Se reconstruire face à la crise

La construction, pourtant l’un des premiers secteurs à avoir repris ses activités, peine toujours à se remettre de son confinement. Avec au compteur cinq semaines d’arrêt des chantiers suivies d’une perte de rendement de 10% due à la mise en place des mesures sanitaires, le secteur se heurte aujourd’hui à l’incertitude des investisseurs quant à la planification de nouveaux projets de construction. Roland Kuhn, président de la Fédération des entreprises luxembourgeoises de construction et de génie civil, et Patrick Koehnen, secrétaire général adjoint, nous dressent le portrait d’un paysage de la construction luxembourgeois marqué par la crise sanitaire et économique.

 

Repenser le cadre de travail

Accompagnant 19.000 entreprises à travers le pays, la Fédération des entreprises luxembourgeoises de construction et de génie civil, chapeautée par la Fédération des artisans, a assuré la fonction de relais d’informations entre ses membres et le gouvernement dès les prémices de la crise. «Après l’annonce gouvernementale du 17 mars, nous avons bénéficié de quelques jours pour sécuriser les chantiers en cours avant le confinement. Tout le secteur a ensuite été à l’arrêt jusqu’au 20 avril», se souvient Patrick Koehnen.

La Fédération s’est alors très vite attelée à la conception d’un cadre de travail sécurisé et à la création d’outils favorisant une reprise rapide des activités. «Nous avons collaboré avec le Service de Santé au Travail de l’Industrie (STI) et l’Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment (IFSB) pour réunir les mesures obligatoires et recommandations du gouvernement dans une «Toolbox Covid-19 -Construction» que nous avons mise à disposition des entreprises. C’est notamment grâce à la garantie que les entrepreneurs assureraient la sécurité et la santé des employés sur leur lieu de travail que le gouvernement s’est montré favorable à la reprise des chantiers dans le respect des mesures énoncées dans cette Toolbox», détaille Roland Kuhn. Ces consignes ont d’ailleurs très bien été accueillies par les collaborateurs et unanimement respectées sur le terrain.

 

Covid positif: quarantaine et isolement

«Sur les 6.700 tests réalisés au retour des congés collectifs, seuls 9 se sont révélés positifs au Covid-19», dévoile Patrick Koehnen. Ces chiffres semblent indiquer une tendance encourageante, toutefois, la réalité est bien plus morose puisque de nombreuses équipes ont tout de même été mises à l’arrêt selon les règles de quarantaine imposées par le ministère de la Santé. «Les collaborateurs ayant été en contact avec une personne testée positive sont automatiquement mis en quarantaine… ainsi que toute leur équipe de travail, même si aucun d’entre eux ne montre des symptômes de la maladie ou a passé un test qui prouve sa contamination au virus. Beaucoup d’entreprises sont fortement touchées par cette mesure qui implique souvent l’arrêt complet d’un chantier, faute d’effectifs», déplore Roland Kuhn, avant de poursuivre: «Nous émettons des réserves contre ces dispositions que nous jugeons trop drastiques et qui impactent lourdement nos membres. Nos équipes appliquent des mesures de distanciation et d’hygiène strictes, notamment le port du masque, qui réduisent fortement le risque de propagation de la maladie. Tant qu’un employé ne présente aucun symptôme ou qu’il n’a pas été testé positif, nous estimons que le risque de contamination est beaucoup trop faible pour justifier l’arrêt total d’une équipe et a fortiori d’un chantier». Une mesure qui semble d’autant plus abusive qu’elle n’est pas appliquée à tous les secteurs, comme celui de l’enseignement où les professeurs ne sont pas écartés pour ce même motif et qui côtoient pourtant des classes entières dans l’exercice de leur métier. Tout le milieu de la construction, pénalisé alors qu’il respecte toutes les recommandations qu’on lui impose, éprouve comme un sentiment d’injustice. «C’est pourquoi nous demandons au ministère de la Santé d’apporter davantage de cohérence à ces mesures, d’un secteur à l’autre. Nous pourrions par exemple imaginer que seul l’employé concerné par un contact à haut risque soit isolé en attendant d’être testé», propose Patrick Koehnen. La loi et les dispositions prises dans la Toolbox prévoient d’ailleurs que les salariés à faible risque s’auto-surveillent tout en étant autorisés à travailler. 

En plus de la perte financière causée par l’arrêt des chantiers, les entreprises doivent aussi financer une partie de la quarantaine de leurs employés. En effet, depuis le mois de juillet, la CNS n’assume plus la totalité des salaires des personnes testées positives au Covid-19 et laisse ainsi les entreprises assumer 20% de cette charge, ce qui représente pour ces dernières un poids économique supplémentaire.

 

Impact organisationnel et économique

L’engouement généré par la reprise des chantiers a très vite laissé place à la difficulté de revenir au «rythme d’avant». Toute une organisation et un planning doivent quotidiennement être déployés sur le terrain pour éviter que les différents corps de métier ne se croisent et ainsi limiter les contacts entre différentes bulles de travail. Roland Kuhn ajoute: «Les mesures de sécurité qui nous sont imposées ralentissent substantiellement notre cadence si bien que nous estimons à un minimum de 10% la baisse de productivité. Chaque changement de masque, chaque lavage de main, chaque nettoyage sur chantier nous fait perdre du temps qu’il nous est impossible de rattraper par la suite». Si la Fédération comprend la nécessité de ces mesures, elle déplore toutefois qu’aucun moyen ne soit déployé pour compenser ce manque à gagner qui accentue les difficultés rencontrées par le secteur.

A l’instar de cette perte de rendement, celle des cinq semaines d’arrêt total des activités sera impossible à combler. Son impact devrait se faire ressentir dans les prochains mois, lorsqu’il faudra rembourser certaines aides étatiques et payer les taxes et impôts laissés en suspens en début d’année. Si jusqu’ici les entreprises avaient pu survivre en rattrapant leur retard dans la facturation, elles feront bientôt face à ce vide économique laissé par le confinement. Pour les soutenir, la Fédération aurait par exemple espéré davantage de flexibilité de la part du gouvernement dans les modalités de remboursement du chômage partiel, des impôts, de la TVA et des cotisations sociales.

Roland Kuhn se montre toutefois reconnaissant envers l’Etat pour le maintien de ses investissements: «François Bausch, ministre des Travaux publics, a veillé à ce que les chantiers soient maintenus et puissent reprendre et Pierre Gramegna, ministre des Finances, a assuré le maintien des budgets dans ce secteur». Comme l’explique Patrick Koehnen, la tendance est toutefois bien différente du côté des investisseurs privés qui font preuve de davantage de prudence et mettent en attente de nombreux projets: «Certaines entreprises de construction sont spécialisées dans les chantiers publics, d’autres dans les chantiers privés, mais en moyenne, elles consacrent 50% de leurs effectifs dans chaque secteur. La plupart de nos entreprises membres vont donc rencontrer de grandes difficultés, voire pour certaines mettre la clé sous la porte». S’il est encore trop tôt pour constater une augmentation du nombre de faillites, les mois à venir s’annoncent toutefois difficiles.

Entre difficultés financières et organisationnelles, c’est tout un secteur qui est aujourd’hui confronté à l’incertitude du redémarrage des investissements. Face à un futur incertain, la Fédération attend surtout de l’Etat qu’il maintienne ses investissements à un niveau élevé pour soutenir la relance que ce soit à travers des travaux d’infrastructure ou via le maintien des budgets des communes. En effet, chacun de ces chantiers occupe des entreprises pendant plusieurs années; tous les projets conclus aujourd’hui leur donnent une garantie financière tout au long de cette période! Reste à espérer que cette relance soit suffisante pour maintenir les entreprises en difficulté à flot dans l’attente de jours meilleurs…

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