L’information géographique 3.0

En tant que gestionnaire des documentations foncières et cartographiques de référence, l’Administration du Cadastre et de la Topographie (ACT) met à disposition les géodonnées indispensables à toute planification touchant à l’aménagement général du territoire et permet le fonctionnement du marché immobilier grâce à une gestion efficace de la propriété foncière. L’ACT est donc à la fois le gestionnaire de la propriété immobilière et le fournisseur des données géographiques au Luxembourg. Interview croisée du directeur Alex Haag, ingénieur géomètre aux 28 ans de maison, et de son adjoint, Bernard Reisch, ingénieur topographe qui en affiche 27.

 

Quelles sont les missions principales de l’ACT?

AH: Nous pourrions les diviser en trois grands volets. Le premier concerne la création, la gestion, la mise à jour et la diffusion des documentations foncières et cartographiques officielles au Luxembourg. Le deuxième relève de la mensuration officielle réalisée par les géomètres et le dernier gère les réseaux géodésiques nationaux.

BR: Outre la direction, l’administration qui compte quelques 130 personnes est organisée en trois départements qui regroupent sept divisions, eux-mêmes subdivisés en différents services.

Le département du cadastre s’occupe des divisions de la mensuration officielle, des mutations cadastrales, du cadastre vertical et de la conservation. Celui des services centraux regroupe les services administratifs et techniques. Et enfin le département de la topographie réunit la cartographie et la géodésie.

 

Comment pourrait-on présenter votre administration?

AH: Le cadastre est un enfant de la Révolution française, et ce, à des fins de contributions dans ce qui était alors le Département des Forêts. Après la domination française, c’était un décret du Roi des Pays-Bas du 6 avril 1816 qui ordonna la continuation des mensurations cadastrales qui aboutirent en 1830. Nous connaissons donc depuis lors, tous les propriétaires du Grand-Duché.

À la Première Guerre mondiale, l’impôt foncier a laissé place à l’impôt sur le revenu et le cadastre a joué un rôle moins important dans le volet fiscal. Ce qui était encore un département des contributions devient, après la Seconde Guerre mondiale, une administration autonome. C’est à ce moment-là que la technique s’y est développée.

 

Qu’est-ce que le Géoportail?

BR: À la fin des années 2000, ce n’était encore qu’un projet interne à l’administration. La directive européenne «Inspire» de 2007, qui visait à établir une infrastructure d’information géographique harmonisée pour favoriser la protection de l’environnement, a néanmoins changé la donne.

Nous avons donc utilisé le Géoportail que nous avions déjà développé en interne pour le rendre accessible à tous. Le Géoportail national officiel du Grand-Duché de Luxembourg est une plateforme officielle étatique qui a pour but de rassembler, décrire et servir les géodonnées officielles du pays. On y retrouve des cartes et divers portails cartographiques avec des centaines de couches de données couvrant des sujets divers, allant de l’arrière-fond topographique, l’environnement, le cadastre, l’eau, l’infrastructure, l’aménagement du territoire au tourisme et à l’agriculture. Une boutique en ligne offre des cartes, banques de données, données raster et vecteur, extraits cadastraux ainsi que d’autres produits issus du monde des géodonnées. On peut également y retrouver un catalogue, des services en ligne, un «crowd editing» (pour créer ses propres cartes), et bien d’autres choses encore.

Il est au service de tous, du citoyen au développeurs web, en passant par les administrations et ministères.

 

Quels impacts ont eu les évolutions technologiques dans vos activités?

BR: La première grande révolution a été le GPS qui permet désormais à tout un chacun de créer des données localisées. Nous utilisons actuellement le service de positionnement par satellites (SPSLux) composé de six stations GPS permanentes et fixes qui permet d’améliorer la précision de la localisation par GPS par la méthode du mesurage différentiel (DGPS). Ce procédé permet de réaliser des localisations de précision au centimètre près et en temps réel pour les utilisateurs professionnels du secteur civil. Nous devrions l’année prochaine migrer vers Galileo qui est le système de positionnement par satellites (radionavigation) développé par l’Union européenne.

La cartographie a également sensiblement changé au cours de la dernière décennie. Utilisée pendant des siècles sous forme de simple carte sur papier par une minorité d’initiés, la cartographie s’est développée en quelques années vers un outil universel performant appelé système d’information géographique (SIG). Il y a 30 ans à peine, il fallait un plan et des épingles là où le LiDAR permet désormais de réaliser un balayage aérien laser en 3D.

Je me souviens encore de la première fois que nous avons découvert Google Earth. Les professionnels que nous étions avions le sentiment d’avoir été dépassés au cœur de notre métier de topographe. C’était alors un formidable moteur d’amélioration et nous sommes fiers d’avoir, quelques années plus tard, pu vendre nos données topographiques à Google.

L’interconnexion entre la technique et l’informatique est toujours plus importante dans notre domaine et c’est pourquoi il faut que plus de jeunes s’immiscent dans l’ingénierie. Car force est de reconnaître notre mal à trouver une relève de talents.

AH: Le plan cadastral a lui aussi connu ses évolutions techniques. Nous disposons d’une banque de données volumineuse de deux siècles que nous avons digitalisée dans les années 2000 déjà. Nous sommes aujourd’hui le seul cadastre en Europe, cohérent, référencé et géographiquement en continu où toutes les parcelles se touchent sans qu’aucune ne se superpose ou ne laisse de clivage entre elles.

 

Quelles sont les nouvelles législations qui vous ont impactées?

AH: Il y a eu tout récemment l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal concernant la diffusion des produits cadastraux datant du 10 août 2018 qui entend accorder au citoyen un droit d’accès aux informations de l’administration. Juste auparavant, il y a eu le RGDP (règlement général sur la protection des données); dans la mesure où nous assurons la mission légale de publication de l’information foncière depuis longtemps, il nous a été relativement facile de nous y conformer. Une restriction encadre néanmoins les demandes de propriétaires en masse, pour les informations de toute une rue par exemple, pour lesquelles il faut une attribution légale de la part du demandeur.

Nous avons également dû nous conformer à la directive PSI (Public Sector Information) qui vise à fixer un ensemble minimal de règles concernant les moyens pratiques destinés à faciliter la réutilisation de documents existants détenus par des organismes des États membres de l’Union européenne.

Dans l’élaboration du règlement du 10 août 2018, nous avons aussi suivi les recommandations gouvernementales en matière de «digital first» et «once only». Cette dernière entend à ce que ce soit les administrations, et non les citoyens, qui aillent chercher l’information où elle se trouve. Les administrations peuvent donc télécharger nos informations dans un système open data, gratuitement et de manière digitale via le Géoportail.

Un dernier mot quant à notre tarification. Bien que la profession eut été libéralisée, le cadastre continue de réaliser des mensurations officielles pour lesquelles il facture ses prestations. Dans la mesure où nos tarifs étaient deux fois inférieurs à ce qui était pratiqué dans le privé, nos tarifs ont été adaptés en 2018. Car plus de 50% de la production de la mensuration officielle se fait désormais par le privé.

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