La formation et le travail virtuels: une réalité tangible

A l’heure où sonne la rentrée académique et politique, la rédaction du LG Magazine reprend sur sa lancée de portraits dépeignant le paysage économique luxembourgeois affecté par une crise de Covid-19 qui n’en finit pas de s’éterniser. Dans cette édition, c’est le secteur du recrutement et de la formation qui a été mis à l’honneur, à une période où la gestion des ressources humaines doit relever un défi de taille, celui d’assurer la cohésion, la motivation, le bien-être et l’évolution de ses équipes… à distance! Pascal Martino, Human Capital Leader chez Deloitte Luxembourg, nous parle des surprises – bonnes ou mauvaises – que le confinement a révélées dans ce secteur.

  

Se former sans décrocher

Au Luxembourg, la formation donnait déjà la part belle aux outils digitaux: e-learning, plateforme d’exercices en ligne, cours à distance,… Sans s’y être forcément préparé, le secteur était prêt à affronter la crise. «Notre outil DLearn avait fait ses preuves par le passé en combinant un enseignement en e-learning avec des sessions en présentiel. Les formations sont aujourd’hui exclusivement données en mode virtuel et proposent ainsi des cours standards ou des webinars», nous explique Pascal Martino. En plus de l’adaptation des formats et de la longueur des formations – il parait en effet utopique de conserver un taux de concentration optimal des apprenants au long d’une journée complète de formation virtuelle – Deloitte Luxembourg a veillé à revoir les supports et la technologie utilisés: «Une bonne formation en ligne ne se résume pas à donner un cours sur Skype… Au-delà de la multiplication des outils de vidéoconférence, nous avons proposé différentes adaptations comme des salles virtuelles favorisant l’échange en petits groupes, des supports visuels renforcés, des live polls encourageant l’interaction et la participation du public,…».

Sous la contrainte, les entreprises luxembourgeoises ont su faire face à la crise et se sont très vite adaptées à cette nouvelle configuration digitale. Si les cours à distance ont permis d’assurer la continuité des formations en cette période confuse, ils ne remplaceront jamais l’interaction humaine. Selon Pascal Martino, ce sont surtout les formateurs qui sont en peine face à ce concept: «La communication entre apprenants et formateurs est rendue extrêmement difficile; en présence, on peut rapidement prendre conscience d’un décrochage ou de difficultés rencontrées par une classe, ce qui n’est pas forcément possible derrière un écran».

Une autre problématique réside dans l’évaluation des compétences acquises. Des modèles d’étude de l’impact d’une formation sur un employé existent déjà, mais ils ne sont pas adaptés à un enseignement exclusivement virtuel. «La question est de savoir si nous serons capables, à distance, de collecter les bonnes données afin de définir si les employés se sont améliorés grâce à la formation. De plus, le fait qu’ils ne travaillent plus forcément dans leur environnement habituel change aussi la donne et rend cette évaluation plus difficile», développe le Human Capital Leader. Deux approches sont toutefois en préparation chez Deloitte Luxembourg; d’une part, l’entreprise entend améliorer ses outils d’étude d’impact afin de les adapter à l’analyse à distance. D’autre part, un examen plus approfondi sera planifié sur site dès que la situation sanitaire le permettra. Pascal Martino voit notamment dans ces études l’opportunité de perfectionner les modèles de formation continue, convaincu que les bouleversements que nous connaissons aujourd’hui les transformeront de manière pérenne: «Nous avions déjà constaté avant la crise qu’il était difficile de bloquer l’emploi du temps d’employés pendant des journées entières. Nous envisageons donc à l’avenir un renfort des modèles d’apprentissage mixtes, mêlant cours en ligne et en présentiel».

 

Créer ou maintenir le lien social à distance: quelle marche à suivre?

Parmi l’éventail de défis que doivent relever les équipes de gestion des ressources humaines, on note évidemment celui de l’accueil des nouvelles recrues à une période où les employés travaillent majoritairement depuis leur domicile. «Ce type d’accueil permet difficilement une bonne intégration, une explication approfondie des processus internes et la transmission de la culture de l’entreprise. Il ne favorise pas non plus l’intégration et la reconnaissance par rapport à la structure», souligne Pascal Martino. En revanche, pour les collaborateurs déjà intégrés, le travail à distance semble avoir été bien accueilli: «Evidemment, aucune organisation n’était prête au télétravail de la majorité de son équipe, mais la plupart des entreprises de la Place n’a pas connu de grandes disruptions de services, ce qui prouve l’efficacité générale du travail à distance».

Deux phases de productivité se sont toutefois succédées: si elle a d’abord connu une augmentation au début de la crise grâce au gain de temps opéré au niveau des transports et à l’élan de motivation général, la productivité a ensuite baissé dans un second temps jusqu’à atteindre un seuil plus bas que celui d’avant crise. Pascal Martino précise: «Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance: les journées répétitives, les difficultés à effectuer une coupure entre la sphère personnelle et professionnelle, l’augmentation du stress,… Cette lassitude pourrait toutefois facilement être évitée par l’alternance maison-travail, qui casserait le rythme de journées parfois redondantes». Aujourd’hui, beaucoup de travailleurs se sont habitués au travail à domicile; ils ne voient pas l’intérêt de se déplacer au bureau pour y être isolés ou ont tout simplement peur d’y être infectés. Les employeurs doivent donc mettre en place des stratégies pour les rassurer: «Nous encourageons nos clients à s’enquérir des appréhensions de leurs employés par rapport à un retour sur site afin de pouvoir apporter des réponses à celles-ci par des actions concrètes».

Le risque majeur inhérent à un télétravail prolongé est l’apparition de signes de dépression… d’autant plus difficiles à identifier lorsqu’on ne côtoie pas ses collaborateurs. C’est notamment la raison pour laquelle un modèle exclusivement virtuel ne pourrait pas fonctionner. Pourtant, de manière générale, Pascal Martino observe un renforcement des liens entre collaborateurs «grâce» à la crise. De nombreuses entreprises ont développé en ce sens des activités virtuelles de groupe comme des séances collectives de bien-être ou de sport. «Celles que nous avons nous-même organisées ont été ouvertes gratuitement à nos clients pendant la crise. Des afterworks en ligne ont aussi été planifiés. Ces éléments ne suffisent pas à prévenir un burn-out, mais permettent de consolider les liens entre collègues».

 

De nouveaux modèles de travail pour le monde de demain

Les acteurs de la place économique luxembourgeoise étaient jusqu’ici frileux à l’idée de voir le télétravail se généraliser au sein de leurs équipes. Le confinement aura eu l’avantage de prouver son efficacité et, selon Pascal Martino, cette démonstration à grande échelle affectera les modèles de travail dans le monde d’après crise: «Nous observons une vraie demande de la part de nos clients de laisser davantage de place au télétravail dans les contrats de demain. Nous estimons qu’environ 30 à 40% des tâches opérées par des employés de bureau pourraient être effectuées à domicile; notre travail serait de cibler celles pour lesquelles un déplacement sur site apporterait du sens et une plus-value aux collaborateurs et à l’entreprise». Les impacts de cette nouvelle répartition du temps de travail se ressentiraient alors à plusieurs niveaux: la surface nécessaire de bureaux se verrait amoindrie, les trajets seraient réduits et auraient un impact positif sur le trafic et l’environnement, les employés auraient un meilleur confort et équilibre de vie,…

Pascal Martino conclut: «En temps de pandémie, l’accent a également été mis sur l’épanouissement personnel et professionnel des équipes. Nous anticipons ainsi une hausse au niveau des demandes de sessions favorisant le bien-être des collaborateurs ainsi que la bonne évolution de leur carrière». Tant du côté des employeurs que des employés, la crise aura au moins souligné la nécessité d’investir dans le capital humain et dans le développement de ses compétences.

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