L’intelligence artificielle et le service public

Le Luxembourg connaît actuellement une croissance démographique de 12.000 nouveaux résidents par an. Signe de l’attractivité du Grand-Duché, cette formidable croissance engendre néanmoins des défis quant aux infrastructures administratives, sociales et routières. Yves Even, associé responsable du secteur privé et des entrepreneurs, et Brice Lecoustey, associé responsable du département Conseil et Digital Leader chez EY Luxembourg, assurent que les technologies cognitives peuvent aider à les relever.

 

En quoi la digitalisation du service public, et plus précisément l’intelligence artificielle (IA), pourrait-elle aider le service public?

BL: La croissance démographique engendre de facto une croissance en besoins et le service public se doit d’y répondre afin de conserver le pouvoir d’attractivité du pays. Dans une approche d’amélioration du service au citoyen, l’administration pourrait optimiser ses ressources existantes en affectant ses forces de travail aux missions adéquates.

Elle pourrait pour ce faire, implémenter des outils d’intelligence artificielle qui exécutent les tâches répétitives en traitant de grands volumes de données en un temps record.

YE: Il en va également du bien-être des agents du service public qui, déchargés du fardeau administratif répétitif, pourraient se consacrer à du conseil personnalisé et à des tâches plus complexes qui nécessitent une appréciation humaine.

Aujourd’hui, pour chaque nouvel arrivant, s’ensuit une multitude de dossiers introduits auprès de plusieurs administrations. Dans un souci de respect des délais de traitement, l’IA pourrait facilement gérer les dossiers courants ainsi que délivrer les documents adéquats.

 

Les problèmes de mobilité peuvent nuire à l’attractivité des travailleurs, est-ce qu’une corrélation similaire serait à craindre avec des temps de traitement administratif trop importants?

BL: Dans la mesure où le Luxembourg se positionne dans des secteurs économiques tels que l’IT ou les ressources minières spatiales, il lui faut faire venir des compétences rares sur le marché local et européen. Attirer ces profils spécialisés au Luxembourg depuis la Californie, l’Asie ou même Londres n’est pas évident, et simplifier leur parcours de nouveau citoyen renforcerait notre attractivité sur la scène internationale. Si l’ambition de notre pays est d’attirer ces profils afin de mettre en place une économie digitale, il faut que leurs démarches administratives puissent se faire de manière digitale.

YE: Le Luxembourg a les compétences nécessaires afin d’introduire des outils d’intelligence artificielle. Cette maturité en infrastructures et en savoir-faire lui offre maintenant l’opportunité d’optimiser et de réduire les tâches qui consomment à la fois du papier et du temps précieux.

Il faut reconnaître certaines avancées en matière de simplification des démarches, telles que Guichet.lu ou macommune.lu. L’introduction de l’IA dans l’arrière-guichet serait une étape supplémentaire à franchir. L’IA pourrait mettre en place une interconnectivité de ces plateformes, un échange d’informations et une automatisation partielle des traitements.

Une première piste de réflexion pourrait porter sur l’identification unique via un Dossier Citoyen Personnalisé (DCP). Échelonné avec différents degrés d’autorisation selon les administrations et dans un respect de la protection des données, le DCP faciliterait la communication entre le citoyen et son administration.

 

Quelles seraient les priorités d’une simplification digitale des processus du secteur public?

BL: Nous pourrions dans un premier temps optimiser le parcours du nouveau citoyen et plus précisément faciliter ses enregistrements administratifs (commune, CNS, demande de visa,…). Il serait possible de simplifier les procédures en ligne, d’améliorer les temps de traitement et de créer des interactions entre les différentes administrations.

Un deuxième axe de travail serait semblable mais pour le parcours de l’entrepreneur. Là aussi les règles et les procédures sont claires et la House of Entrepreneurship a déjà mis en place des processus digitaux. Les temps de traitement pourraient être raccourcis et les différentes étapes reliées entre-elles via le digital.

Puis, dans la mesure où la croissance démographique s’accompagne de facto d’une croissance des investissements, une troisième orientation serait l’optimisation de nos dépenses budgétaires. L’automatisation des processus via les technologies cognitives permettrait de répondre efficacement à la demande croissante en optimisant nos moyens, en améliorant la qualité de services, tout en valorisant le travail de l’agent du service public.

Enfin, l’amélioration de la mobilité des personnes apparaît comme une priorité. L’IA, pourrait tenir compte des éléments météorologiques, prédire les embouteillages et informer en temps réel sur les meilleurs moyens de transport, en combinant les véhicules individuels, le covoiturage, le vélo, la trottinette, les trains, le tram et les bus par exemple.

YE: Le système de billetterie administrative qui centralise et gère les demandes d’un citoyen au sein d’une administration est un outil efficace et facile d’utilisation. Les nouveaux outils digitaux mis à la disposition des citoyens doivent être utilisables par tout un chacun.

Pour que l’avènement du digital devienne une réalité, une prise de conscience entrepreneuriale, salariale et peut-être avant tout, citoyenne est nécessaire. Heureux de constater que la nouvelle équipe gouvernementale s’inscrit pleinement dans cette continuité. Le fait que le Premier ministre Xavier Bettel soit aussi le ministre de la Digitalisation est un signe fort, à la fois dans le développement d’une culture numérique pour les citoyens, mais aussi dans le renforcement du hub numérique européen qu’est le Luxembourg.

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