La stratégie d’un e-Luxembourg

Pour la première fois de son histoire, le Luxembourg a créé un ministère de la Digitalisation avec le Premier ministre à sa tête. «Ce portefeuille illustre la volonté gouvernementale de placer la digitalisation au centre de ses préoccupations». Brice Lecoustey, associé responsable du département Conseil et Digital Leader chez EY Luxembourg, nous propose quelques pistes de réflexion stratégique en vue d’un e-gouvernement. Interview.

 

Qu’est-ce qu’un e-gouvernement?

C’est un gouvernement qui se caractérise par l’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ses administrations visent à améliorer leur fonctionnement interne et disposent de guichets électroniques qui rendent les services publics plus accessibles à leurs usagers.

Le Luxembourg pourrait, à l’horizon 2023, rendre ses démarches administratives relatives aux citoyens et aux entreprises réalisables en ligne. Aussi l’Etat offrirait de nouveaux services numériques optimisés et davantage de données circuleraient d’une administration à l’autre.

Un tel chantier implique des principes structurants et des objectifs à courts et moyens termes qui convergent vers un état-plateforme.

  

Quels seraient ces principes structurants?

Numériser les procédures existantes simplifierait la relation entre le citoyen et son administration. Nous pourrions néanmoins en profiter pour transformer en profondeur l’expérience de l’usager. L’un des principes structurants pourrait être de n’encoder qu’une seule fois ses informations et d’éviter ainsi les itérations. Ce qui, de facto, nécessite une meilleure circulation des données entre les différentes administrations. Cette interconnectivité serait assurée via des plateformes performantes et sécurisées.

La dématérialisation des démarches administratives et leur simplification faciliteraient aussi l’acceptation des usagers. Une campagne d’information et un accompagnement personnalisé seraient assurés à l’attention des citoyens les moins à l’aise avec les outils numériques.

 

Quelles sont les nouvelles attentes du citoyen et comment cet e-gouvernement pourrait y répondre?

Le citoyen est dorénavant soucieux de son empreinte écologique mais également de celle de son administration. Souhaitant économiser du temps et des déplacements, il est aussi attentif à la transparence des affaires qui le concernent. Une administration digitale fait l’économie du papier, d’horaires fixes, de trajets et de temps. De plus, les démarches génèrent une traçabilité électronique des dossiers qui permet de suivre l’évolution de sa demande en toute transparence.

Les nouvelles technologies offrent dorénavant des outils biométriques qui donnent lieu à une identification en toute sécurité. La biométrie couplée à la dématérialisation des documents administratifs offre la possibilité au citoyen de télécharger puis d’imprimer ses certificats de résidence, de composition de ménage, de mariage et autres depuis son domicile. Avec son Dossier de Citoyen Partagé (DCP), il serait en mesure d’attacher les pièces demandées directement en ligne. L’intelligence artificielle (IA) serait également utile dans l’apprentissage des langues, de la prononciation, de l’écriture et améliorerait les délais de traitement des dossiers courants.

L’implémentation d’un e-gouvernement engendrera non seulement de nouveaux services mais aussi de nouvelles politiques publiques qui seront plus encore orientées à la lumière des attentes du citoyen. On pense bien évidemment aux cahiers de doléances qui existent depuis le XIVe siècle, beaucoup utilisés par Louis XVI et qui reviennent sur le devant de la scène française au travers du grand débat. Les plateformes digitales sont l’occasion de mieux faire remonter les attentes des citoyens. Ce qui peut engendrer, dans un laps de temps très court, le déploiement de nouvelles politiques publiques.

 

Comment mettre en place un tel projet?

Élaborer un plan de cette nature est une question de mois et sa lisibilité nécessite des projets profitants au citoyen dans un délai de six à neuf mois, puis de deux à cinq ans pour les plus complexes.

Les enjeux interministériels et inter-administratifs nécessitent aussi un accompagnement tant au niveau humain que technologique. Le ministère de la Digitalisation veillerait au bon déroulement des opérations, au respect des délais et aux objectifs à atteindre.

Une méthodologie commune de réflexion, de validation, d’application et d’évaluation conduira à une coordination des projets numériques qui est intrinsèque à l’interopérabilité d’un état-plateforme.

 

Et pour quels gains de productivité?

Il est impératif de comprendre l’investissement technologique mais aussi les coûts de pilotage, de formation des agents publics, de communication, etc. Les types de gains de productivité qui sont souhaitables et ceux qui ne le sont pas relèvent d’un choix de société. Il est néanmoins certain que dans le secteur public, les gains de productivité ne sauraient rimer avec la réduction des effectifs humains. Il s’agit au contraire de rendre un meilleur service avec une meilleure utilisation des ressources existantes. Dans une approche d’amélioration du service au citoyen, l’administration pourrait optimiser ses capacités actuelles en affectant ses forces de travail à des missions nouvelles. Elle pourrait pour ce faire, implémenter des outils numériques qui exécutent les tâches répétitives en traitant de grands volumes de données en un temps record. Déchargés du fardeau administratif répétitif, les agents du service public pourraient se consacrer à du conseil personnalisé et à des tâches plus complexes qui nécessitent une appréciation humaine.

 

Qui sont les meilleurs élèves en matière de e-gouvernement?

Avec 80% de la communication écrite entre les autorités publiques et les usagers qui se fait par voie électronique, le Danemark est l’un des pays européens où l’usage du numérique au sein de l’administration est le plus répandu. Depuis 2005, la stratégie numérique du Danemark est conduite par le ministère des Finances qui supervise l’Agence pour la numérisation et dirige le comité de pilotage réunissant les communes, les régions ainsi que les autres ministères. Fruit de ce travail intersectoriel et multiniveau, la stratégie numérique 2016 – 2020 a pour objectifs d’améliorer les relations avec les usagers, de soutenir le développement des entreprises et de créer une infrastructure informatique performante et robuste.

L’Estonie est également un bon exemple car depuis 2013, elle a lancé une stratégie pour favoriser la croissance économique via le digital avec e-Estonia. Les Estoniens ont pensé la notion d’Etat comme une plateforme de services qui met le citoyen en son centre. Cet Etat réinventé entretient des liens étroits avec le secteur privé et notamment avec les startups. Les orientations de l’Etat et la simplification des démarches administratives ont un impact considérable sur la vitalité du tissu économique.

On imagine là toutes les similitudes possibles avec «Digital Lëtzebuerg» car un e-Luxembourg pourrait lui aussi pousser plus encore l’écosystème des TinTechs, d’ICT, de manufacture 2.0, de BigData, d’IA et de cybersécurité.

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