Les préférences des citoyens européens en matière de redistribution des revenus

L’article met en évidence l’association entre les attitudes des citoyens européens à l’égard de la redistribution des revenus et le degré de générosité du système redistributif ressenti au niveau individuel.

Dans les démocraties modernes, les partis et les décideurs politiques ont des points de vue différents sur de nombreux sujets, notamment l’importance de la redistribution des revenus et le degré de générosité du système de sécurité sociale qu’un pays peut mettre en place. Les citoyens ont également leurs propres préférences en matière de redistribution des revenus, certains sont favorables à l’intervention du gouvernement pour réduire les inégalités, d’autres s’y opposent. Ils expriment ces préférences en votant pour le programme politique et les candidats les plus aptes à les traduire dans des politiques portant, par exemple, sur l’ampleur de la redistribution réalisée par le biais de l’impôt et des transferts sociaux. Quelles sont donc les motivations derrière les préférences individuelles en matière de redistribution des revenus ? Les gens déterminent leur attitude à l’égard de la redistribution des revenus en fonction de multiples facteurs, tels que leurs principes en matière de justice distributive, leur intérêt personnel, les inégalités économiques, leur besoin de s’assurer contre les baisses de revenu ou leur sens de l’équité, mais aussi leur capacité de tirer profit de la générosité de l’État-providence. L’augmentation de l’inégalité des revenus à laquelle nous avons assisté au cours de la dernière décennie et les effets économiques spectaculaires de la pandémie de COVID-19 ont mis les gouvernements en demeure de prendre des mesures de redistribution qui relèvent le niveau de générosité de la sécurité sociale. Ces mesures consistent en des transferts de charges fiscales et de prestations sociales entre les individus, avec des gagnants et des perdants. Cela conduit à s’interroger sur l’influence de ces changements sur le soutien accordé par les citoyens aux mesures politiques destinées à lutter contre les inégalités.

Dans un article récemment publié dans la European Journal of Political Economy, Francesco Andreoli (Université de Vérone et LISER) et Javier Olivera (LISER) examinent de manière empirique l’impact d’une augmentation de la générosité du système d’avantages fiscaux sur les préférences en matière de redistribution des revenus, tel que mesuré par le degré de soutien accordé aux politiques gouvernementales visant à limiter les inégalités. Les seuls motifs basés sur le revenu suggéreraient que, dans une société donnée, accroître la générosité du système de redistribution tend à renforcer le soutien de ceux qui peuvent espérer en tirer avantage et à réduire celui des contributeurs nets du système. L’effet résultant peut être incertain, dans la mesure où il dépend de l’importance de la redistribution des revenus et de l’ampleur des inégalités dans le pays.

L’article met en évidence l’association entre les attitudes des citoyens européens à l’égard de la redistribution des revenus et le degré de générosité du système redistributif ressenti au niveau individuel. Adoptant une approche quantitative, les auteurs analysent des échantillons représentatifs de citoyens européens qui ont été interrogés sur le soutien qu’ils accordent à la politique de redistribution, ainsi que sur leurs revenus, les impôts qu’ils paient et les avantages pécuniaires qui leur reviennent.

Pour estimer les effets en question, les auteurs appliquent une nouvelle stratégie à deux échantillons, qui consiste à coupler les données individuelles sur les préférences en matière de redistribution des revenus tirées de l’enquête sociale européenne (ESS) avec les données individuelles sur l’exposition aux régimes d’imposition et de prestations sociales tirées de l’enquête européenne sur les revenus et les conditions de vie (EU-SILC). Cette enquête est le principal outil statistique utilisé par Eurostat pour quantifier et comparer les niveaux de vie en Europe. Il en résulte une base de données d’environ 150 000 personnes interrogées entre 2008 et 2017 dans 29 pays européens, comprenant des informations cohérentes sur les préférences en matière de redistribution des revenus, les impôts et les prestations sociales. La figure 1 ci-dessous, qui présente la répartition de la différence entre prestations sociales perçues et impôts payés, révèle qu’environ la moitié de la population européenne représentée par cet échantillon est bénéficiaire du système de redistribution.

Le principal résultat est que, en cas d’augmentation des chances de bénéfices nets positifs (indicateur de la générosité de la société), la probabilité que les personnes interrogées soutiennent la politique de redistribution des revenus s’accroît de 1,4 % à 3 % par rapport aux modèles de base.

Cette étude montre que la générosité du système de protection sociale devrait être prise en compte dans l’analyse des préférences en matière de redistribution des revenus, et indique comment y parvenir. Les résultats soulignent également qu’il est important d’examiner l’ensemble des impôts et des prestations sociales pour évaluer les effets de l’élargissement du système de sécurité sociale. Il convient de préciser que cette étude ne prend en compte que les prestations en argent, alors qu’une grande partie des transferts sont généralement fournis en nature dans les États-providence modernes. En ce cas, seuls des groupes spécifiques de la population bénéficient de tels transferts (les ménages avec enfants bénéficient de la gratuité de l’enseignement public, les malades chroniques de l’assurance maladie publique). La recherche future devra se pencher sur la modélisation et l’estimation des effets des transferts en nature sur le soutien à la politique de redistribution des revenus.

Cette recherche a été financée par le Fonds National de la Recherche du Luxembourg [bourse PREFERME CORE C17/SC/11715898].

Dr.  Francesco Andreoli et Dr. Javier Olivera

Département ‘Conditions de vie’

 

 

 

Figure 1 : Distribution de la différence entre prestations sociales perçues et impôts payés en Europe (échantillons ESS et EU-SILC)

 

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