Un marché en pleine mutation

Depuis peu ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Dan Kersch vient d’entamer un mandat qui s’annonce chargé. Alors que la digitalisation se poursuit dans tous les secteurs d’activité et entraîne avec elle de nombreux bouleversements au niveau de l’emploi et de la formation continue des travailleurs, d’autres défis se profilent à l’horizon comme la réforme européenne concernant les allocations de chômage. Le ministre Dan Kersch parcourt avec nous les prochaines mutations qui attendent le marché du travail et nous parle des moyens qu’il entend développer pour améliorer la qualité de vie des travailleurs. Interview.

 

La digitalisation impacte le marché de l’emploi à tous les niveaux. Comment aider les entreprises et leurs employés à opérer cette transition?

Nous avons mis en place différentes formes d’aides, dont le projet pilote Luxembourg Digital Skills Bridge, par exemple, visant à soutenir les entreprises. Ce dernier a notamment démontré que la digitalisation représente à la fois des chances et des dangers pour les salariés. Nous devons en effet anticiper des conséquences de la digitalisation comme le chômage qu’elle impliquera par la simplification et l’automatisation des processus et le besoin grandissant de qualification des employés. Pour ce faire, nous devons former dès aujourd’hui les employés aux nouveaux défis qui nous attendent.

Le projet se poursuit et nous en analysons en parallèle les premiers résultats pour l’adapter aux réalités de terrain. Par exemple, toute entreprise peut actuellement demander une aide financière étatique pour la formation de ses employés; or, je suis d’avis que les entreprises devraient porter davantage la responsabilité et le financement de la formation de leurs employés, et ce, à hauteur de leurs moyens. Il faudrait établir un système de barème, différenciant les entreprises pouvant réaliser un effort par elles-mêmes et celles ayant besoin de l’aide de l’Etat pour y parvenir.

Un certain nombre de conventions collectives prévoient déjà un droit à la formation pour leurs salariés et il faudrait que cela devienne une obligation légale. Il s’agirait là d’une opportunité pour chaque partie: la formation continue permettrait à la fois aux employés de régulièrement mettre à jour leurs compétences et aux entreprises de conserver une main d’œuvre qualifiée et compétente.

 

Le taux de chômage s’élève aujourd’hui à 5,1%. Toutefois, il pourrait connaître une hausse, notamment avec l’avènement de la digitalisation et la réforme européenne obligeant le dernier pays employeur à assumer les allocations de chômage des demandeurs d’emploi. Comment affronter ces bouleversements?

Dès l’application du nouveau règlement de l’Union européenne portant sur les allocations de chômage, les travailleurs européens recevront en effet leurs indemnités par le dernier pays les ayant employés. Nous devrons donc inscrire tous les travailleurs frontaliers dans nos statistiques, ce qui représente une augmentation significative! Le Luxembourg se trouve dans une situation unique puisque presque la moitié de ses emplois sont occupés par des frontaliers. Nous bénéficierons à ce titre d’une période de sept ans d’adaptation pour trouver des arrangements avec les pays voisins, réformer l’organisation de l’administration de l’emploi et trouver le budget nécessaire.

Nous projetons de mettre en place un accompagnement individuel et efficace de chaque chercheur d’emploi. Si toutefois le nombre de demandeurs venait à doubler, le temps accordé à chaque personne et la qualité de l’accompagnement s’en verraient impactés. Nous devrions alors fournir des efforts supplémentaires dans le recrutement interne à l’administration de l’emploi et dans la formation. Ce changement législatif européen représente un intérêt économique pour les pays frontaliers, mais ne constituera donc pas en soi un progrès social pour les travailleurs! De plus, lorsqu’un travailleur se trouvera confronté à un membre d’une administration étrangère ne parlant pas sa langue, il rencontrera certainement davantage de difficultés qu’au sein du système actuel. Le Luxembourg a souligné ces difficultés auprès de l’Union européenne avec le soutien du comité de défense des intérêts des frontaliers français, sans que le gouvernement français n’en tienne compte.

Par ailleurs, suite à une adaptation de la législation sur le revenu minimum, l’Adem sera désormais en charge de déterminer l’inaptitude au travail. Revoyant l’ensemble de la liste de personnes touchant actuellement des allocations d’incapacité de travail, l’Adem estime à ce stade qu’environ 60% des personnes jusqu’ici jugées inaptes pourront prochainement être réintégrées au marché du travail. Cette réforme fera donc, dans un premier temps, gonfler le taux de chômage.

 

Quelles solutions permettraient de faire reculer le taux de chômage?

Je suis persuadé qu’il faudra investir davantage dans la formation initiale mais surtout continue; il s’agit là d’une responsabilité sociétale que nous devrons partager avec les entreprises.

Comme tous les autres pays européens, nous avons des difficultés à trouver de la main d’œuvre qualifiée et sommes toujours à la recherche d’ingénieurs ou de talents dans l’informatique. Si renforcer la formation initiale ou rechercher des talents à l’étranger font partie des solutions envisagées, je pense qu’à long terme, nous devrons prioritairement former les demandeurs d’emploi à ces métiers en pénurie. Cette formation doit se faire à tous les niveaux d’enseignement et s’adapter aux besoins de compétences que l’on retrouve sur le marché de l’emploi.

 

Vous avez déclaré vouloir aider les travailleurs à mieux concilier vies professionnelle et privée. Quels sont les moyens que vous désirez développer en ce sens?

Lorsque j’étais ministre de la Fonction publique, j’ai développé un projet de compte épargne temps (CET) pour le secteur public en accord avec les syndicats. Sur cette base, mon prédécesseur au poste de ministre du Travail, Nicolas Schmit, a ensuite réussi à dégager un arrangement avec les partenaires sociaux pour la mise en place d’un projet de loi équivalent pour le secteur privé; il sera voté à la Chambre des députés dans les plus brefs délais. Nous travaillons également à l’intégration du droit à la déconnexion dans la législation, en s’inspirant du modèle français à ce sujet.

Notre programme gouvernemental prévoit aussi la création du droit au temps partiel avec garantie de retour à un temps plein si l’employé le désire. Pendant la période de temps partiel, le travailleur sera rémunéré selon le pourcentage d’heures prestées mais ses cotisations sociales seront payées à 100%, la différence étant prise en charge par l’Etat.

Un des points les plus sensibles que nous étudions pour offrir une meilleure qualité de vie aux travailleurs est le télétravail. Les négociations fiscales sont en cours avec les pays frontaliers mais elles sont difficiles et n’évoluent pour le moment pas. Pourtant, trouver un accord d’imposition serait bénéfique en premier lieu pour les frontaliers. Nous encourageons d’ailleurs ces derniers à interpeller leurs gouvernements respectifs à ce sujet.

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