Du grand brûlé koala à la belle Gëlle Fra

Les températures extrêmes et les vents violents ne finissent plus d’attiser les flammes australiennes depuis cinq mois. Le bilan provisoire est lourd: 26 personnes tuées, plus de 2.000 maisons détruites, 100.000 déplacés, une facture chiffrée à 433 millions d’euros[1], des milliards d’animaux morts[2] et déjà 8 millions d’hectares de biodiversité réduits en poussière. Si les feux de brousse y sont endémiques, de nombreux scientifiques dénoncent les effets du changement climatique[3]. Or le climatosceptique Premier ministre australien Scott Morrison est aussi un ardent défenseur de la lucrative industrie du charbon qui produit un tiers des exportations mondiales. Macabre ironie pour celui qui déclarait en décembre 2019 sur Channel 9: «nous n’allons pas nous engager dans des objectifs irresponsables, destructeurs d’emplois et nuisibles à l’économie». Irresponsabilité politique ou déraison morale que de refuser la transition énergétique au prétexte de préserver un diamant noir destructeur de biodiversité et nuisible à ses propres concitoyens?

La durabilité du développement économique est tributaire de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Toutes les Greta du monde auront beau faire bleu, qui d’autre que le politique pour les contraindre au changement? Ce n’est pas comme si la semaine de 40 heures, l’interdiction du travail des enfants et les congés payés eurent été défendus par le capital tout de même, auquel cas la conscience citoyenne n’aurait pas de mouron à se faire. Le mouton lève-t-il les yeux au ciel en priant que le loup devienne herbivore? À l’espoir d’un alignement volontaire sur les bonnes pratiques, seule une réglementation contraignante, autrement dit le droit, répond à l’urgence de la situation. Mais l’écologie et l’économie ne se réconcilieront que si elles intègrent les enjeux sociaux et démocratiques.

Dans une société cadenassée par l’Ancien Régime, le libéralisme naît d’une impossibilité de penser et d’entreprendre librement. Se demander si le communisme est préférable au capitalisme est un débat du siècle dernier qui revient à penser le capital selon Marx, c’est-à-dire avec une date de naissance et de mort où la dictature du prolétariat fait transition. L’homme n’étant pas uniquement un être de culture mais également de nature, ce sont les marchés qui toujours remportent cette bataille idéologique. La problématique est moins le libéralisme que l’épithète qu’on lui accole; peut-il être écologique, social, durable, raisonnable? Oui, mais à la condition que le droit protège l’intérêt général de ceux sur qui le pouvoir s’exerce, c’est-à-dire le peuple.

Le citoyen ne finit plus d’être confondu avec un client et les services de communication, experts du maniement de la «novlangue», repeignent sous des couleurs attrayantes les tristes conditions actuelles. Une entreprise socialement responsable s’inscrit néanmoins pleinement dans la société qui la rend possible. Ses bénéfices, condition intrinsèque à sa prospérité, servent ses actionnaires mais aussi ses employés, ils profitent à la réduction de son empreinte écologique et participent au renversement de la paupérisation. Des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres et l’étage médiant des classes moyennes précaires sont à l’orée des migrations, de tensions sociales, de populismes politiques au pouvoir; autant de dangers pour tous les commerces.

Prenons Luxembourg-Ville, que reste-t-il du vivre-ensemble encore en vigueur jusqu’au milieu des «vingt splendides»? L’épicentre d’une augmentation des prix de l’immobilier (+11% en 2019) ne finit plus de repousser les plus bas salaires toujours plus loin. Réjouissement des patriciens certes, mais ô désespoir des plébéiens.

 


[1] Le Conseil des assureurs d’Australie a annoncé que les demandes de dédommagements reçues par les compagnies s’élevaient à 700 millions de dollars australiens (433 millions d’euros), un montant appelé à grimper.

[2] Selon les chercheurs de l’Université de Sydney. Ce chiffre inclut les mammifères, les oiseaux et les reptiles, mais pas les insectes ou les invertébrés.

[3] Selon le service européen Copernicus sur le changement climatique, 2019 a été la deuxième année la plus chaude dans le monde, concluant une décennie record. Le porte-parole des services météorologiques australiens, Jonathan How, a indiqué en ce début d’année que des températures records ont été enregistrées à Sydney (48,1 degrés) et Canberra (42,9 degrés) et qu’elles pourraient encore augmenter.

 

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