Pour une agriculture de raison

Un proverbe perse dit qu’«une centaine de citadins ne peuvent dénouer le nœud fait par un paysan». La réalité est que l’industrie agro-alimentaire défait les traditions agricoles ancestrales depuis presque un demi-siècle. Le Luxembourg semble pourtant à l’abri des productions de masse, des fermes aux mille vaches et des scandales sanitaires qui secouent régulièrement l’Europe. Rencontre avec Romain Schneider, ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural.

 

Si l’agriculture est victime du dérèglement climatique, elle en est aussi l’une des responsables; quel est le modèle qui pourrait assurer une production alimentaire respectueuse de l’environnement?

Les agriculteurs sont en première ligne de la défense des ressources naturelles dans la mesure où ce sont eux qui sont dans les prairies, champs et forêts. Les études concernant le changement climatique dénoncent des moteurs beaucoup plus pollueurs que l’agriculture qui est à moins de 10%. Je pense néanmoins qu’elle est prête à prendre ses responsabilités.
Ces dernières années, nous avons beaucoup fait, notamment par le biais de l’incitation volontaire. Sur les 120.000 hectares réservés à l’agriculture, 60.000 hectares sont couverts par des mesures agro-environnementales (eau, sol, biodiversité, etc.). Depuis l’année passée, nous sommes même passés à 51% de prairies permanentes par rapport à la surface totale, ce qui permet, entre autres, de récupérer le CO2 et d’avoir un élevage en plein air.
L’agriculture a des responsabilités et les jeunes agriculteurs y sont sensibles. Prêts à prendre les directions qui s’imposent, ils y voient même des opportunités. Tout le monde sait que d’ici cinq à dix ans, il n’y aura plus de place sur le marché pour les produits sans indication d’emballage quant à la non-utilisation des OGM, des pesticides ou de la réduction de CO2 par exemple. Les cahiers des charges sont de plus en plus stricts en la matière et ceci parce que la demande des consommateurs en termes de transparence est de plus en plus grande. Il existe encore de nombreuses étapes pour parvenir à une agriculture plus responsable mais il n’existe pas d’autre alternative.

Un point quant à la propagation du virus de la peste porcine africaines…

Le Luxembourg est pour l’heure, toujours exempt de la peste porcine africaine sur son territoire. Cela vaut aussi bien pour les exploitations porcines que pour les sangliers. Nous avons testé plus de 200 sangliers trouvés morts dans la nature et aucun cas n’a été détecté. La Belgique en trouve dans le sud de la Wallonie mais ni le Luxembourg, ni la France, ni l’Allemagne ne semblent actuellement en être victime.

Le nouveau modèle de mise en œuvre de la Politique Agricole Commune prévu pour 2020, entend passer d’une politique de conformité à une politique de résultat. Les craintes d’une réduction de 15% des aides accordées sont-elles fondées?

Elles pourraient l’être mais cela dépend encore des deux grandes incertitudes que sont le Brexit et la planification pluriannuelle de l’Union européenne encore en discussion. Nous ne pouvons donc pas encore savoir quel sera le budget de la PAC dans les années à venir.
Ce qui est certain, c’est que le Luxembourg, par les mots du ministre des Finances et des miens, s’est déjà engagé à maintenir au niveau national les aides accordées aux agriculteurs même en cas de diminution du budget au niveau européen.

30% des aides sont actuellement liées à des sujets environnementaux; accorder plus d’autonomie aux pays membres n’est-ce pas le risque que chaque pays puisse faire ce qu’il veut en termes de règles environnementales?

J’ai moi-même contribué à élaborer la réforme de la PAC 2014-2020 qui a été fondée sur un développement durable de l’agriculture; force est de reconnaître la complexité de son système et de ses procédures. L’idée est d’intégrer certains aspects de développement durable dans la prime de base avec des conditionnalités et des obligations concrètes. Certes, il n’y aura plus une seule PAC identique dans tous les pays membres, les objectifs relatifs à la réduction du CO2 pourront par exemple différer selon les stratégies nationales, mais il y aura néanmoins un cadre commun.

Les agriculteurs peuvent-ils espérer une diminution de la charge administrative?

Dans la mesure où la charge actuelle pèse déjà trop sur leurs épaules, il faut veiller à l’alléger. À chaque conseil des ministres ou réunion de travail, il est rappelé que la place d’un agriculteur, c’est sur le terrain.
C’est pourquoi au niveau national, nous privilégions la digitalisation pour que l’agriculteur ne doive encoder qu’une seule fois les données. La plus grande partie des demandes de primes sont depuis l’année passée réalisables en ligne, ce qui facilite beaucoup les contraintes administratives.
La politique agricole commune qui a été faite pour le marché unique doit être perçue comme une plus-value et non comme un frein à son métier mais cela dépendra beaucoup de la composition politique au niveau européen…

Le tissu agricole européen s’est construit durant des siècles afin de coller au plus proche des populations; l’agriculture industrielle a-t-elle irrémédiablement détruit ce modèle du consommer local?

Il faut pouvoir faire cette distinction mais le Luxembourg n’a pas d’agriculture industrielle. Nous n’avons pas d’élevage industriel, ni de présence trop importante de bêtes dans les étables. Je pense que l’avenir de l’agriculture européenne passera par le retour des petites et moyennes exploitations de meilleure qualité. Certes, cela sera difficile à réaliser uniformément dans tous les pays mais la nouvelle PAC s’oriente déjà vers les jeunes, les petites et les moyennes structures.
De nombreux agriculteurs luxembourgeois réalisent une vente directe aux consommateurs. Les campagnes d’information et les événements des derniers mois nous prouvent qu’il y a une réelle demande. Que ce soit «Fro de Bauer», «De Bauerenhaff an der Stad» ou encore la Foire agricole d’Ettelbruck, c’est toujours la même volonté de mettre le visage du producteur sur le produit. Cela permet de créer, ou de recréer un lien entre le consommateur et l’agriculteur.
Mon ambition est d’améliorer l’image de marque de l’agriculture dans les années à venir et le meilleur moyen pour y parvenir est de montrer ce qui s’y fait.

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