Un nouveau momentum pour l’intelligence artificielle

Depuis quelques années, avec la mise à disposition de grands volumes de données et les nouvelles capacités technologiques l’intelligence artificielle (IA) s’est de nouveau installée au cœur de toutes les discussions politiques et économiques. Philippe Pierre, associé secteur public, Laurent Probst, associé transformation digitale, Jacques Vandivinit, directeur secteur public, et Bertrand Pedersen, manager innovation et transformation digitale, chez PwC Luxembourg, nous font part de leur vision de la situation en matière d’IA en Europe et au Luxembourg, ainsi que des avantages et défis tant pour le secteur public que privé.

 

Qu’entend-on par intelligence artificielle?

BP: L’intelligence artificielle désigne les systèmes qui font preuve d’un comportement intelligent en analysant leur environnement et en prenant des mesures, avec un certain degré d’autonomie, pour atteindre des objectifs spécifiques.
Les systèmes dotés d’IA peuvent être purement logiciels, agissant dans le monde virtuel (assistants vocaux, logiciels d’analyse d’images, moteurs de recherche ou systèmes de reconnaissance vocale et faciale, par exemple) mais l’IA peut aussi être intégrée dans des dispositifs matériels (robots évolués, voitures autonomes, drones ou applications de l’internet des objets, par exemple).
Nous utilisons l’IA au quotidien, par exemple pour traduire différentes langues, générer des sous-titres dans des vidéos ou bloquer des pourriels.

 

Existe-il un cadre règlementaire relatif à l’IA en Europe?

PP: Au cours des 18 derniers mois, la Commission européenne a jeté les bases d’un nouveau cadre européen de développement de l’intelligence artificielle avec la publication du plan coordonné pour le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle «made in Europe»1 et plus récemment du rapport du groupe d’expert sur les actions à mener pour faire face aux  enjeux éthiques, juridiques et de société liés à l’IA, (Ethics Guidelines for Trustworthy AI)2.

LP: Au travers de ce nouveau cadre, l’Europe invite les Etats membres à une collaboration accrue afin de créer cet environnement de confiance. L’Europe reste première en matière de publication sur l’IA: en 2017, 28% des publications sur l’IA proviennent d’auteurs européens, suivi par la Chine (25%) puis les USA (17%)3.
L’intelligence artificielle connaît une croissance exponentielle. Selon une enquête récente menée par PwC, l’apport de cette technologie à l’économie mondiale pourrait atteindre jusqu’à 13 billions d’euros à l’horizon 2030, grâce aux opportunités que celle-ci représente en matière d’innovation et d’amélioration de la productivité.
L’impact de l’IA sur la productivité transforme à ce point l’avantage concurrentiel des entreprises que celles qui n’adoptent pas cette technologie ou ont peur de franchir le pas pourraient voir leur part de marché se réduire sensiblement et leur modèle économique devenir obsolète. L’IA peut constituer une garantie de pérennité. En tenant compte des prévisions économiques actuelles, il est aisé de comprendre que les États et leurs secteurs publics doivent prendre les devants pour rester à la page.
L’IA pourrait offrir des opportunités extraordinaires de résolution des grands défis auxquels la société est aujourd’hui confrontée. Dans le secteur de la santé par exemple, de nombreuses applications existantes ou à venir vont améliorer les actions de façon considérable. La gestion des dossiers médicaux et d’autres données ainsi que l’analyse des soins de santé existent déjà. L’IA pourrait mettre l’Europe sur la voie de meilleurs soins préventifs et personnalisés. Elle pourrait être utilisée pour le développement de pratiques environnementales plus écologiques afin de prévoir la consommation d’énergie, de permettre des flux de circulation intelligents et d’optimiser les moteurs, pour ne citer que quelques exemples.
Le perfectionnement des compétences des travailleurs est d’une importance double: il contribuera non seulement au développement des entreprises mais il permettra également de prévenir les risques de pertes d’emplois. D’un point de vue économique, une solution face à la pénurie de talents numériques et de scientifiques de données constitue un défi majeur en Europe.
L’impact de l’IA sur les emplois est un effet secondaire fréquemment observé, notamment car l’IA permet d’automatiser les tâches plus répétitives et plus simples et «déplace» les travailleurs, tout en exigeant des compétences spécialisées qui peuvent se développer et fonctionner avec les applications de l’IA. Même si une majorité d’emplois sera appelée à évoluer, moins de 10% des emplois sont effectivement en danger. L’objectif ultime de l’IA n’est pas de remplacer les humains mais de les accompagner dans leurs prises de décisions. Les employés devront apprendre à travailler avec l’IA et il s’agira d’une transformation gigantesque, à la fois d’un point de vue culturel et opérationnel.

PP: En Europe, comme dans le reste du monde, nous devons trouver une façon de prévoir l’évolution du marché du travail, de déterminer les compétences nécessaires et, ensuite, nous devons nous assurer de l’acquisition de ces compétences d’une façon qui ne laisse pas les générations futures à la traîne de la transformation digitale.

 

Peut-on parler d’une réelle stratégie d’IA?

JV: La confiance et la déontologie semblent être deux sujets inévitables dans le monde virtuel. Nombreux sont ceux qui se méfient de l’IA et certaines questions éthiques soulevées par l’IA nécessiteront un consensus à l’échelle européenne. Le développement d’une IA éthique constituerait également un moyen pour l’Europe de se différencier de ses concurrents internationaux tels que les États-Unis et la Chine.

LP: Ce processus est déjà en route. La Commission européenne est depuis longtemps consciente de l’importance et du potentiel de l’IA, ainsi que du besoin de réaliser des investissements importants dans ce domaine. L’approche en matière d’IA est pleinement intégrée à sa stratégie pour un marché unique numérique. (Digital Single Market strategy)
Afin d’accompagner la mise en œuvre de la stratégie européenne, la Commission européenne a formé en 2018 un groupe d’experts sur l’intelligence artificielle. Sa mission comprendra l’élaboration de recommandations sur le développement futur de politiques liées à l’IA.

Quelles sont les incidences à prévoir sur l’Union européenne?

JV: L’IA figure en tête des priorités politiques des institutions européennes mais aussi de celles des gouvernements nationaux. Un nombre croissant d’initiatives se dessinent, témoignant de la volonté des dirigeants nationaux d’épouser le changement amené par l’IA. 

PP: Dans le prolongement de sa stratégie adoptée en avril 2018, la Commission européenne a présenté un plan coordonné, préparé en collaboration avec les États membres, afin d’encourager le développement et l’utilisation de l’IA en Europe. En outre, d’ici à la mi-2019, tous les États membres devraient avoir mis en place leur propre stratégie, présentant les niveaux d’investissement et les mesures d’implémentation autour de partenariats public-privé, des compétences, des capacités de support à l’innovation, des nouvelles infrastructures digitales, de l’adaptation de l’environnement réglementaire et de la collaboration internationale. À l’heure actuelle, plusieurs pays tels que l’Allemagne, la Finlande, la France et le Royaume-Uni ont lancé des initiatives dans le domaine. 

BP: L’insuffisance des capacités de calcul de l’UE pour répondre aux besoins actuels des scientifiques et des industries de l’UE représente un défi auquel l’Europe doit faire face. Le développement du calcul de haute performance («high performance computing» ou HPC) et de services de cloud au sein de l’UE est d’une importance fondamentale pour permettre l’expansion des entreprises et des capacités tout en répondant aux problématiques de confidentialité, de protection et de propriété des données et de secret commercial lors de l’utilisation de prestataires externes.4

 

Au niveau national, quels sont les défis liés à l’IA?

JV: Les centres de recherche du Grand-Duché n’ont pas attendu pour lancer depuis quelques années des projets de recherche appliquée permettant de collecter et nettoyer des données et de les exploiter avec de nouveaux algorithmes dans des domaines tels que la santé, l’espace, la sécurité ou la lutte contre la fraude.
De nouveaux projets stratégiques comme l’équipement des 200 km d’autoroute avec la France et l’Allemagne pour tester les voitures autonomes et permettre de mieux définir les bonnes politiques publiques.
C’est à ce stade qu’intervient le calcul de haute performance. Le Luxembourg devrait avoir son propre superordinateur en 2019. Cofinancé par l’Europe, il sera ultérieurement connecté au réseau EuroHPC mondial.

BP: Le Luxembourg représente un incubateur idéal avec son accès aisé aux preneurs de décisions, son modèle social inclusif, ses infrastructures modernes, sa capacité à s’adapter aux nouvelles tendances et sa neutralité. Ces critères amenant le pays vers une «Smart Nation». Aussi, dans le cadre du projet EuroHPC, des applications seront développées permettant d’atteindre cet objectif, l’idée étant que les capacités de ce superordinateur peuvent être utilisées afin d’améliorer la vie quotidienne, la qualité des services publics et la compétitivité de l’économie.
Le mois de février 2019 a d’ailleurs vu l’annonce que le Luxembourg allait devenir le premier pays européen à établir un partenariat avec NVIDIA (société de haute technologie et fabricant de puces graphiques) visant à la fondation d’un programme de formation européen.
Le Grand-Duché se prépare pour se positionner dans le monde du numérique et de l’IA. Le paysage numérique luxembourgeois a grandi de façon rapide et impressionnante. L’ère de l’IA soutenue par une vision humaine et la construction d’un cadre de confiance ouvrira sans nul doute de nouvelles opportunités.

 

1 L’intelligence artificielle pour l’Europe, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52018DC0237&from=GA

2 Ethics Guidelines for Trustworthy AI, https://ec.europa.eu/futurium/en/ai-alliance-consultation

3 2018 AI Index report, http://aiindex.org/

4 The European High-Performance Computing Joint Undertaking – EuroHPC https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/eurohpc-joint-undertaking

 

 

 

 

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