Le financement vert: une réelle opportunité pour le Luxembourg?

Comment réconcilier capitalisme vert et économies alternatives? Quels sont les liens manquants entre l’industrie financière et les entreprises locales qui aspirent à des pratiques économiques plus durables? Le Dr Sabine Dörry, chercheuse associée au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), et Christian Schulz, professeur en géographie et aménagement du territoire à l’Université du Luxembourg, se sont donné pour objectif d’identifier les points d’intersection potentiels en analysant le profil de la finance verte luxembourgeoise.

 

«Il y a tout d’abord un problème de définition, ou pour être plus précise, un problème de manque de définition», explique le Dr Sabine Dörry. «La frontière entre les investissements durables et ceux dits normaux n’a pas encore été clairement établie. De plus, il y a une grande variété de stratégies d’investissement durable. Au sens large, la finance verte comprend les domaines ou projets d’investissement qui sont durables au regard de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Mais de nombreux actifs verts sont encore gérés selon la logique d’une finance financiarisée. Ils se focalisent davantage sur la maximisation du profit économique que sur des investissements à portée sociale et environnementale. Encore plus ambitieuses sont les stratégies d’investissement à impact social (impact investing). Ici, l’objectif est d’investir uniquement dans des projets où l’impact environnemental et/ou social peut être mesuré. Comment comparer ces différentes approches d’investissement? Comment savoir dans quelle mesure ces investissements sont verts, durables et générateurs d’impact? Franchement, nous l’ignorons. C’est aux hommes politiques, à l’industrie, aux chercheurs et à la société civile de trouver une définition commune de la finance verte. Autant dire qu’il s’agit d’une tâche gigantesque!»

 

Les centres financiers déconnectés de l’économie réelle

Un autre aspect de cet enjeu fondamental est le fait que les centres financiers internationaux, dont le Luxembourg, restent la plupart du temps confinés dans le secteur financier et sont encore largement déconnectés de l’économie réelle. «Même s’ils occupent le même espace géographique, la finance globale et l’environnement économique local ne communiquent pas nécessairement entre eux», poursuit le Dr Sabine Dörry. «Les institutions financières préfèrent collaborer avec d’autres institutions financières dans les autres centres financiers. Nous cherchons précisément à analyser le degré de perméabilité entre ces deux unités géographiques, à savoir le global et le local: d’un côté, le centre financier en tant qu’importante plateforme de savoir financier et de l’autre, les environnements locaux et régionaux en recherche de financement pour rendre leurs économies plus durables et plus vertes».

«Cela n’implique pas automatiquement que la finance verte doit être locale et à petite échelle», intervient Christian Schulz. «Les économies régionales sont tellement diverses que même si les acteurs économiques parviennent à harmoniser la définition de la finance verte, ils devront adapter leurs stratégies pour combler les besoins de financement de chaque région ou communauté. Imaginez un investisseur institutionnel qui cherche à investir dans un ambitieux projet de reforestation mais ignore totalement son impact sur la région et sa communauté. A première vue, le projet semble prometteur. Pourtant, à y regarder de plus près, ce projet de reforestation pourrait chasser de leurs terres les petits fermiers du coin. Aussi longtemps que l’industrie financière persiste dans sa logique du rendement le plus élevé à tout prix, il y aura toujours le risque que tous les rendements ne soient pas durables dans le vrai sens du terme. La grandeur d’échelle pourrait également poser un problème. Les investisseurs privés, qui possèdent d’énormes portefeuilles d’actifs bloqués (stranded assets) [1] et représentant des milliards de dollars, sont de plus en plus incités à se désinvestir des énergies fossiles au profit d’investissements verts mais l’offre de projets durables à grande échelle est trop limitée pour répondre à cette importante demande».

 

Une industrie naissante encore trop fragmentée

«Cette fragmentation de l’industrie financière verte est compréhensible et normale à ce stade», observe le Dr Sabine Dörry. «C’est un nouveau secteur et nos sociétés sont dans un processus de transition. Le Luxembourg est à cet égard un banc d’essai idéal pour observer et analyser l’élaboration et la modification des structures financières, modèles et stratégies politiques et économiques durables.  Le pays a pris des mesures décisives visant à mettre en place et à améliorer les normes de qualité. Citons, entre autres, l’agence luxembourgeoise de labellisation des fonds (LuxFLAG), une autorité compétente pour certifier les produits financiers comme les obligations vertes, les investissements relatifs au changement climatique et la microfinance et pour confirmer leur conformité avec les critères ESG, ainsi que le récent lancement du Luxembourg Green Stock Exchange, une bourse exclusivement dédiée à la cotation d’instruments financiers verts se conformant à des critères stricts d’éligibilité. Mais un grand nombre de ces initiatives prometteuses reste encore déconnecté».

«Les stratégies existent et doivent être examinées et analysées en profondeur», conclut Christian Schulz. «Le rôle des décideurs politiques locaux est non négligeable dans ce processus d’écologisation. Quelles sont leurs idées et leurs approches? Quels sont leurs besoins spécifiques? Nous sommes au tout début de notre projet de recherche, qui a pour objectif de renforcer les liens entre la finance verte et les stratégies économiques vertes, et actuellement, nous avons beaucoup plus de questions que de réponses».

[1] Plusieurs investissements, en particulier ceux relatifs à l’énergie fossile, pourraient devenir des actifs bloqués.  Parmi les raisons qui expliquent la dévaluation de ces actifs, citons les règlements nationaux limitant l’usage de l’énergie fossile (empreinte carbone), une modification de la demande (par exemple, une plus forte demande en énergie renouvelable en raison des coûts plus faibles de l’énergie) ou même une action légale.

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