Montrer patte blanche

Les Babyloniens l’utilisaient pour signer des poteries en 5000 av. J.-C., les Chinois sur les contrats commerciaux dès 1900 av. J.-C. mais il a fallu attendre Alphonse Bertillon pour que les empreintes digitales soient utilisées dans l’identification des criminels au début du XXe siècle. Depuis, la biométrie a fait du chemin puisqu’avec les nouvelles technologies, le visage, le réseau veineux, la voix, l’ADN mais aussi la démarche, le comportement et même la manière de taper sur un clavier d’ordinateur peuvent dorénavant servir à identifier un individu. Ce qui ouvre un horizon de possibilités sur la sécurité, l’expérience clients mais aussi sur les enjeux démocratiques dans les pays émergeants. Interview de Serge Hanssens et Philippe Pierre, respectivement associé Advisory spécialisé dans la «Smart Identity» et associé en charge du secteur public et responsable mondial des institutions européennes pour le réseau Global de PwC.

 

Qu’entend-on par «Smart Identity»?

PP: La vérification de l’identité des personnes physiques s’effectue aujourd’hui encore essentiellement via les cartes d’identités et les passeports. Le papier, même avec les filigranes, présente cependant des failles importantes à travers lesquelles passent faux et usage de faux. Le passeport biométrique où sont stockées les empreintes digitales est une avancée dans la sécurité qui permet de gagner un temps considérable au passage des frontières automatisées.

Une identité intelligente s’émancipe du papier et utilise les nouvelles technologies pour relever les caractéristiques physiques propres à un individu et ainsi, vérifier son identité.

 

Quels sont les lieux propices à son implémentation? 

SH: On imagine tout l’intérêt de la biométrie dans le passage aux frontières et plus précisément pour celles des aéroports. Nous savons que le trafic aérien va doubler dans les 20 prochaines années et si simplifier le passage aux frontières s’avère indispensable, c’est bien évidemment à la condition de ne pas mettre à mal la fiabilité des contrôles. Les technologies numériques offrent dorénavant des outils biométriques qui améliorent à la fois la rapidité des passages (de moitié) et la fiabilité du contrôle (99%).

La biométrie intéresse aussi le secteur privé et plus particulièrement les grands groupes qui cherchent à proposer une nouvelle expérience client plus simple et sécurisée. Je pense tout particulièrement aux secteurs hôtelier et bancaire, de la location de voiture, de la grande distribution et des véhicules autonomes. Déverrouiller les portes de son véhicule où auront été livrées les provisions que l’on aura commandées durant la journée, accéder à sa chambre d’hôtel ou même pénétrer dans son établissement bancaire ne se fera plus en montrant ses papiers mais en déposant son index sur un boitier, en prononçant une phrase ou en regardant un objectif.

PP: La biométrie deviendra une commodité d’usage dans un avenir proche. Son enjeu dépasse cependant le cadre du secteur privé et de la sécurité. Avoir une identité est un concept qui n’existe pas encore dans toutes les régions du monde. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, près d’un milliard de personnes n’ont aucune forme d’identité. Ce qui pose des problèmes quant à leurs droits fondamentaux, démocratiques, judiciaires et à leurs accès aux services élémentaires. L’Inde a par exemple utilisé la biométrie afin de limiter la fraude en matière d’aides sociales et détient un fichier qui pèse 1,23 milliard de citoyens. D’autres pays émergeant ou en développement pourraient l’utiliser afin de donner une identité juridique propre à chaque citoyen. Mais quid des infrastructures et du respect des droits de l’Homme? Puisque financés par des bailleurs de fonds internationaux, ces projets pourraient astreindre l’hébergement des données dans des juridictions stables et de confiance, dans un ’Etat de droit comme en Europe par exemple – notons que le Luxembourg répond à ces critères politiques, juridiques et techniques.

 

Dans quelle mesure peut-on imaginer une implémentation luxembourgeoise à plus grande échelle?

SH: La réglementation relative aux clients évolue et se base sur les principes du consentement et de l’alternative entre deux systèmes au choix. C’est néanmoins plus compliqué pour les employés d’une entreprise au regard de la relation contractuelle qui les lie à l’employeur.

En France, la CNIL a établi une réglementation spécifique sur l’utilisation de la biométrie et des réflexions sont actuellement en cours au Luxembourg afin d’élargir le cadre d’application de la loi.

PP: Les caractéristiques morphologiques d’une personne physique sont des données personnelles qui relèvent du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Elles doivent donc, à ce titre, être traitées et conservées dans le respect des libertés individuelles tout en garantissant le plus haut niveau de confidentialité et de sécurité.

Pays neutre, au cœur de l’Europe, doté de compétences de qualités et d’infrastructures de haut niveau, le Luxembourg a l’opportunité de devenir un écosystème international de la biométrie. Et ce, dans l’hébergement des données ou la conception des plateformes d’identités privées et publiques attirant de nombreuses sociétés actives dans un marché mondial en pleine expansion.

 

En quoi la biométrie pourrait intéresser le secteur public? 

PP: C’est une plus-value dans la sécurisation des sites stratégiques et sensibles comme les centres de données, les hôpitaux, les centres administratifs et les lieux de production énergétique. Si la technologie du badge, actuellement la plus répandue est certes moins onéreuse, elle est également peu fiable. D’ailleurs, les coûts tendent à se démocratiser et de nombreux appareils numériques offrent déjà des solutions biométriques.

La croissance démographique du pays fait subir une pression constante sur les administrations telles que la CNS ou l’ADEM par exemple. L’établissement d’un Dossier Citoyen Partagé (DCP) et d’un Dossier de Santé Partagé (DSP), couplés à de la biométrie et de l’IA (Intelligence Artificielle), seraient des pistes d’améliorations.

SH: Nous menons actuellement différents projets à échelles nationale et internationale pour des acteurs privés et publics (transport aérien et ferroviaire, secteur de l’énergie, institutions européennes, Nations unies, et Etats, …). Notre déploiement offre un point de vue holistique sur le processus des phases stratégiques jusqu’à l’implémentation. Conception de nouveaux usages, l’expérience ‘client’, inventaire des technologies, avantages et inconvénients, coûts, programme d’implémentation, tests et audits, cybersécurité, la force de PwC est d’inclure dès les premières réflexions, des juristes et des experts (métier et techniques) afin que les solutions soient dessinées sur mesure et conçues en fonction du meilleur équilibre entre facilité, coût et sécurité.

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