Les espaces en mutation

L’architecture influe sur les personnes pour le meilleur et pour le pire. Cet art majeur de concevoir des espaces et de bâtir des édifices est dorénavant intrinsèque aux techniques qui les habitent. La modularité au gré des besoins, la mixité sociale, le confort intérieur et l’accessibilité pour tous sont au programme de ces quelques lignes. L’ingénieur Franck Doron, Team Manager chez Betic, répond à nos questions.

 

Peut-on dire que la mixité est dorénavant une tendance pour les nouveaux bâtiments du Grand-Duché?

S’il y a une tendance aux bâtiments mixtes au Luxembourg, c’est parce qu’ils sont une réponse à certains besoins du pays. Réunissant en un même lieu emplois, logements, activités commerciales, clubs sportifs, etc. ils sont antinomiques des cités dortoirs et de leurs déplacements pendulaires.

Donner la possibilité aux employés d’habiter à proximité de leurs entreprises et d’y trouver des services de tous les jours participe au désengorgement des routes. Ces lieux de vie différents offrent un dynamisme unique à ces quartiers.

 

En quoi la modularité des espaces peut-elle répondre aux besoins de ceux qui y habitent?

La grande majorité des commerces que nous livrons dans ces bâtiments mixtes sont modulables, ce qui veut dire que les espaces peuvent s’adapter aux nouvelles nécessités des résidents. Il peut s’agir d’une ancienne crèche que l’on transforme en salle de sport ou de l’arrangement des locaux en fonction des besoins d’une entreprise qui emménage par exemple.

Jusqu’à peu, détruire les murs, rajouter une annexe ou déménager – en revoyant l’intégralité du concept technique, donc en entraînant des coûts financiers importants – étaient les seules solutions aux changements de vie. Un couple qui emménage dans son logement souhaite utiliser un maximum d’espace pour les besoins de deux personnes mais les choses changent à la naissance des enfants. Il en va de même lorsque les enfants quittent le concon familial. Les besoins ne sont pas les mêmes au cours d’une vie et l’agencement des pièces peut alors être revu grâce à des cloisons amovibles ou légères, et ce, pour un budget très limité puisque les techniques ont également été pensées pour être adaptables.

Belval est un très bon exemple de quartier en pleine mutation. La résidence Jazz est opérationnelle depuis deux ans maintenant et comporte 96 appartements et une grande surface commerciale au rez-de-chaussée qui bénéficie à cinq blocs d’habitations voisins. Les startups, la salle de sport et les commerces présents offrent un certain dynamisme au pied de cette résidence où il fait bon vivre.

À quelques pas de là, les tours Capelli sont actuellement en cours de construction. Le rez-de-chaussée accueillera des commerces, les trois premiers niveaux seront réservés à des espaces de bureaux et une centaine d’appartements occuperont le reste des étages. Au troisième, la passerelle qui fera la jonction entre les parties opérationnelles et les habitations sera là aussi, un lieu de rencontres. Les étages, destinés à l’habitation, ont été pensés pour faire évoluer le «space planning». La centaine d’appartements ont été étudiés afin de pouvoir facilement déplacer les cloisons. Il a pour cela fallu réinventer des techniques, dont notamment le système de ventilation placé dans les faux plafonds.

 

Et qu’en est-il de la mixité sociale…

Je répondrai en citant le projet Gravity de Differdange qui est actuellement à l’étude. La Ville de Differdange investira 40 millions d’euros pour acheter 80 appartements dans ce futur complexe immobilier afin d’assurer la priorité aux personnes à revenus modestes, en proposant les logements à coût modéré.

Ce projet réunira 3.500 m2 de commerces, 3.000 m2 de bureaux, de nombreux appartements, une crèche, un espace de «coliving» comprenant 120 studios meublés pour des séjours de courte ou moyenne durée (essentiellement à destination d’étudiants ou de jeunes travailleurs), des jardins, etc. Gravity est donc pensé à la lumière de la mixité sociale. La rue intérieure agrémentée de bancs et de végétation sera un lieu de rencontres et de discussions pour le voisinage. Il en va de même pour la serre sur le toit où un espace potager sera à disposition des habitants. Il y a donc une véritable volonté des communes d’offrir une solution concrète aux problématiques de coût du logement dans le pays, comme le montre la Ville de Differdange. Bien que tous les critères n’aient pas encore été définis, on sait déjà qu’une partie de ce nouveau parc sera réservé à la population senior et à des familles qui, sans cette aide, ne pourraient être logées dans des conditions décentes.

En outre, une grande partie du bâtiment est conçue dans l’optique de son démantèlement futur. Ses matériaux pourront ainsi être réutilisés ou recyclés, ce qui réduit fortement son impact environnemental. Gravity est donc un très bel exemple de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, à savoir des bâtiments aux fonctions mixtes créant du lien social, aux prestations de qualité mais financièrement abordables et s’inscrivant en plus dans une logique d’économie circulaire.

 

L’accessibilité est-elle aussi l’une de vos préoccupations?

Effectivement et d’ailleurs une loi ambitieuse prévue pour 2020 est actuellement en cours de discussion. Son objectif est notamment d’assurer un minimum de 10% d’appartements conçus et adaptés pour les personnes à mobilité réduite mais elle tiendra également compte des besoins des personnes en situation de handicap sensoriel, cognitif et psychologique. Elle entrainera donc clairement des changements importants dans les dessins architecturaux futurs mais également dans ceux des techniques spéciales (portes plus larges pour les fauteuils roulants, salles de bains adaptées, espaces de cuisine plus fonctionnels, accessibilité à l’entrée, systèmes d’alerte visiophone, etc.).

 

«La technique est morte, vive la technique» est un slogan qui vous oblige à vous réinventer…

Effectivement, mais ce n’est qu’un slogan parmi nos slogans. Tout le travail d’un bureau d’études en techniques spéciales est, par essence, de s’adapter aux tendances actuelles, d’inventer celles à venir, de veiller aux mauvaises idées, et c’est clairement notre philosophie.

Nos métiers sont passionnants dans la mesure où ils se réinventent constamment. Je prends pour exemple l’intégration toujours plus importante des outils numériques. Il nous sera bientôt possible de visualiser le projet final en 3D en se promenant sur le chantier avec des lunettes d’immersion. La technologie existe déjà mais reste encore à l’améliorer. Nous pourrons alors la coupler à nos nouvelles méthodes de travail, notamment le BIM (Building information modeling), ce qui révolutionnera encore notre manière d’aborder un projet.

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