Blockchain: une solution contre la fraude à la TVA?

KPMG

La fraude à la TVA représente chaque année des milliards d’euros de revenus perdus pour l’Union européenne. Parmi ses différentes formes, c’est la fraude à la TVA transfrontalière qui est à l’origine des pertes les plus conséquentes et KPMG Luxembourg présente un concept innovant, basé sur la technologie blockchain, pour lutter contre celle-ci. Laurence Lhote, Indirect Tax Partner, et Quentin Warscotte, Indirect Tax Associate Partner, nous en détaillent le fonctionnement.

 

Quel manque à gagner représente la fraude à la TVA au sein de l’Union européenne?

QW: La TVA est une taxe indirecte, c’est-à-dire que les personnes qui en subissent le coût ne sont pas celles qui la reversent à l’Etat. Au Luxembourg par exemple, la collecte est effectuée au travers de 75.000 assujettis, dont certains peuvent être défaillants.

En 2014, l’écart TVA en Europe (soit la différence entre les recettes théoriques et celles effectivement récoltées) était de 170 milliards d’euros, ce qui représente 17% du total des recettes. Cet écart reste théorique et n’est pas forcément entièrement lié à la fraude, toutefois les statistiques montrent que la fraude à la TVA intracommunautaire représente 50 milliards d’euros perdus par an. Le Luxembourg est quant à lui un bon élève au sein de l’UE avec un écart TVA de seulement 3,8%.

 

Comment la technologie blockchain pourrait éliminer la fraude à la TVA?

LL: La blockchain est un enregistrement permanent et immuable de toute une série de transactions en temps réel au sein d’un réseau de nœuds. Pour qu’une transaction puisse être effectuée, toute une série de croisements d’informations sont nécessaires. Cette technologie peut s’appliquer à la perception de la TVA: nous proposons d’utiliser le concept de croisement d’informations pour vérifier la nature correcte de chaque transaction et la valider en amont, et ce, tout au long de la chaîne, jusqu’au consommateur final qui en supporte le coût.

QW: La blockchain appartient à la famille des technologies «Distributed Ledger Technology» (DLT) qui implique une notion de distribution. Plutôt que d’avoir un point central de validation de la transaction, cette dernière s’approuve via un croisement d’informations au sein d’un réseau avant de s’inscrire dans un registre décentralisé.

LL: En appliquant la technologie blockchain à la perception de la TVA, la vérification des transactions se fait en temps réel. Cela implique de pouvoir détecter beaucoup plus rapidement les anomalies, au contraire des contrôles réalisés a posteriori et au cours desquels une anomalie peut mettre des mois à être détectée, le risque étant que la personne malintentionnée ait disparu dans la nature entre temps. Avec la blockchain, il serait possible d’agir plutôt que de réagir, en fonctionnant grâce à un réseau de nœuds impliquant chacun une validation décentralisée. En cas d’incohérence, la transaction sera bloquée et l’information transmise aux autorités fiscales quasiment en temps réel. Cela représente des gains de temps et d’argent car la fraude est stoppée avant d’être concrétisée!

 

Pouvez-vous nous donner un exemple de solution qu’il serait possible d’implémenter sur base de cette technologie?

QW: Nous avons développé en ce sens un concept hybride alliant blockchain et tokenisation. La façon d’empêcher la fraude serait ainsi double: d’un côté la blockchain permettrait de valider la transaction avant qu’elle ne soit effectuée. De l’autre, l’idée serait de convertir la partie de la somme versée par l’acheteur correspondant à la TVA en une devise virtuelle qui ne pourrait être utilisée par le vendeur que pour payer sa redevance auprès de l’administration.

De plus, si toutes les données sont intégrées à la blockchain alors des démarches telles que les déclarations de TVA et la facturation ne seraient plus nécessaires et le fardeau administratif pesant sur les assujettis s’en verrait même allégé.

Les avantages sont donc multiples: la fraude devient presque impossible, les démarches administratives sont moins lourdes pour les assujettis, le contrôle se fait en temps réel,… Cette situation peut faire gagner du temps et de l’argent aussi bien à l’assujetti qu’à l’administration et permettra éventuellement, à terme, de diminuer la pression fiscale.

 

Quel rôle l’UE a-t-elle à jouer dans le combat contre la fraude fiscale transfrontalière?

QW: Une grande partie de la fraude étant transfrontalière, l’implémentation d’un système sur une base nationale ne résoudrait que des problèmes mineurs. Il est donc nécessaire qu’une harmonisation européenne ait lieu que ce soit au niveau de la méthode de collecte de la TVA, de la simplification et de l’uniformisation de ses directives ou encore de leurs interprétations. Des réunions vont en ce sens au niveau européen, mais la fraude parvient toujours à se réinventer, nous devons donc en faire de même pour la contrer, et la blockchain nous paraît être la meilleure solution pour y parvenir.

LL: Le Luxembourg est un lieu idéal pour le développement de mesures anti-fraude car il possède un écosystème foisonnant de FinTechs. Cette solution ne pourrait toutefois pas être implémentée à court terme car il s’agit d’une technologie assez récente dont les usages sont encore méconnus. Cela demanderait par ailleurs une législation favorable et un effort infrastructurel assez important – les assujettis devant avoir les outils leur permettant de participer à la blockchain. Nous voulons dès aujourd’hui organiser une prise de conscience au niveau de l’UE quant aux possibilités qu’elle ouvre et aux bénéfices qu’elle peut apporter.

Dans le cadre des nouvelles réformes de la TVA attendues ces prochaines années, l’UE doit également procéder à un arbitrage entre les différentes solutions visant à réduire la fraude qui sont proposées sur le marché et trouver celle qui lui semble la plus adéquate. La blockchain est sans doute l’approche la plus ambitieuse compte tenu des résultats intéressants qu’elle pourrait donner, mais devra tout de même être complémentaire à d’autres solutions et réformes cohérentes et compatibles visant à éliminer la fraude à la TVA.

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