Le cimetière des éléphants

Entre ici socialisme, toi et ton cortège de défenseurs de l’opprimé, du prolétaire et des destins mal écrits. Promis, nous garderons gravé dans la mémoire collective le souvenir de ton héritage d’acquis sociaux. Il y a un peu plus d’un siècle, lorsque tu siégeas pour la première fois à la Chambre des Députés, tu militais pour le suffrage universel, défendais seul les ouvriers non-électeurs et luttais contre un système où la fortune donnait accès à la fonction parlementaire. Le XXe siècle fut pour toi celui des heures de gloire et pour tes électeurs, la promesse d’un progrès social. Mais tu es depuis, la victime d’un embourgeoisement de l’électorat.

Force est en effet d’avouer que la forteresse socialiste s’effrite un peu partout dans l’Europe libérale que tu peines à combattre. Comme si ta parole politique avait été vidée de son sens; tant les socialistes pur jus que les sociaux-démocrates s’échinent à convaincre tombant toujours plus en désuétude. Mais peut-être y a-t-il une spécificité à ta déconfiture, ici, au Luxembourg…

La politique est une affaire culturelle qui s’incarne dans une pensée cultivée devenue collective. En d’autres termes, on ne naît pas socialiste, on le devient. La solidarité se forme d’un vécu semblable, d’une pénibilité analogue, de conditions de travail partagées. C’est ainsi que jadis, ouvriers des mines et de la métallurgie et cheminots firent bloc autour d’un idéal populaire et d’objectifs communs.

Mais il est loin le temps où, jour après jour et peine après peine, l’électeur socialiste travaillait encore dans le ventre sombre des Terres Rouges et dans la fournaise ferraillée des usines. Dans ses soirs oubliés et dorés de la mousse des bières, le couche-tard des comptoirs riait son désespoir d’une gorge crassée de poussières. Désormais, l’électorat est composé de retraités, de cols blancs, de fonctionnaires et d’employés du service public sur lesquels peinent à marquer ta parole. La critique du modèle de croissance fondé sur la maximisation du profit, la justice sociale, l’Europe solidaire ne font plus recette.

Etienne Schneider, tête de liste nationale lors des dernières législatives de 2018 a quitté la scène politique, Alex Brody le Conseil d’Etat et Nicolas Schmit est à la Commission européenne. Tes derniers scores aux législatives historiquement bas (de 23% en 2004 à 17% en 2018), laissent à penser à un éloge du compromis pour expliquer ta présence gouvernementale.

C’est dans ce difficile contexte qu’Yves Cruchten, seul en lice pour ta présidence, est élu avec près de 99% des suffrages. Celui qui se veut pragmatique devra trouver les arguments pour séduire, et plus important encore, pour convaincre.

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