Mondial en Russie: l’assist diplomatique?

Le quadriennat de la Mannschaft arrivant à son terme, les champions du monde en titre vont-ils conserver leur Graal face aux meilleures équipes de la planète? Sans l’oracle d’Oberhausen, bien malin celui qui prédira le lauréat de la 21e édition de la Coupe du monde de football. L’événement, prévu sur le gazon russe, s’immisce dans un contexte diplomatique international particulièrement tendu aux relents de guerre froide.

Nous sommes le 2 décembre 2010, la Russie est officiellement proclamée pays organisateur du mondial. Sepp Blatter le président de la FIFA se réjouit: «Nous allons vers de nouveaux pays». Pourtant, de lourds soupçons de corruption pèsent sur les conditions des attributions de la compétition à la Russie ainsi que de la suivante prévue au Quatar. Heureusement pour le Grand Ours, c’est le second lauréat qui fait couler le plus d’encre et attise la colère des aficionados. La FIFA propose la bouillonnante idée de jouer le mondial en hiver. Loin de plaire, la proposition enflamme l’opinion publique et démasque la toute-puissance des pétrodollars face aux critères sportifs.

A l’instar du Quatar, l’économie de la Russie est ultra dépendante des recettes de l’or noir. Selon une analyse du FMI, les revenus liés à la vente d’hydrocarbures représentent 30% du PIB et 50% du budget de l’État. Dès l’arrivée de Poutine au pouvoir et sa chasse aux oligarques, l’Etat s’assure la mainmise sur les fleurons pétroliers (Sibneft, Rosneft, Ioukos,…). Des entreprises que l’on retrouvera étonnement dans le monde du football. Ainsi, le géant gazier Gazprom est le principal sponsor du Zénith Saint-Petersbourg, de Schalke 04, du Red Star Belgrade mais aussi de l’UEFA Champions League. Des investissements qui ne sont pas anodins. Le contrat de sponsoring du club allemand (125 millions d’euros sur cinq ans) a permis de faciliter et d’accélérer les négociations autour de la construction du Nord Stream, un gazoduc géant reliant la Russie à l’Allemagne. Le contrat de sponsoring avec le Red Star, coïncide curieusement, lui aussi, avec le projet de construction du gazoduc South Stream dont le parcours passe et traverse… Belgrade.
Consciente de la puissance géopolitique et diplomatique du football, la Russie espère tirer profit du mondial en atténuant les tensions internationales dont le pic a été atteint après l’empoisonnement de l’ex-agent double Sergueï Skripal. L’espoir est fondé: le sport a en effet déjà permis de nombreux rapprochements diplomatiques.
Lors de la Guerre Froide, les contacts directs entre les grandes puissances étaient limités, frôlant parfois le néant. Dans ce contexte, l’équipe américaine de ping-pong fut invitée en 1971 à se rendre une semaine en Chine. Le tennis de table a ainsi ouvert la brèche diplomatique, permettant à Nixon de rencontrer Mao Zedong
un an plus tard. Dernièrement, lors des jeux olympiques d’hiver à Pyeong Chang, le monde fut surpris d’assister à la présence de la sœur de Kim Jong-Un aux côtés du chef d’état sud-coréen. Cette rencontre a engendré quelques mois plus tard une entrevue historique entre les deux leaders coréens, accélérant le dégel des relations.

Si l’aphorisme de Dostoïevski blêmit l’actualité: «Il existe une loi politique et peut-être naturelle qui exige que deux voisins forts et proches, quelle que soit leur mutuelle amitié au début, finissent toujours par en venir à un désir d’extermination réciproque», permettons-nous, le temps d’un mois, de céder à l’esprit repenti de Tolstoï: «Ce n’est pas la violence, mais le bien qui supprime le mal».

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