L’intégration par la pérennisation de l’emploi

Dans le cadre du projet pilote INTER-C visant à pérenniser l’emploi des réfugiés, Minusines a accueilli le 20 mai dernier un nouveau collaborateur, bénéficiaire de protection internationale (BPI), au sein de son équipe. Martine Neyen, responsable du projet INTER-C chez Touchpoints asbl, nous parle des défis rencontrés par ces personnes sur le marché de l’emploi et des démarches mises en place par Minusines pour favoriser leur intégration.

 

Comment est né le projet INTER-C et en quoi consiste-t-il?

Le projet pilote INTER-C a été lancé par l’asbl Touchpoints, en collaboration avec la Fondation Epi, qui nous fait bénéficier du réseau d’entreprises avec lequel elle travaille déjà, et avec la Fondation Losch qui nous finance.

Au départ de ce projet, nous avons observé qu’un certain nombre de réfugiés trouvant un travail ne le gardaient pas. Pour identifier les problèmes spécifiques liés à l’intégration des réfugiés dans des équipes de travail, nous avons interrogé les employeurs et les BPI pour dégager des tendances quant aux freins et facteurs de réussite à la poursuite d’une collaboration de travail.

Si l’apprentissage d’une à plusieurs langues ainsi que le manque de références des BPI sont souvent cités comme des freins, le plus grand facteur de réussite reste leur ouverture d’esprit par rapport à l’apprentissage d’un métier et pour la rencontre de nouvelles personnes. La preuve de compétences professionnelles est également un plus pour rassurer l’employeur.

Du côté des entreprises, l’ouverture d’esprit des dirigeants et des équipes est également essentielle. Le BPI ne sera peut-être pas le candidat idéal dès le départ, mais si l’entreprise investit un peu de temps dans sa formation et dans l’établissement d’une relation de confiance, il sera d’autant plus motivé et engagé dans son nouveau travail – cela a d’ailleurs pu se vérifier au sein de l’équipe de Minusines.

Grâce à notre réseau parmi différentes associations et entreprises, nous sommes bien placés pour jouer les intermédiaires informels entre les sociétés à la recherche de main d’œuvre et les réfugiés demandeurs emploi. Nous accompagnons ensuite les deux parties en leur fournissant des approches et outils tout au long de la démarche.

 

Quelles approches préconisez-vous pour pérenniser la relation de travail entre un employeur et un BPI?

Par exemple, au moment de l’embauche, il est important que l’employeur et le futur employé clarifient chacun leurs attentes. Ce qui peut sembler évident dans nos habitudes locales, avec une culture de l’écrit très développée, ne l’est pas forcément pour les BPI et il faut bien expliciter les tenants et aboutissants d’un contrat. Le BPI doit quant à lui s’assurer d’avoir bien compris l’entièreté des clauses et ne pas hésiter à poser des questions.

Il est également important que les deux parties soient au clair avec leur propre motivation. L’employeur doit savoir qu’il s’engage dans un processus où il investit du temps et de l’écoute en vue d’une relation de travail pérenne. Les BPI viennent en règle générale de pays où les figures d’autorité comme les instances gouvernementales ne sont pas bienveillantes. Il est donc essentiel de bâtir une réelle relation de confiance basée sur le dialogue. La motivation du BPI à se former à un travail et à s’investir dans son activité professionnelle est bien sûr tout aussi importante.

 

Parlez-nous de votre expérience chez Minusines…

Minusines avait déjà recruté deux bénéficiaires de protection internationale syriens en 2016. L’un d’entre eux ne parlait ni l’une des langues du pays, ni l’anglais. Pourtant, au contact de ses collègues, il a petit à petit appris à communiquer en français et luxembourgeois et est maintenant parfaitement intégré à son équipe. Son intégration a été facilitée par la culture de l’entreprise qui voyait cette situation comme du «donnant-donnant»: l’équipe l’a familiarisé avec ses modes de travail et le BPI a ouvert de nouveaux horizons culturels à ses collègues, de même qu’un exemple probant de résilience, de débrouillardise et de capacité à relativiser.

En début de cette année, j’avais moi-même prévenu l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés (ASTI) que Minusines était à la recherche d’un nouveau candidat pour un poste dans le département logistique. En effet, plutôt que d’adresser des dons à différentes associations, le conseil d’administration de l’entreprise avait pris la décision d’embaucher à nouveau un BPI, de l’aider à s’intégrer au sein de son équipe et de montrer l’exemple autour d’elle.

Un des candidats proposés par l’ASTI était  Paulos Eyob Habte, originaire d’Erythrée, que j’ai vu en entretien. Il m’a fait part de ses différentes expériences professionnelles et de stage ainsi que de ses attentes. Il voulait avant tout trouver une certaine stabilité dans son futur emploi, avoir la chance de continuer à se former et avoir des perspectives d’évolution au sein de l’entreprise. Son ouverture d’esprit et sa motivation m’ont fait une excellente impression. Lorsqu’il s’est présenté à Minusines, il a été retenu.

J’ai également eu un long entretien avec Laurent Saeul, administrateur délégué de Minusines, sur les défis et les opportunités liés à l’embauche d’une personne réfugiée. Nous avons pu aborder différents aspects, dont des réticences potentielles en interne. Je suis très satisfaite de voir aujourd’hui une entreprise et un candidat heureux de leur coopération.

Paulos Eyob Habte est très heureux d’avoir trouvé un emploi et s’investit beaucoup. Laurent Saeul dit même n’avoir que des échos positifs à son sujet! Nous n’avons donc pas eu à intervenir suite à une difficulté mais restons à disposition en cas de besoin. Des formations sont sont d’ores et déjà envisagées pour favoriser davantage l’intégration du nouveau collaborateur.

La particularité de ce cas de figure est que l’entreprise voulait dès le départ se lancer dans cette démarche. Nous n’avons pas vraiment dû les guider puisqu’ils étaient très motivés et à l’écoute par rapport à ce projet. Cette capacité d’adaptation en interne est toujours bénéfique pour une entreprise, car elle pourra également développer cette flexibilité vis-à-vis de ses clients.

 


 

Une intégration réussie

 

Paulos Eyob Habte, ancien réfugié, a bénéficié du projet INTER-C pour trouver un emploi. Aujourd’hui aide magasinier chez Minusines, il retrace son parcours, d’Erythrée jusqu’au Luxembourg.

«J’ai quitté mon pays natal, l’Erythrée, en 2013 pour des raisons politiques», débute Paulos Eyob Habte. Son parcours, il le doit à sa force de caractère, son mental et son optimisme. «J’ai d’abord trouvé un petit travail au Soudan. J’ai ensuite rejoint la Turquie en 2014 avant de naviguer jusqu’en Grèce pour me rendre à Athènes. A l’époque, j’avais pour objectif de m’installer en Norvège. On m’a pourtant conseillé de rejoindre ce petit pays qu’est le Luxembourg (sourire). Pour y arriver j’ai traversé plusieurs pays durant un an, à pied ou en bus: l’Albanie, le Monténégro, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne, pour arriver au Grand-Duché en 2015», se remémore-t-il.

 

«Je suis tellement heureux d’être ici»

Dès lors, Paulos Eyob Habte entame les démarches administratives et son abnégation lui permet d’obtenir les documents officiels en 2017. «J’ai mon passeport et ma carte d’identité. Je peux enfin vivre en paix, être libre de mes mouvements et surtout travailler! J’ai rarement ressenti une telle sensation, je suis tellement heureux d’être ici au Luxembourg», confie-t-il. Titulaire de l’équivalent d’un bac, l’ex-joueur de football en deuxième division érythréenne, puis militaire pendant 8 ans, se forme et poursuit ses études au Lycée technique d’Esch-sur-Alzette en tant que mécatronicien. «J’ai notamment suivi des cours de langues française et anglaise, c’est important pour s’intégrer. J’ai ensuite cherché des apprentissages mais je n’ai pas trouvé d’opportunités, personne ne m’a jamais vraiment donné la chance de prouver ce dont je suis capable».

 

«L’optimisme et la motivation définissent le parcours d’une personne»

C’est le fruit d’une rencontre qui accélère son processus d’intégration. «Je suis entré en contact avec Marc Piron de l’association ASTI. Il m’a guidé dans les démarches à effectuer et m’a mis en lien avec le projet INTER-C qui vise à pérenniser l’emploi des réfugiés. J’ai d’abord commencé auprès du CIGL, dans la production maraîchère biologique, avant d’effectuer un stage de six semaines chez Minusines, puis d’y obtenir un CDD et ensuite un CDI, le 20 mai dernier. J’espère en apprendre encore davantage. Pour le moment, mon intégration se passe très bien. En tant qu’aide magasinier, je suis en contact avec la clientèle, je cherche les différents produits, je les commande et je les prépare pour les livrer. L’ensemble des collaborateurs est à l’écoute et moi de même», se réjouit Paulos Eyob Habte. «Ici, j’ai découvert une autre culture, de nouvelles habitudes,… mais rien n’est insurmontable, il faut se battre pour réaliser ses rêves! J’ai appris que l’optimisme et la motivation définissent le parcours d’une personne». Son credo, «les actions parlent plus fort que les paroles», l’a emmené jusqu’au Luxembourg. Quant à ses mots, ils résonnent comme un admirable message d’espoir et d’inspiration.

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