Un donut au service de l’avenir

Le 7 mars, l’INDR: Institut National pour le Développement durable et la Responsabilité sociale des entreprises a fêté ses dix ans à la Chambre de Commerce. L’INDR a reçu pour l’occasion Kate Raworth, Professeur et Chercheur à l’Institut des changements environnementaux de l’Université d’Oxford, venue présenter son ouvrage Doughnut Economics. LG Magazine a eu le privilège de la rencontrer. Interview.
 
Qu’est-ce que l’économie en donut ?
C’est un compas, une boussole, un repère afin de guider l’humanité vers la prospérité du XXIe siècle. L’anneau intérieur matérialise les fondements sociaux sous lesquels il est interdit d’aller sans menacer les droits individuels (eau, nourriture, revenus, éducation, égalité des sexes, etc.). L’anneau extérieur représente le plafond planétaire et les limites écologiques que nous ne pouvons pas dépasser pour que la terre reste un endroit viable (acidification des océans, pollutions chimiques, appauvrissement de la biodiversité, etc.). Plus on s’enfonce dans le donut, plus les inégalités croissent et en le dépassant c’est notre propre tombe que nous creusons; entre ces deux anneaux, il est un espace sûr et équitable dans lequel le progrès peut et doit tenir.
 
Votre modèle pourrait-il se substituer à la ligne de croissance héritée du XXème?
Cette ligne continue qui incarne la croissance économique ne suffit plus. Nous sortons d’un siècle de développements sans précédent qui auront permis à une partie de la population mondiale d’accéder à une meilleure vie mais qui, depuis trois décennies est aussi une extraordinaire source d’inégalités entre les pays. Les 92% de la croissance mondiale pour l’année 2017 sont allés remplir des poches déjà pleines. Ce modèle est dégénératif en cela qu’il creuse les inégalités, accroît la pauvreté et dégrade les écosystèmes.
Toute la question est donc de savoir quelle est la mentalité économique qui nous donnera les meilleures chances de réussite. On ne peut penser l’économie de demain avec les outils du XXe comme le bénéfice financier ne saurait rester l’unique valeur d’une entreprise, barricadée pour elle et ses actionnaires. L’économie extractive qui favorise l’exploitation à outrance relève du XXe siècle. Dès lors, la société du XXIe ne doit plus seulement se préoccuper des impacts négatifs sur la société et l’environnement mais intégrer dès le projet d’entreprise, les formes de valeurs qui seront restituées positivement à la société et à l’environnement. Il ne s’agit plus uniquement de limiter le rejet de gaz à effet de serre mais de favoriser l’utilisation d’énergies renouvelables et de les partager. En outre, l’entreprise s’inscrira positivement dans la commune dans laquelle elle est implantée et contribuera activement au bien-être de ses habitants.
 
C’est pourquoi vous prônez une économie de partage qui est générative et distributive dès l’élaboration du projet d’entreprise…
Notre modèle s’appuie sur des dispositifs ultérieurs de redistribution de la valeur comme par le biais des impôts progressifs par exemple. J’appelle à développer des activités qui sont génératives et distributives de valeurs dès le début du projet, et par «valeur» je n’entends pas uniquement l’argent mais aussi les terres, les technologies et les entreprises elles-mêmes. Cela passe par l’ancrage de ces objectifs dans les statuts de l’entreprise mais aussi par d’autres formes de propriétés comme les coopératives et les entreprises aux mains des travailleurs. Un exemple: les idées innovantes qui découlent de la recherche publique ne devraient plus être bétonnées dans des brevets mais être accessibles à tous.
 
Pourquoi avoir adopté une approche systémique de l’économie?
J’ai écrit ce livre afin de trouver les voies qui permettront de répondre aux impératifs socio-écologiques. Il est temps que nous reconnaissions les profondes interdépendances qui régissent l’économie globale, le dérèglement climatique et les conditions sociales. Les sciences économiques sont depuis trop longtemps tenues dans le rationnel et la logique. J’attends aujourd’hui des vagues de pensées qui permettront de les penser différemment et c’est pour cela que j’en appelle aussi à l’histoire, la littérature et l’art pour penser l’économie.
Politiques, CEO, activistes, parents, étudiants, citoyens, peu importe le lieu géographique et le statut social, chacun peut à son échelle penser les interactions entre ses actes, sa communauté, sa société, son entreprise, son gouvernement et la nature.
Les nouvelles générations sont conscientes des dérèglements climatiques, des crises financières, des niveaux extrêmes de pauvreté et des inégalités qui se creusent. Elles savent que les crises financières et environnementales qui en découlent ne respectent ni drapeaux, ni frontières.
 
Peut-on considérer que les acteurs tels que l’INDR, outillés du label ESR, poussent les entreprises à lier leurs pratiques commerciales aux limites sociales et environnementales?
J’utiliserais plutôt le verbe «inciter» mais oui; à la condition que le niveau du label ne descende pas avec le temps, sans quoi tout le monde pourrait l’obtenir, ce qui lui ferait perdre son pouvoir d’attraction.
Je suis régulièrement amenée à présenter le donut au sein des entreprises et l’une de mes premières questions est: «quelles sont vos activités qui impactent la société?». Une fois qu’on connait les pressions mises sur l’environnement et la société, nous pouvons alors penser à un autre modèle commercial qui pourrait y remédier. À l’image d’une psychothérapie, plus profondément nous descendons dans l’analyse et mieux on se connait. Le donut est une invitation dans ce voyage afin de comprendre que si l’objectif des compagnies est de croître, cela ne se fait pas sans conséquences.
Par Julien Brun