Une fortune de Hasards, d’Esthétismes et d’Infinis

Vendimus

Ses traits délicats, ornés d’une chevelure auburn dissonent sans heurts avec la sévérité d’un premier regard noisette. Lucie Hoffmann n’est pas de ces beautés froides et rébarbatives mais simplement d’une prudence qui sait devoir parler de son parcours à un inconnu. Ne pas trop en dévoiler tout en en disant assez; exercice ô combien délicat que celui d’un portrait. Itinéraire d’une chef d’entreprise de 30 ans, qui a brillamment su passer du monde artistique à celui de l’entrepreneuriat digital.

 

Hasards

Avec un papa ingénieur et une maman artiste, aucun hasard à ce que la créativité eut tenu une place toute particulière dans son enfance. La fillette est comme immergée dans le bain de l’inventivité qui est encouragée, incitée et sollicitée par ses parents. Si Lucie a un joli coup de crayon et s’essaie régulièrement à la peinture, elle témoigne aussi d’une puissante volonté de comprendre le réel qui l’entoure. Les repas familiaux sont dès lors immanquablement épicés de conversations sur l’art conceptuel et contemporain, l’Histoire, l’actualité et la politique. Les idéaux tant économiques que philosophiques de la jeune fille se reconnaissent dans le libéralisme et perdureront jusqu’à l’âge adulte.

La lycéenne choisit une filière artistique et se passionne pour les mathématiques et plus particulièrement pour leurs dimensions philosophiques. Après son Bac, comme toute bercée de l’Infini, du Hasard et de l’Esthétisme, l’universitaire choisit l’histoire de l’Art.

Une œuvre d’art est un rendez-vous avec l’éternité dans la transcendance de l’être humain

De ses années universitaires, elle garde le souvenir amer d’«une épreuve par laquelle il faut bien passer pour être diplômé». À l’ULB (Université Libre de Bruxelles), Lucie passe sa première année la tête dans les bouquins, se refusant à la vie estudiantine et son cortège d’insouciances où les soirées sont toujours désinvoltes. L’étudiante sérieuse part ensuite pour Berlin, une ville jeune, à la culture artistique forte et aux scènes undergrounds où elle s’autorise une vie sociale mais uniquement avec des personnes qui ont déjà une vie active et plus particulièrement entrepreneuriale.

 

Esthétismes

L’art se définit généralement à travers les émotions de l’admirateur qui pose un regard naturellement romantique sur l’œuvre. L’œuvre d’art devient alors une nourriture de l’âme qui forme le goût et rend meilleur. On voit mieux, on entend mieux, on comprend mieux le monde après avoir été ébranlé de son ivresse. C’est un regard étrange, une perspective différente, un sens divergeant qui se posent sur le réel, tissant un lien permanant dans la rencontre de l’autre. Une œuvre d’art est un rendez-vous avec l’éternité dans la transcendance de l’être humain.

Mais lorsqu’on le renvoie à son étymologie latine, l’ars est aussi et peut-être d’abord, la technique ou le geste qui fabrique. Selon Rimbaud, «Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens», de sorte que l’artiste a toujours un temps d’avance sur ce qui sera; le musicien entend et fait le bruit que fera le monde de demain comme le romancier le perçoit, l’influence et l’écrit. L’hypersensibilité de l’artiste relèverait plus de l’intuition que de la raison raisonnante. Lucie sait que les parts irrationnelles de l’artiste ne sont pas déraisonnables pour autant mais elle aime trop le rationnel. Elle n’est bien évidemment pas étrangère à l’émotion mais son intérêt porte davantage à percer les mystères de l’œuvre, à définir ses contextes et à chercher les clés de sa genèse. Pas étonnant dès lors que son sujet de mémoire de fin d’études porte sur les interactions entre l’art et les sciences.

Au détour d’un job dans une galerie, Lucie se découvre un vrai goût pour le commerce mais n’arrive pas comprendre l’origine émotionnelle qui conduit à l’achat ou l’impulsion qui mène à l’acquisition d’une œuvre. Elle ne perçoit pas le besoin de l’acheteur qui lui semble pourtant essentiel à son nouveau désir entrepreneurial.

  

Infinis

Revenant de son séjour berlinois, elle travaille pour une startup, puis dans un cabinet financier de fusions et acquisitions et y découvre avec passion, la mise en relation d’entreprises ou dans le jargon, le B2B. L’idée originelle et originale de Vendimus est simple: mettre en relation des entreprises dans un souci commercial, afin de créer des pistes convergentes et ainsi générer des opportunités.

La recherche effrénée d’une proximité

Avec nulle autre arme que sa conviction, la voilà partie défendre son idée devant les entrepreneurs. Elle écoute les remarques, considère les critiques et repositionne son offre de services. Force est de constater qu’elle y trouve oreilles favorables puisque l’entreprise a déjà des clients dès son lancement et travaille rapidement avec des multinationales qui la font grandir; trois ans après sa création, Vendimus enregistre une centaine de clients à travers le monde. Lucie Hoffmann explique ce succès par le fait que ses 14 collaborateurs ont su rester à l’écoute des clients, anticiper les changements des marchés et adapter l’offre en fonction de leurs besoins.

«Nos collaborateurs sont formés en continu par nos clients», dit-elle et d’ajouter que «cette proximité est unique sur le marché». Un très grand marché même, car s’il s’étend principalement sur l’Europe, il va jusqu’en Israël. La clientèle est partout, alors Lucie va partout, elle passe la moitié de la semaine à l’étranger et reconnaît que le client est devenu une obsession. Non pas celle d’un requin commercial quichasse sans vergogne n’importe quel client, mais plutôt celle de la recherche effrénée d’une proximité. Lucie souhaite moins une relation de prestation que de partenariat, différence de forme diront les uns, peut-être mais qui implique de facto, une différence de fond.

Par Julien Brun