Le fantasme infâme

L’humanité a toujours cherché à catégoriser les populations qui la composent. Cela se faisait généralement à la manière des Grecs de l’Antiquité avec l’opposition d’un «nous» (les civilisés) aux «autres» (les barbares). Dans l’ancien français, le mot «race» signifie encore le lignage familial et ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il change de sens. La taxinomie pousse les scientifiques à décrire la diversité des organismes vivants et – des plantes aux Hommes – ils annotent, mesurent et étiquettent les mensurations et les différences. Le contexte colonial fait que très rapidement après cette catégorisation, s’en vient une hiérarchisation et en 1853, le comte de Gobineau publie son Essai sur l’Inégalité des Races Humaines. Parce que dès lors qu’il y a croyance en l’existence des races, il y a celle de l’inégalité qui les régissent. Le racialisme est la base fantasmatique du racisme qui fonctionnent comme les deux faces d’une même pièce. Une folie intellectuelle poussée à son paroxysme lorsque le nazisme fera croire que certaines doivent être supprimées. Dans l’après-guerre, des experts en ethnologie, anthropologie, paléontologie, médecine et génétique se réunissent sous les travaux de l’UNESCO et arrivent à la conclusion que «tous les hommes actuels appartiennent à une même espèce, dite Homo sapiens et sont issus d’une même souche». D’ailleurs, depuis les années soixante, plus aucun généticien digne de ce nom n’utilise la notion de race pour parler des Hommes, et ce, parce qu’elle est scientifiquement infondée et ne recouvre aucune réalité biologique.

L’ADN humain se compose de trois milliards de lettres et il suffit que quelques-unes diffèrent pour que la couleur de peau change. En réalité, il n’y a que très peu de différences génétiques entre les populations humaines qui se sont toujours mélangées à travers les migrations; chez l’Homme, la géographie n’est corolaire que de 5% de notre diversité génétique. En comparaison avec nos plus proches cousins, les chimpanzés (25% de disparité génétique) se répartissent en quatre sous-espèces qui ne se sont pas mélangées depuis au moins un million d’années. Chez les chiens, la différence génétique monte même à 38% et c’est ainsi qu’un caniche aura beau s’entraîner, il ne pourra jamais rivaliser avec un berger allemand.

Bien évidemment, aucun argument de raison ne peut avoir d’emprise sur la croyance raciste qui est une lecture morale des différences, un prêt-à-penser simpliste qui se contenterait d’un 0,1% pour alimenter ses fantasmes d’essentialisation. Réduire l’individu à une seule de ses dimensions est un non-sens dans la mesure où la différence physique n’implique pas de différence morale et que le biologique ne contrôle pas le culturel. C’est pourquoi la couleur de peau n’est porteuse d’aucune qualité autre qu’esthétique.

Si le mot «race» n’est pas péjoratif aux Etats-Unis (où il est même demandé aux citoyens de signifier la leur lors du recensement), il provoque au mieux une gêne et souvent un soulèvement de cœur dans la langue française. Bien sûr, le supprimer ne suffirait pas à effacer la chose mais son utilisation n’est pas anodine puisqu’elle implique une autre conception de l’humanité, celle de la morale héréditaire et de l’étanchéité culturelle. Juger le passé à la lumière morale d’aujourd’hui est un anachronisme dangereux mais plus dangereux encore est sa résurgence dans certains discours politiques en Europe et la nouvelle essentialisation positive.

Nul besoin donc d’être noir, musulman, juif, homosexuel ou femme pour se sentir concerné par le racisme, l’homophobie ou la misogynie. Souffrir des douleurs qui me sont épargnées, c’est peut-être là tout mon humanisme… et vous?

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