«Zesummen»

Quelques semaines avant les élections législatives, Etienne Schneider Vice-Premier ministre, ministre de l’Economie et tête de liste LSAP revient sur les opportunités que le pays devra selon lui saisir au cours des cinq prochaines années. Entre diversification économique, digitalisation, logement, mobilité, télétravail et avancées sociales, le LSAP dévoile les coulisses de son programme par la voix de son chef de file. Interview.

Que retenez-vous de ces cinq années de mandat?

Au niveau du ministère de l’Economie, le projet dont je suis le plus fier est la loi sur le Space mining. Nous avons réussi là un grand exploit car cette initiative a fait le tour du monde et prend de l’ampleur: aujourd’hui, près de 150 entreprises de ce domaine souhaiteraient s’installer au Luxembourg!

A l’échelle gouvernementale, nous avons par ailleurs réussi à rétablir la croissance, à rééquilibrer le budget de l’Etat et à réduire le chômage. Ce sont les trois grandes avancées de cette législature qui, contre toutes attentes, a réussi à redresser la barre à ces niveaux.

 

Parmi les questions qui préoccupent les électeurs, il y a celle de la crise du logement. Que prévoyez-vous de mettre en place pour l’endiguer?

Nous proposons, pour travailler plus efficacement, de regrouper les ministères du Logement, de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire. Cela serait à mon sens un moyen efficace de ne pas mettre de freins administratifs entre les différents décideurs. Pour le reste, je pense qu’il faut davantage viabiliser et simplifier les procédures – actuellement il faut une dizaine d’années pour obtenir toutes les autorisations de construire, ce qui est inacceptable dans notre situation.

D’un côté, l’Etat doit augmenter considérablement la construction de logements et miser sur le logement social locatif; d’un autre côté, notre programme prévoit de distribuer des aides à hauteur de 10.000 euros par enfant aux futurs acheteurs. Puisque les subsides seront attribués de manière individuelle, les promoteurs n’en connaîtront pas le montant exact à l’avance et ne pourront pas gonfler leurs prix. Ainsi, nous pensons que cela favorisera les acheteurs sans engendrer l’augmentation des prix sur le marché de l’immobilier.

Nous voulons également instaurer une taxe sur les terrains à bâtir inoccupés se situant dans un périmètre de construction; nous viserons ici les grands propriétaires et promoteurs faisant de la spéculation à grande échelle qui auront un délai de plusieurs années pour viabiliser leurs terrains, après quoi ils seront pénalisés par des taxes supplémentaires ou bien verront leur terrain reclassé en zone verte.

 

A la question du logement est fortement liée celle de l’inclusion sociale. Comment faire en sorte de réduire l’écart se creusant dangereusement entre les plus riches et les plus pauvres? 

Revoir la clé de répartition des impôts avec les pays frontaliers pour favoriser le télétravail

Notre première mesure serait tout d’abord d’augmenter le salaire minimum de 100 euros net par mois en gardant à l’esprit qu’il faudra veiller à l’augmenter encore dans le futur. En effet, les entreprises ne semblent pas se plaindre de devoir verser le salaire minimum le plus élevé de l’Union européenne à leurs employés, elles le considèrent comme un moyen d’attirer la main d’œuvre qui leur manque dans les pays frontaliers. Toutefois ce montant risque un jour de ne plus suffire face aux problèmes de mobilité rencontrés chaque jour par les frontaliers et à la perte de qualité de vie que cela entraîne. L’augmentation du salaire minimum permettrait donc de fidéliser ces travailleurs. Nous voudrions également ne plus taxer ces salaires minimums, ce qui augmentera davantage le salaire net disponible.

 

Ne faudrait-il donc pas prendre le problème à la source et trouver des solutions au niveau de la mobilité? 

Pour résoudre ce problème, il faudra d’une part continuer à investir dans les projets d’infrastructures et de transport public que ce gouvernement a initié et de l’autre encourager le covoiturage pour réduire le nombre de voitures sur les routes. Nous voulons également favoriser le télétravail. Si chaque personne pouvait travailler en moyenne une journée par semaine depuis son domicile, cela réduirait le trafic de 20% sans besoin d’investissement dans les infrastructures.

Nous sommes par ailleurs en train de construire des bureaux partagés aux frontières pour permettre aux frontaliers de ne plus devoir traverser le Luxembourg. Au niveau fiscal, nous devrons trouver des accords avec les pays frontaliers pour augmenter le nombre de jour de travail à domicile autorisé par an. Je suis ouvert à la révision de la clé de répartition des impôts avec les pays concernés pour les journées y étant prestées, car cela serait moins cher que d’investir dans les infrastructures ou les transports en commun.

 

Quel est pour vous le levier d’une croissance qualitative?

Avec le développement de l’automatisation et de l’intelligence artificielle, le pays pourra créer davantage de valeur ajoutée en créant moins d’emplois. Nous allons un jour pouvoir augmenter la croissance sans générer davantage de trafic lié à la main d’œuvre. Dans des secteurs comme l’industrie, ce phénomène est déjà observable: Goodyear va construire une usine 4.0 à Dudelange prévue pour fabriquer 250.000 pneus avec un effectif total de 70 personnes, s’alternant 24h/24. Il y a plusieurs années, 600 personnes auraient été nécessaires! Comme l’indique le rapport réalisé par Jérémy Rifkin, toute l’économie évoluera dans cette direction, vers une croissance qualitative.

 

Quels seront les défis et opportunités que créeront la digitalisation dans ce contexte?

La digitalisation permettra le télétravail, favorisera ainsi le désengorgement de nos routes et augmentera notre productivité. Pour répartir équitablement ce gain, nous proposons de réduire le temps de travail à 38 heures par semaine, sans changement de salaire, puisque les bénéfices des entreprises resteraient au moins équivalents grâce à l’augmentation de la productivité. De plus les finances de l’Etat sont excellentes, de même que les prévisions de croissance, si nous n’opérons pas ce changement aujourd’hui, alors nous ne le ferons plus. La digitalisation est donc synonyme d’avancées sociales.

Dans ce même ordre d’idée, nous souhaitons généraliser la sixième semaine de congé à tous les secteurs. En outre, plus les travailleurs auront du temps libre, plus ils consommeront, ce qui sera également bénéfique pour l’économie du pays. Tous les secteurs ne seront toutefois pas égaux à ce niveau et il faudra analyser chaque situation au cas par cas pour que la transition soit efficace.

 

Toutes ces questions mobilisant les électeurs touchent également les résidents étrangers constituant à eux seuls 47,9% de la population. De tels enjeux ne devraient-ils pas être débattus par tous les acteurs concernés?

Un pays où seulement la moitié de la population est entendue au moment des votes, ce n’est pas très sain. Nous avons été les premiers à vouloir proposer un referendum à ce sujet car nous étions de l’avis que ces résidents étrangers habitent le pays, y travaillent, y placent leurs enfants à l’école, sont engagés dans sa vie associative,… Je pense que si le vote a tranché par la négative, c’est aussi parce que nous avons réalisé ce référendum au début de notre mandat. Les électeurs ont sans doute voulu prendre leur revanche car nous n’avions pas fait alliance avec le CSV pour qui ils avaient voté.

Aujourd’hui nous avons encouragé les résidents étrangers à prendre la double nationalité en réformant son accès et à voter aux élections législatives. Mais on ne peut pas faire de référendums tous les jours jusqu’à obtenir la réponse souhaitée, nous n’en reproposerons donc pas prochainement…

 

Quels sont vos espoirs pour ces élections? Seriez-vous séduit par l’idée du renouvellement de la coalition DP-LSAP-déi gréng?

Cette coalition a très bien fonctionné: si l’on compare l’état du pays à celui d’il y a cinq ans, les résultats macroéconomiques et sociaux sont très bons. La décision revient bien sûr aux électeurs mais je pense personnellement qu’il ne faut pas changer une équipe qui gagne! Nous sommes par ailleurs ouverts à toutes les coalitions, sauf avec l’ADR avec qui nous n’avons aucun point commun.

Ces cinq dernières années, nous avons remis de l’ordre dans les affaires de l’Etat, au cours des cinq prochaines nous devons veiller à ce que la société n’éclate pas et à réduire l’écart entre ceux qui n’ont pas beaucoup et ceux qui ont trop. Les transferts sociaux sont donc pour moi une priorité pour la prochaine législature.

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