La recherche en temps suspendu

Plutôt qu’un portrait – les temps qui courent sont définitivement peu propices aux rencontres intimistes – nous dépeindrons cette fois un paysage, celui de la recherche, ici représentée par son plus grand mécène: le Fonds National de la Recherche (FNR). Une fresque teintée de noir, ombre planante de la pandémie, mais aussi de blanc, lueurs d’espoir vers la découverte d’un traitement, et parée de mille couleurs, reflets du dévouement de toute une communauté. Rencontre avec Marc Schiltz, secrétaire général et responsable exécutif du FNR.

 

Mobilisation

En déferlant sur l’Europe, l’épidémie du nouveau coronavirus s’est accompagnée d’une vague de stupeur. Avec le confinement, le temps s’est comme suspendu. Dans les laboratoires, les chercheurs ont laissé tomber leurs éprouvettes; dans les bureaux, les économistes ont abandonné leurs projections déjà devenues obsolètes. Passé ce bref instant de flottement, tous se sont mobilisés dans la lutte contre le nouvel ennemi commun. La recherche luxembourgeoise, en un grand mouvement national et pluridisciplinaire, s’est dotée d’une Taskforce Covid-19 chargée de coordonner les recherches pour enrayer la crise. «Le FNR, les institutions et centres de recherche (le LIH en premier lieu mais aussi le LIST et le LISER), l’Université et le ministère de la Recherche se sont concertés presque quotidiennement sur les actions à entreprendre. A ce moment-là, un nouvel esprit de collaboration s’est cristallisé au sein de l’intiative Research Luxembourg et je ferai tout pour le pérenniser», raconte Marc Schiltz.

Une fois sur pied, la Taskforce a promptement constitué une équipe d’une vingtaine d’experts (mathématiciens, informaticiens, épidémiologistes, etc.) chargée de modéliser la propagation du virus et d’évaluer ses différents effets. L’étude CON-VINCE, par exemple, a permis de mesurer le taux de prévalence de la maladie dans la population, un chiffre totalement inconnu au départ. Forte de ses découvertes, la cellule a rapidement joué un rôle de consultance auprès du gouvernement. Aujourd’hui encore, les résultats de ses études guident les décisions gouvernementales dans l’élaboration de sa stratégie de déconfinement.

Aussi inopinément qu’elle est arrivée, la pandémie aura donc redistribué les cartes dans le secteur de la recherche, tant au niveau de la définition de ses priorités que du financement. 6,7 millions d’euros, c’est le budget qui aura été attribué aux recherches sur le coronavirus entre la mi-mars et début juin. «Vu l’urgence de la situation, notre conseil d’administration s’est réuni en séance extraordinaire par vidéoconférence pour allouer le financement nécessaire à la réalisation de ces études. N’ayant pas obtenu de budget supplémentaire de la part du gouvernement, nous avons puisé dans nos fonds propres. Certes, dans un premier temps, ceux-ci manqueront à d’autres programmes mais il n’y avait pas de question à se poser: il fallait lancer ces études. Les projets que nous soutenions et qui pâtiront de la situation bénéficieront du prolongement nécessaire», affirme Marc Schiltz. «Nous avons fait preuve d’agilité et de flexibilité et avons démontré que nous pouvions soutenir la recherche, même dans l’urgence», poursuit-il.

En plus de coordonner les projets et de financer les études menées par la Taskforce Covid-19, le FNR a endossé un rôle non moins important de communicateur. «Nous avons régulièrement alimenté notre site internet science.lu d’informations et d’articles de vulgarisation scientifique pour indiquer au grand public l’état actuel des connaissances sur le virus et l’épidémie. Certains de ces articles ont été consultés à plus de 40.000 reprises, un chiffre qui témoigne du réel besoin d’informations fiables que ressentait la population», ajoute Marc Schiltz.

 

Salariés au foyer

Vendredi 13 mars, à la Maison du Savoir, les équipes du FNR éteignent leurs ordinateurs. Dès lundi, elles les rallumeront dans l’environnement peu habituel de leur foyer. Comme bon nombre de leurs compatriotes, les mécènes de la recherche s’apprêtent à vivre plusieurs mois de télétravail. «Les semaines précédentes, lorsque nous avons compris la tournure que prendraient les événements, notre équipe IT a travaillé d’arrachepied pour que nous soyons en mesure de passer au télétravail. Le moment venu, l’équipement, les logiciels, le système de vidéoconférence, tout était installé sur les ordinateurs portables dans lesquels nous avions heureusement investi il y a quelques années», explique Marc Schiltz.

Alors qu’ils se côtoyaient au quotidien, les 29 employés du FNR n’échangent plus que par écran interposé. Pour humaniser ces contacts par vidéoconférence, le Fonds planifie quelques activités permettant d’entretenir l’esprit d’équipe. «Nous avons organisé des cours de sport en vidéo avec un coach ou encore des séances de yoga à distance. Nous avions besoin de ces activités pour que l’équipe reste soudée», développe le secrétaire général.

Nouvelle norme dans l’anomalie du confinement, le télétravail a, au FNR comme ailleurs, révélé ses avantages et ses limites. «Le télétravail a beaucoup d’atouts et je pense que nous y recourrons davantage à l’avenir à condition que les travailleurs puissent se consacrer pleinement à leurs missions. Durant la crise, mes collaborateurs et moi-même avons dû mener de front travail et enseignement à domicile pour pallier à la fois la fermeture des bureaux et des écoles. Un épuisement bien compréhensible a gagné certains de nos collègues. Le défi du télétravail réside dans l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. L’une des clés pour que le système fonctionne repose sur l’aménagement d’un espace dédié au travail. Bien sûr, ce sont des leçons pour l’avenir. Dans cette situation, nous n’avons pu que réagir au mieux face à l’urgence», considère Marc Schiltz.

Tandis que le déconfinement s’accélère, les équipes du FNR préparent leur retour progressif à Belval. «En principe, le télétravail reste la norme mais nos collaborateurs peuvent retourner au bureau sous certaines conditions. Nous réaménageons nos locaux pour que les deux mètres de distance puissent être maintenus en tout lieu. Pour l’instant, nous avons établi la règle d’une personne par pièce et mis en place un planning pour la respecter. Bien que ce système fonctionne, j’espère que nous pourrons progressivement revenir à la normale», explique Marc Schiltz.

 

Le monde d’après

D’aucuns ont rêvé à ce monde d’après qui conjurerait les insatisfactions du monde d’avant. Tantôt utopistes, tantôt défaitistes, les projections sur ces lendemains qui (dé)chantent reposent sur les premières leçons tirées de la crise. «Les chercheurs se sont mobilisés très tôt pour mettre leurs connaissances et savoir-faire au service de la communauté. En tant que détentrice de l’expertise scientifique, la recherche devra peut-être guider davantage les décisions politiques à l’avenir. Si chacun doit bien sûr rester dans son rôle, les experts ont prouvé leur capacité à fournir des données scientifiques pertinentes aux décideurs politiques. Une situation relativement nouvelle au Luxembourg car la recherche publique y est très jeune. La crise, qui a mobilisé tous les experts étrangers, aura donc révélé le bien-fondé de l’existence d’une recherche scientifique qui nous est propre. J’espère que le rôle que nous avons joué sera reconnu et que nous pourrons le remplir plus généralement à l’avenir. D’un autre côté, j’ai regretté le manque de coordination au niveau européen et international, que ce soit entre chercheurs mais aussi entre organismes de financement comme le FNR. J’assume donc ma part de responsabilité. Nous gagnerions tous à mettre en commun davantage de ressources et de connaissances et c’est peut-être le défi qu’il faudra relever pour affronter de prochaines crises dans de meilleures conditions», conclut Marc Schiltz.

Lire sur le même sujet: