L’avènement du Digital

EY Luxembourg

Semblablement au siècle des Lumières, l’avènement du monde digital se cherche, expérimente, essaie, se trompe et se réinvente au travers de formidables accélérations. À la différence près qu’«une évolution est préférable à une révolution». Brice Lecoustey, associé à la tête du département Conseil pour le secteur commercial et public chez EY Luxembourg, nous explique la transformation digitale du service public.
 
Quelle est l’importance de la digitalisation pour le secteur public?
La digitalisation se compose de trois grands domaines technologiques que sont la connectivité, la robotisation et l’intelligence artificielle. Ces technologies sont aujourd’hui matures, accessibles à des prix abordables et tendent crescendo à une convergence. L’expérience client s’en trouve transformée, chaque citoyen souhaitant également voir son administration utiliser les nouvelles technologies.
De la convergence technologique est née une certaine exigence: celle d’une réduction des temps de traitements des démarches administratives relatives à la justice, à la police, à la caisse de santé et bien évidemment, aux communes. À l’instar de ce qui se fait déjà dans de nombreuses entreprises, la robotisation est un moyen d’y parvenir.
Nous connaissons depuis deux ans une formidable accélération, se matérialisant par des initiatives qui se multiplient par réaction mécanique, presque physique. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que le probable devienne enfin réalité.

Quelles réponses apportez-vous aux craintes de voir la robotisation remplacer des emplois et par la même, les interactions humaines?
Les interrogations sont en effet nombreuses, mais légitimes. Il faut pouvoir les aborder avec raison gardée en toute réflexion.
La robotisation est certes un moyen de parvenir à des économies mais elle ne diminue pas pour autant la demande de services publics, c’est même tout le contraire. La connectivité couplée à la robotique fluidifie les traitements, créant un niveau certain de qualité, une attente plus exigeante, mais aussi une nécessité de relations humaines. La robotisation automatise les opérations répétitives et les tâches dévalorisantes, réalisées pour l’heure par la main de l’homme. Le fonctionnaire d’Etat ou l’agent communal peut alors consacrer plus de temps au cœur de sa mission et au citoyen, constituant de facto, une amélioration de la qualité de ses conditions de travail.
Lorsqu’un processus est compressé à 80% par la digitalisation, il doit être régulièrement programmé. Celui qui le réalise actuellement pourra alors gérer les exceptions du mécanisme et réaliser un travail de contrôle des traitements. Les nouvelles technologies sont régulièrement confrontées aux angoisses d’adaptabilité des collaborateurs; certains pensant que des compétences d’ingénierie sont nécessaires à l’utilisation de la robotique. À l’image du passage de la machine à écrire à Word, quelques semaines d’entrainement suffisent bien souvent, sans compter que les interfaces sont toujours plus intuitives et que les nouvelles générations s’adaptent bien plus rapidement aux nouvelles technologies.

Quelle est la maturité actuelle de la digitalisation des services publics au Luxembourg?
Il faut reconnaître les avancées en termes de connectivité. Les institutions et les administrations ont en effet grandement amélioré leurs processus communicationnels, Guichet.lu ou encore les fichiers des résidents et les dossiers de soins partagés en sont quelques bons exemples. Il n’y a pas si longtemps, les démarches administratives d’un simple changement d’adresse étaient encore relativement lourdes mais aujourd’hui, le citoyen n’a plus besoin de se rendre dans son ancienne commune qui communique directement avec la nouvelle. Il en va de même avec le DSP qui accompagne désormais le patient tout au long de ses traitements médicaux. Dans ces deux exemples, on remarque le soin méthodologique à placer le citoyen et le patient au centre des préoccupations, ce qui, entre autres, implique la protection de leurs données personnelles.
Si les progrès de connectivité sont indéniables, il suffit néanmoins de se rendre à la cité judiciaire pour constater que la digitalisation n’est pas encore généralisée. Force est de constater que les magistrats et les avocats préfèrent leurs lourds dossiers de papiers aux tablettes et autres supports numériques. La digitalisation des données et la dématérialisation des documents pourraient pourtant simplifier bon nombre de procédures judiciaires.
La prochaine étape devrait être l’identification des zones publiques où la robotisation peut apporter une amélioration dans le traitement de l’information, et ce, dans l’objectif d’augmenter la rapidité des processus de traitement. Le secteur public peut tirer ses pistes de réflexion du secteur privé, comme avec l’automatisation des flux de paiements dans la trésorerie qui pourrait facilement être appliquée à la CNS.
Enfin, l’intelligence artificielle pourra dans un autre temps, réaliser un premier aiguillage du citoyen vers le bon service qu’il requiert. Les agents conversationnels ou «chatbot» sont des logiciels programmés pour simuler une conversation en langage naturel qui commence déjà à pointer leurs algorithmes dans certaines sociétés.
  
Au vu de la petitesse du territoire et par conséquent des investissements limités que nécessite la transformation digitale du service public, ne devrions-nous pas faire partie des meilleurs élèves de la scène internationale?
La réactivité et la flexibilité du pays sont clairement des avantages et de nombreux chantiers sont déjà mis en œuvre par le Centre des Technologies de l’Information de l’Etat (CTIE). La motivation est néanmoins un sujet d’importance capitale dans la mesure où la transformation digitale du service public ne se fera pas sans que les acteurs de la fonction publique ne se sentent totalement impliqués. La communication seule resterait stérile à l’avènement de la robotisation, il faut éduquer les consciences, renseigner quant aux améliorations et rassurer les inquiétudes.

Menaces de santé publique, des libertés individuelles et démocratiques; entendez-vous les méfiances quant au tout digital?
Bien sûr. Et ce sont autant de choix de société qu’il nous faut prendre avec prudence et raison. La relation digitale d’un professeur avec les parents d’élèves n’est souhaitable que dans les classes surchargées par exemple. Je ne pense pas que le citoyen veuille d’une administration où les automatisations remplaceraient les liens humains et encore moins une société où l’on capitaliserait financièrement sur ses données personnelles.
L’imagerie cérébrale nous fait par exemple savoir que plus tôt l’enfant est exposé aux écrans, plus il a de chance de développer une addiction digitale, de l’agressivité et des troubles autistiques et bipolaires.
L’évolution digitale doit rester au service de l’individu, ce qui requiert une intelligence collective accrue.

Quid de la politique gouvernementale «Digital Lëtzebuerg»?
Une stratégie nationale qui introduit la modernisation technologique dans les processus financiers, industriels, de recherche ou de logistique va de pair avec celle de l’administration. La transformation digitale des services de l’Etat est l’une des conditions à la réussite de la stratégie économique du numérique et à l’attraction des entreprises internationales du 4.0.
L’écosystème luxembourgeois est dynamique, il multiplie les synergies, les partenariats public-privé portent leurs fruits, les incubateurs fusionnent et, dans un effet de boule de neige, des acteurs internationaux installés depuis moins d’un an sur le territoire font venir d’autres acteurs de l’étranger.
Le Luxembourg ne met pas en place des initiatives isolées mais est en passe de se constituer un savoir-faire qui constituera son ADN économique de demain.
Des terres noires du charbon, puis rouges de l’acier sur lesquelles s’est construit le secteur financier, il semblerait que le Luxembourg soit en passe de se construire une autre réputation internationale, celle du digital.

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