Au large d’une Europe en crise

Le 10 juin dernier, les passagers de l’Aquarius commençaient à apercevoir les terres italiennes et avec elles la concrétisation de leurs rêves d’une vie meilleure lorsque Matteo Salvini, ministre italien de l’Intérieur, a réduit à néants leurs espoirs. Las d’une politique européenne migratoire jugée peu solidaire et laissant la responsabilité des demandeurs d’asile au premier pays d’arrivée se situant donc souvent dans le sud de l’Europe, il a commis l’impensable en décidant de ne pas venir en aide aux centaines d’êtres humains attendant d’être enfin pris en charge au large du pays. A peine quelques jours plus tard, le même cas de figure s’est présenté avec le bateau de l’ONG Lifeline.

Si l’Europe a connu une forte vague d’immigration avec 1,02 million d’arrivées à l’automne 2015, la crise s’apaise un peu plus chaque année avec un nombre d’arrivants redescendu à 45.000 depuis le début de l’année 2018. Toutefois l’afflux initial semble avoir laissé des séquelles sur le pays. Fraîchement intronisé, le gouvernement de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles a décidé d’attaquer frontalement l’Union européenne en bloquant toutes autres questions à l’ordre du jour d’un sommet organisé à la fin du mois de juin, dans le but de forcer la discussion sur la réforme du règlement de Dublin.

Les solutions européennes alors avancées portaient d’abord sur la création de plateformes régionales de débarquement hors de l’Union européenne, permettant l’accueil de migrants secourus en mer. Celles-ci auraient pour fonction de distinguer les migrants irréguliers des demandeurs d’asile admissibles, et ce, avant de les laisser entrer sur le territoire européen. Toutefois les compatibilités de ce processus avec le droit international restent encore limitées. Des centres contrôlés financés par l’UE pourraient également devenir, en temps de crise, le lieu d’une répartition des demandeurs d’asile à travers les pays de l’Union qui se seraient portés volontaires. Enfin, l’Europe propose également un renforcement des frontières extérieures afin de ralentir la migration à la source. Cela passerait notamment par l’augmentation des moyens et l’élargissement des mandats des garde-frontières ainsi que par le renforcement du soutien porté aux garde-côtes libyens.

Si l’Italie semble avoir fait un pas dans ce sens en prêtant plusieurs bateaux en vue d’aider les garde-côtes libyens à bloquer les passeurs à la source et à lutter contre ce qu’elle estime être la corruption des ONG, elle réclame en réalité l’abolition du système de responsabilité du pays d’arrivée et la mise en place d’une répartition systématique des migrants.

L’Italie n’est toutefois pas la seule à penser la crise migratoire d’un point de vue nationaliste et à revendiquer des changements: suite à une crise politique interne, Angela Merkel a cédé à la pression des conservateurs menés par Horst Seehofer en acceptant la création de zones de frontières avec l’Autriche. Par cette manœuvre l’Allemagne pourrait renvoyer les demandeurs d’asile vers le pays qui les avait accueillis en premier lieu, si ce dernier marquait son accord. En cas de refus, elle pourrait simplement les refouler à la frontière. L’Autriche de Sebastian Kurz, bien qu’en accord avec le principe de libre circulation, voudrait quant à elle protéger ses frontières et empêcher les mouvements secondaires des demandeurs d’asile. Soutenant la Pologne et la Hongrie, le chancelier autrichien souhaite également revoir en profondeur la politique migratoire européenne. La réforme proposée par l’UE ne semble donc pas avoir fait l’unanimité.

Dans une Europe en proie à une vague de populisme où les solutions nationales semblent concurrencer les consensus européens, l’Union fragilisée peine à rassembler ses membres autour de principes tels quel la charte des droits de l’Homme, apparaissant pourtant comme fondamentaux.

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