Un marché du travail mi-figue, mi-raisin

Entre revalorisation du salaire social minimum et hausse du taux de chômage ou encore rémunération des stages pour jeunes et dégradation des conditions de travail, la situation sur le marché de l’emploi est en demi-teinte. Six mois après le début de son mandat au ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Dan Kersch commente cet état des lieux mitigé. Interview.

 

Depuis le début de l’année, le taux de chômage ne cesse d’augmenter et s’établit, au 31 mai, à 5,5% selon les calculs du Statec. Comment expliquez-vous cette hausse?

Précisons que, avant d’augmenter, le chômage a baissé pendant presque un an. L’économie tournait et, avec toutes les actions menées à l’ADEM, cela nous a permis de réduire le chômage. Maintenant, on constate, dans certains secteurs économiques, un certain ralentissement qui se répercute directement sur le taux de chômage. D’autre part, les dernières discussions sur un éventuel changement du système européen des allocations de chômage ont amené beaucoup de frontaliers à s’inscrire à l’ADEM, ce qui a naturellement fait augmenter nos chiffres. Bien que rien n’ait encore été décidé, les frontaliers ont compris qu’ils avaient la possibilité de s’inscrire comme demandeurs d’emploi au Luxembourg. Nous les inscrivons comme nous l’avons toujours fait, sans problème, contrairement à ce qui a été dit.

 

Selon la Chambre des salariés (CSL), les demandeurs d’emploi en situation de handicap ou à capacité de travail réduite et à la recherche d’emploi depuis plus d’un an peinent toujours à se réinsérer sur le marché du travail. Quelles sont les mesures qui peuvent être prises par le politique pour améliorer leur situation?

C’est tout à fait vrai. J’ai récemment eu une grande réunion avec les ateliers protégés, qui occupent pour le moment quelques 1.120 travailleurs avec le statut handicapé, et je leur ai annoncé que je voulais faire passer ce chiffre à 2.000 avant mon départ du ministère. D’autre part, je veux créer davantage de synergies avec ceux-ci et les initiatives sociales pour employer des salariés qui ont le statut de personne en reclassement professionnel externe. Trop de gens se trouvent exclus du marché de l’emploi seulement parce qu’ils ont été reclassés. C’est un réel problème car beaucoup de main d’œuvre et de savoir-faire s’en trouvent inexploités. Actuellement, il y a 34 initiatives sociales qui emploient quelques 2.000 salariés. Je veux vraiment trouver un accord avec les initiatives sociales et les ateliers protégés pour qu’ils embauchent davantage dans leurs secteurs administratifs respectifs.

 

Mesure phare du gouvernement, la revalorisation du salaire social minimum vient d’être actée ce mardi 25 juin à la Chambre des députés. Quels bénéfices les salariés peuvent-ils attendre?

Ils peuvent espérer ce que nous avions promis. Concrètement, les salariés auront 100 euros nets supplémentaires par mois, autrement dit 1.200 euros par an, ce qui est déjà important. De nombreuses personnes nous disent maintenant que ce n’est pas assez, d’autres estiment que c’est intenable pour les petites entreprises. Personnellement, je crois que c’est un bon compromis. Pour moi, c’est une question d’honnêteté, d’équité. Il est important que ceux qui travaillent aient la possibilité de vivre décemment. C’est pour cela que j’ai soutenu cette revendication dès le début. Pour le parti [ndlr: LSAP], c’était une ligne rouge: si nous n’avions pas réussi à persuader nos partenaires de l’importance de cette mesure, nous ne serions pas entrés dans le gouvernement. Nous les avons persuadés et nous l’avons fait.

 

Fin mai, à l’issue d’une réunion avec les représentants de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL), des associations d’étudiants ACEL et UNEL, et de la CSL, vous avez assuré que tous les stages pour jeunes seraient rémunérés par les entreprises. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur ce projet de loi?

Ce projet avait déjà été déposé par mon prédécesseur. Les premières consultations avaient révélé un désaccord entre les syndicats, la CSL et les organisations des étudiants. J’ai remis tout le monde autour de la table et nous avons trouvé des solutions. Si le projet de loi est voté par la Chambre des députés, tous les stages seront rémunérés suivant des normes que nous aurons définies. Je suis vraiment satisfait que nous ayons trouvé un accord qui convienne à l’UEL en modifiant la prescription sur le nombre maximal de stagiaires par an. Nous nous sommes aussi mis d’accord sur le fait que les étudiants devaient avoir, dans l’entreprise qui les accueille, un partenaire qui les suive et qui rédige un compte-rendu de leur travail afin qu’ils aient une référence pour se présenter devant d’autres patrons par la suite.

 

Selon le «Panorama social 2019» dressé par la CSL, les conditions et la qualité de l’emploi au Grand-Duché semblent se dégrader: précarisation, travail dans l’urgence, charges mentale et émotionnelle élevées, difficulté grandissante à trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, … Quel est votre sentiment par rapport à ce constat? Et quels sont les moyens que vous désirez développer pour améliorer le bien-être au travail?

Il ne faut pas se contenter de citer la CSL; d’autres études vont dans la même direction. Mais je crois qu’il faut nuancer: on ne peut pas dire qu’il y ait une augmentation du stress ou du harcèlement dans tous les secteurs du marché du travail. Il faut toutefois voir les problèmes qui surgissent. Et, c’est vrai, on en rencontre beaucoup plus qu’il y a dix ans. Je crois qu’il faut réagir dans deux domaines. Le premier, c’est le dialogue social dans l’entreprise. Je fais tout pour que davantage d’entreprises adoptent une convention collective de travail. Malheureusement, je vois que l’évolution prend une direction contraire. On en arrive alors à une situation où le législateur doit prendre ses responsabilités et il y a deux choses à faire: premièrement, renforcer cet instrument qu’est la convention collective, par exemple, en donnant plus de flexibilité aux entreprises et, deuxièmement, renforcer le code du travail. Le droit du travail a été créé pour protéger les plus vulnérables dans la relation entre patrons et salariés et, traditionnellement, ce sont les salariés. S’il y a de moins en moins de contrats à durée indéterminée et de plus en plus de relations qui ne sont pas couvertes par le code du travail, alors il faut réagir et adapter ce dernier à l’évolution du marché. C’est ce que nous sommes en train de faire.

 

Actuellement, la digitalisation du marché du travail reste encore assez abstraite pour bon nombre de salariés. Toutefois, le développement des compétences pour faire face à la révolution numérique fait partie de vos priorités. Comment le gouvernement entend-il préparer la population active à affronter ce défi?

La formation est essentielle pour faire face à la révolution numérique. J’en reviens dès lors à la problématique de la convention collective car il y est clairement établi que le patron doit assurer une formation continue à ses salariés. Or, ceux qui n’ont pas signé pareille convention n’ont pas ce droit qui est primordial pour exister dans le monde du travail. Si l’écart devait encore se creuser entre les uns et les autres, il reviendrait au législateur de l’inscrire dans le code du travail. C’est ce dont je discute actuellement avec les patrons.

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