Comprendre le marché de la titrisation

La titrisation a mauvaise presse. Accusée d’avoir favorisé le gonflement artificiel des prix de l’immobilier américain en amont de la crise économique et financière de 2008, elle n’en demeure pas moins une pratique largement répandue dans nos économies. Qu’est-ce que la titrisation, quels en sont les avantages et inconvénients? Comment est-elle utilisée au Luxembourg et comment l’UE souhaite-t-elle remettre la pratique au goût du jour? Thomas Valici, économiste au sein de la Fondation IDEA asbl, présente le fonctionnement de la titrisation et son rôle pour le financement de l’économie réelle.

 

La titrisation, qu’est-ce que c’est?

La titrisation est une technique financière par laquelle n’importe quels actifs générateurs de flux financiers futurs prévisibles (les prêts hypothécaires, automobiles, commerciaux, étudiants, les crédits à la consommation…) – qui, seuls, peuvent être complexes à échanger – sont rassemblés et vendus par une institution financière ou une entreprise à une entité tierce créée pour l’occasion, laquelle les utilise comme garantie pour émettre majoritairement des titres obligataires et des billets de trésorerie qu’elle vend sur les marchés financiers.

Bien que chaque montage soit spécifique, le portefeuille d’actifs est souvent structuré en plusieurs tranches, avec des priorités différentes lors du remboursement et disposant chacune de caractéristiques de risque ou de rendement spécifiques, suivant les préférences et/ou contraintes des profils d’investisseur. La répartition des cash-flows dégagés par les prêts sous-jacents à l’intérieur des tranches s’opère selon un principe de cascade. Ces derniers sont tout d’abord versés à la tranche «supersenior» jusqu’à ce que la rentabilité promise soit atteinte. Ensuite, les cash-flows suivants viennent alimenter les tranches «senior», «mezzanine» et «equity». En cas de défaut de certains débiteurs, les premières pertes sont absorbées par les titres de rang inférieur, à concurrence de leur volume.

 

Les avantages et inconvénients de la titrisation

Au-delà des aspects négatifs, dont l’aléa moral [1] et des éventuels risques systémiques, la titrisation peut comporter de nombreux avantages. Pour les cédants, elle peut en effet accroître les capacités de financement et réduire les coûts associés, alléger leur bilan et donc satisfaire aux exigences réglementaires en matière de fonds propres, mieux gérer et réduire les risques en les transférant aux investisseurs et réaliser des opérations d’arbitrage. Pour les investisseurs peu enclins au risque, cette technique leur permet d’obtenir un large choix de produits, avec en prime un couple rendement-risque plus intéressant. Pour le marché, la titrisation permet d’obtenir des prix publiquement accessibles, de la liquidité et une diversification des risques, car des actifs de natures différentes peuvent être combinés. Enfin, pour l’économie dans son ensemble, la titrisation permet d’augmenter la disponibilité des crédits et d’en réduire les coûts, de sorte qu’elle puisse aussi contribuer à réduire les disparités géographiques et régionales.

 

Le marché de la titrisation au Luxembourg

Avec un nombre de véhicules de titrisation qui est passé de 610 à 1.259 (+8,4% par an) et un actif total qui a progressé de 116,2 à 278,3 milliards d’euros (+10,2% par an) entre les premiers trimestres de 2010 et 2019, les activités luxembourgeoises de titrisation ont connu une croissance (presque) continue sur les neuf dernières années. A la fin du deuxième trimestre de 2019, la BCE estimait que le Luxembourg pesait pour 13,6% de l’industrie des véhicules de titrisation de la zone euro.

Les véhicules de titrisation luxembourgeois ont un faible usage de produits dérivés, ce qui limite les risques en matière d’instabilité financière qu’implique l’effet levier. L’ampleur des relations entre ces derniers et les banques luxembourgeoises ne serait «pas suffisamment importante pour constituer une source majeure de risque systémique» (BCL 2014). Les synergies entre l’activité de cette industrie et les autres intermédiaires financiers luxembourgeois seraient toutefois plus importantes et risquées. Bien que les crédits titrisés représentent le poste principal des activités luxembourgeoises de titrisation – un poids relativement inférieur à celui de la zone euro, la titrisation des portefeuilles de titres y prend en comparaison une place nettement supérieure. Cette particularité s’explique par le savoir-faire de la place financière, les infrastructures existantes et la loi de 2004 qui définit un périmètre élargi d’actifs titrisables.

 

Les nouvelles titrisations européennes

Alors même que le marché luxembourgeois de la titrisation est en plein essor, celui de l’UE, bien qu’il ne se soit pas effondré avec la crise financière de 2008, peine à repartir. C’est dans ce contexte que la Commission Juncker a souhaité le relancer dans le cadre de l’Union des Marchés des Capitaux. Les nouvelles titrisations dites «simples, transparentes et standardisées» (STS) devraient permettre de mobiliser jusqu’à 150 milliards d’euros pour l’économie réelle. Mise en place par l’Autorité européenne des marchés financiers, ce nouveau label vise à encadrer, sécuriser et dynamiser la titrisation en Europe. Pour le Luxembourg, il pourrait s’agir d’une opportunité à saisir. Au regard des succès précédents au sein du secteur bancaire, en partie «grâce au doigté des responsables politiques et au dynamisme des opérateurs économiques» (STATEC 2013), le pays pourrait se hisser à un plus haut niveau dans le marché européen, en captant lui aussi une fraction de ces nouvelles titrisations.

 

Article fourni par la Fondation IDEA asbl


[1] Un aléa moral peut exister lorsqu’une partie à un contrat prend des risques sans avoir à en subir les conséquences.

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