Au pragmatisme politique

Il est de ces hommes politiques qui gardent à l’esprit qu’un mandat a un début et une fin et qu’entre les deux, il s’agit d’œuvrer. Avec quatre portefeuilles à sa charge, François Bausch (déi gréng) est sans conteste l’un des poids-lourds du gouvernement. Interview.

 

Vice-Premier, la Défense, la Sécurité intérieure, la Mobilité et les Travaux publics; comment allez-vous?

(Rire). Plutôt bien même s’il est vrai que quatre ministères, c’est vraiment limite. Je peux bien heureusement compter sur Henri Kox, ministre délégué à la Défense et à la Sécurité intérieure, qui me permet notamment de partager les charges représentatives. Il faut dire aussi que les quatre conseils européens (Transport, Affaires intérieures, Défense commune et OTAN) représentent beaucoup de déplacements à l’étranger…

La vice-présidence me demande une plus grande implication dans l’exécutif et les organes du parti et le groupe parlementaire. Tâches que j’ai assurées pendant 25 ans mais que j’avais abandonnées pour me consacrer à mes quatre ministères.

 

Pour ce qui est de la sécurité intérieure, à combien se chiffre la pénurie d’effectifs dans la police et comment la combler?

Avec une population de 600.000 habitants et 200.000 frontaliers, ce sont plus de 800.000 personnes qui sont présentes sur le territoire en journée. Bien évidemment, les besoins en sécurité ne sont pas les mêmes qu’avec un Etat à 400.000 habitants. Sous-estimer les besoins de cette croissance démographique a été une erreur.

Nous souhaitons recruter 800 policiers dans les trois ans à venir mais toute la difficulté sera de trouver les candidats. Le réservoir est limité dans la mesure où seuls ceux de nationalité luxembourgeoise peuvent y prétendre. Certes, il faut également répondre aux exigences linguistiques mais un très grand nombre de résidents non-luxembourgeois ressortissants de la communauté européenne pourrait nous y aider. C’est là mon désaccord avec les différents syndicats qui pour l’instant sont résolument contre toute ouverture.

Nous devons recruter 207 policiers cette année et le cas échéant, nous réouvrirons ces discussions. Sans quoi tous les efforts du gouvernement resteront vains.

 

En ce qui concerne la mobilité, le retard pris dans les infrastructures peut-il être rattrapé ou sommes-nous condamnés à de perpétuels chantiers et embouteillages?

Nous rattraperons ce retard grâce à la stratégie Modu 2.0 qui est forte de deux changements de paradigmes: planifier la mobilité pour faire bouger les gens et non les véhicules mais aussi anticiper la réalité pour ne plus courir derrière les problèmes et donc les chantiers.

C’est également pourquoi je laisserai sur le bureau de mon successeur, un plan qui ira jusqu’en 2035 et que je présenterai à la moitié de cette législature. L’objectif est d’y intégrer tous les projets absolument nécessaires à la lumière du développement économique et démographique.

Nos estimations annoncent une augmentation de 20% de la demande en mobilité d’ici 2025. Ce qui est énorme mais si nous menons à bien les projets en cours et à venir, nous réduirons la mobilité individuelle au profit du transport en commun.

 

L’objectif stratégique pour 2025 est ambitieux puisqu’il entend réduire la congestion aux heures de pointe tout en transportant 20 % de personnes de plus qu’en 2017. Existe-t-il des chiffres qui montrent que nous allons dans le bon sens?

L’utilisation des transports en commun doit augmenter de moitié en cinq ans et les chiffres sont encourageants. À l’automne dernier, nous avons constaté une augmentation de l’utilisation du funiculaire de 30% et il en va de même pour l’utilisation du tramway en novembre par exemple. En outre et malgré les travaux sur les lignes, les CFL ont réussi à augmenter de 3% le nombre de passagers en 2019. Dès la fin de l’année, le tram sera prolongé jusqu’à la gare et le P+R de 500 places de Luxexpo sera effectif, suivi un an plus tard par celui de Rodange. De plus, le Luxembourg bénéficiera en mai 2020 du réseau de bus le plus dense d’Europe.

Je pourrais continuer cette liste encore longtemps et chaque année, de nouvelles infrastructures viendront jouer un rôle important pour la mobilité.

 

Qu’en est-il des 250 millions d’euros de co-investissements franco-luxembourgeois pour les projets d’infrastructures?

Le Luxembourg a voté la loi en juillet 2018 et le sénat français l’a définitivement adoptée en décembre dernier. Nous allons donc maintenant pouvoir faire avancer un certain nombre de projets. Pierre Cuny, le maire de Thionville, vient par exemple de proposer l’idée d’une troisième voie ferroviaire jusqu’à la frontière. Je soutiens ce projet car cela permettrait de réserver les deux principales pour la mobilité des personnes. L’objectif est de multiplier par 2,5 le nombre de places assises dans les trains entre Thionville et Luxembourg jusqu’en 2028, et donc, de transporter presque 3 fois plus de frontaliers. Sur les 120 millions d’euros de co-financement, 10 sont réservés à la construction de parcs de stationnement à la gare de Longwy, le long de l’A31 et au centre de Thionville. Rajoutons à cela l’élargissement de l’A3 d’une troisième voie réservée au covoiturage et aux transports en commun, d’une A31 bis, d’initiatives comme l’application «CoPilote», le vélo pour le dernier kilomètre, ainsi que plusieurs P+R sur le territoire luxembourgeois

 

Les Belges ont déjà réservé une troisième voie au covoiturage sur l’A6; une telle initiative pourrait-elle se répandre sur le réseau autoroutier national?

Nous commençons le chantier de l’élargissement de l’A3 en automne, dont la troisième voie sera réservée au covoiturage et aux bus et j’espère que l’initiative sera poursuivie du côté français.

Pour ce qui est de l’A6, le nombre important de sorties et d’entrées du côté luxembourgeois complique l’établissement d’une troisième voie. Nous souhaitons néanmoins ouvrir l’ensemble des bandes d’arrêts d’urgences au covoiturage durant les heures de pointes.

 

Le Luxembourg peut-il tenir les pressions des communes transfrontalières réclamant une compensation financière pour les frontaliers?

Oui, parce que le Luxembourg est un pays souverain et je peux vous dire que jamais le gouvernement ne fera cette rétrocession fiscale. Dominique Gros, le maire de Metz, est en campagne municipale et défend des propos qui ne sont plus adaptés à la réalité d’aujourd’hui. Je lui ai déjà expliqué que si demain le gouvernement était amené à faire ce calcul, il devrait y inclure le fait que le Luxembourg paie un tiers de la sécurité sociale des frontaliers qui bénéficieront, en outre, d’une retraite dépensée en France. Et alors le compte sera déficitaire.

Mais je ne veux pas entrer dans ces calculs. Je peux comprendre que les maires des communes soient intéressés à voir leurs budgets augmenter mais il n’y aurait alors pas de grands projets en commun qui profitent à la Grande Région. Le Luxembourg peut servir de levier pour débloquer à Paris et Berlin, plus d’argent pour des projets en commun.

 

Pourtant le Luxembourg pratique déjà une forme de compensation fiscale au bénéfice des communes belges; pour Arlon, cela représente 14% de son budget annuel…

L’argent que nous versons à la Belgique n’a rien à voir avec les frontaliers. Le «fonds Juncker-Reynders» est né de l’Union économique belgo-luxembourgeoise, destinée à amortir les effets de la différence de taux de TVA, en particulier sur le carburant, l’alcool et le tabac entre nos deux pays.

Le Luxembourg est tout à fait disposé à financer des projets concrets mais certainement pas à signer des chèques. Pourquoi ne pas utiliser le Luxembourg afin d’attirer plus d’entreprises dans le Grand Est? Le Luxembourg étant limité par son territoire, nous pourrions créer des zones communes implémentées en Lorraine et qui bénéficieraient de la Place financière et de ses services mondialement connus. Bien sûr, il faudra discuter de la fiscalité, de la sécurité sociale et de la TVA. J’ai déjà proposé d’entamer ces discussions avec mes homologues français mais je peux également vous dire que Monsieur Gros serait le premier à s’y opposer, et ce, par peur que ces zones soient au détriment de Metz. Ce qui est complétement faux dans la mesure où elles profiteraient à la région tout entière.

Je suis de ceux qui aimeraient penser la Grande Région sans les frontières mais discutons de la fiscalité des deux côtés.

 

Les communes luxembourgeoises connaissent un développement fulgurant mais dès que l’on passe les frontières, il y a comme un ralentissement et des infrastructures délabrées…

C’est pourquoi il faut se concentrer sur des projets communs et non sur des chèques. Le maire de Thionville l’a compris et sait saisir cette chance. Il est venu me voir avec un projet d’infrastructure pour la gare afin d’y installer un nouveau P+R. Nous n’avons pas attendu l’aval de Paris et avons cofinancé le projet qui sera inauguré dans quelques mois et nous ferons de même avec la gare de Longwy.

En discussion directe avec les élus locaux, nous pouvons imaginer d’autres projets profitants aux deux côtés des frontières.

 

Vous avez annoncé que vous ne serez plus ministre en 2023; est-ce là l’annonce d’une retraite de la politique?

C’est une chance d’avoir eu la confiance des électeurs durant dix années et je ne serai plus membre du gouvernement parce que deux mandats consécutifs suffisent à œuvrer. Si on n’arrive pas à faire bouger les choses en dix ans, alors il vaut mieux arrêter la politique.

Pour l’heure, c’est encore trop tôt pour savoir ce que je ferai ensuite et rien n’est encore sûr. Je voulais me retirer complètement mais avec ce qui est arrivé à Félix Braz, il est possible que je participe aux élections pour soutenir mon parti. Et si je suis élu je répondrai bien évidemment au mandat de député…

Lire sur le même sujet: