sont pas neuves mais nous les avons structurées d’un point de vue qui nous est propre.

La plus évidente est très certainement celle de la digitalisation, sous toutes ses facettes. Les «Key Enabling Technologies», ces technologies-clés génériques qui façonneront l’économie à l’avenir, sont nombreuses et pluridisciplinaires. Le défi est de les rendre accessibles. Pour veiller à leur déploiement, Luxinnovation entend agir en facilitateur entre deux mondes très différents, à savoir le monde de ceux qui les développent (les chercheurs, les startups, les sociétés ICT) et celui de celles qui les utilisent (les entreprises). C’est d’ailleurs tout l’objectif du Luxembourg Digital Innovation Hub (L-DIH) dans le domaine de l’industrie 4.0. Lancé le 30 septembre 2019 en collaboration avec le ministère de l’Économie, la FEDIL, l’Université du Luxembourg, la Chambre de Commerce, le LIST et le Fonds National de la Recherche, ce hub met en relation industriels et développeurs afin que les solutions des seconds permettent d’améliorer les processus des premiers, tout cela dans le contexte de la numérisation de l’industrie. Cette approche est à considérer comme un élément-clé de la stratégie nationale d’économie basée sur les données. L’accès et l’utilisation intelligente de ces données permettent une prise de décision éclairée et sont, je le pense, des éléments-clés de notre avenir économique et sociétal.

L’autre grande tendance du marché post Covid-19 est incontestablement la durabilité. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à cette cause. Il est donc important que les entreprises proposent des produits et services qui tiennent compte de leurs exigences. Il est aujourd’hui évident que la durabilité offre de fantastiques opportunités business.

La résilience est la troisième tendance majeure identifiée par notre étude. Être résilient, ce n’est pas seulement être «crisis-proof», autrement dit réussir à survivre, c’est aussi être «future-proof», savoir anticiper les changements à venir et en tenir compte dans son modèle de fonctionnement. Cette résilience, nous devons la soutenir non seulement auprès des entreprises, mais également la faire transparaître dans la manière dont notre tissu économique est constitué, notamment en favorisant les chaînes d’approvisionnement régionales.

Enfin, l’après-crise sera marqué par le développement de nouvelles stratégies commerciales. De plus en plus d’entreprises se remettent en question, conscientes que le contexte et les attitudes des consommateurs ont changé. Actuellement, nous réfléchissons à la meilleure manière de les soutenir dans cette réflexion afin qu’elles puissent adapter leurs modèles d’affaires aux nouvelles tendances du marché.

Une application simultanée de ces quatre principes, est-ce la clé pour se réinventer efficacement?

Oui, ils sont en quelque sorte indissociables. Par exemple, la digitalisation bouleverse les stratégies des entreprises, aussi bien en interne qu’en termes de communication externe. Elle facilite également une approche plus régionale. En effet, en rendant l’accès aux données plus aisé, elle permet d’identifier rapidement et simplement d’autres sources d’approvisionnement plus locales. Cela joue non seulement sur la durabilité de la production, mais aussi sur la résilience du tissu économique, par la diversification des chaînes d’approvisionnement. Elle fournit des alternatives, des choix.

Sans minimiser la tragédie sanitaire et les difficultés socio-économiques engendrées par la crise, le Covid-19 peut-il, d’une certaine manière, être vu comme un accélérateur d’innovation?

Comme toute crise, celle du Covid-19 a certainement donné un coup d’accélérateur à l’innovation. Elle a stimulé la réflexion et a demandé de réels efforts de créativité. Elle nous a permis de sortir de certains automatismes et de nous défaire d’une certaine lourdeur administrative au profit des chemins courts. Tout cela est générateur d’innovation à condition d’en tirer des enseignements. C’est en se posant les bonnes questions qu’émergent les bonnes réponses.

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