Les Routes de la Soie ou la toile de l’araignée rouge

Le faramineux projet de 1.000 milliards de dollars, si cher au président chinois, entend rouvrir les routes ancestrales de la soie. Depuis 2014, ce sont déjà quelques 400 milliards qui ont été injectés dans les infrastructures autoroutières, portuaires et ferroviaires afin de relier l’Extrême Orient à l’Europe et l’Afrique. Sont concernés 65 pays, soit 60% de la population globale et un tiers du PIB mondial.

La mini-tournée européenne de Xi Jinping est marquée par la signature du protocole d’entrée de l’Italie, troisième puissance européenne et premier pays du G7 à rejoindre l’accord. Il faut dire que les perspectives sont relativement alléchantes pour le port de Trieste à la pointe Nord-Est, en déclin depuis soixante-dix ans et qui deviendrait le point logistique stratégique de la route maritime européenne. Selon le quotidien économique Il Sole 24 Ore, les accords pour les ports de Trieste et de Gênes porteraient sur 20 milliards de dollars. Pékin investit également massivement dans le port du Pirée en Grèce ou dans le fournisseur historique d’électricité portugais. D’autres comme la Géorgie ou la Hongrie tentent de se faire une place logistique parmi ces nouvelles cartes géographiques. Le Luxembourg en est déjà, d’une part via sa plateforme multimodale de Bettembourg mais également pour sa Place financière; quatre accords bilatéraux entre la Bourse de Luxembourg et celles de Shanghai et de Shenzhen, mais aussi avec la Clearing House of Shanghai et la Bank of China, ont été signés le 27 mars 2019.

Macron, Merkel et Juncker, extrêmement prudents quant au projet chinois, ont essayé de donner le visage d’une Europe unie. Néanmoins, comment le «multilatéralisme» – expression si chère au président français – pourrait-il se suppléer aux intérêts propres des Etats membres afin de «défendre la souveraineté européenne»? C’est à en perdre son latin et de fait, l’Europe divisée peine à se donner une ligne politique claire face à Pékin.

Le pied de nez de la Chine, signant le juteux contrat de 35 milliards de dollars avec Airbus au détriment de Boeing, a de quoi raviver l’hostilité des États-Unis qui voient bien évidemment d’un très mauvais œil l’énorme influence géopolitique chinoise s’assoir à sa table de gendarme du commerce mondial.

Dans les faits, deux discours s’opposent. Celui du pessimisme qui redoute le cheval de Troie dissimulant la domination impériale à venir et celui de l’optimisme qui applaudit l’ouverture commerciale contre le protectionnisme ambiant. Nées il y a plus de 4.000 ans, les Routes de la Soie furent un pont entre l’Occident et l’Orient où passaient les produits exotiques, les inventions, les idées nouvelles mais aussi des armées conquérantes et des maladies comme la peste noire. La domestication du cheval aura permis d’importer la soie chinoise dont raffolait la bourgeoisie romaine et d’exporter des produits de luxe; Louis XIV y envoya des milliers d’érudits jésuites; la poudre servit sur les champs de bataille du XIVe siècle ou à l’extraction minière du XVIIIe, le papier à la propagation des idées nouvelles et à l’art du dessin, le télescope à la perspective de notre anthropocentrisme, les récits de Marco Polo et les épices aux goûts pour l’étrangeté venue d’ailleurs…

Les Routes de la Soie furent bien plus qu’un réseau commercial, les caravanes parcourant les immensités de l’Eurasie rebattirent les cartes géographiques, élargirent les champs des possibles et firent un trait d’union entre les civilisations qui façonna le monde que l’on connait.

Voltaire voyait dans la Chine une société de la méritocratie en opposition au privilège d’hérédité de l’Ancien Régime, une nation gouvernée par la raison et éclairée par les intellectuels. Les masques du XVIIIe se sont quelque peu renversés dans le théâtre contemporain où l’on a désormais coutume de dire que si l’Amérique innove, l’Asie produit et l’Europe réglemente. Toute la question est peut-être de savoir dans quelle mesure l’Europe pourra-t-elle se passer d’une innovation et d’une production qui lui sont propres?

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