La digitalisation: moteur ou frein à l’emploi?
La digitalisation en marche dans tous les secteurs de l’économie luxembourgeoise bouleverse le marché du travail. La plupart des métiers sont voués à évoluer et la formation professionnelle continue semble se présenter comme une solution en faveur du maintien des emplois. Nicolas Schmit, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, nous dresse un état des lieux de la transformation économique à l’œuvre aujourd’hui.
La formation professionnelle continue pourrait-elle être un soutien au processus de digitalisation de l’économie?
Nous sommes dans une période de transformation économique et écologique avec la digitalisation, qui exige une qualification, voire une requalification, des personnes. L’Etat a un rôle accru dans le soutien des entreprises pour les aider à faire face à un nouveau modèle économique; sans remettre en cause la formation continue classique, nous pensons qu’un certain nombre d’entreprises faisant face à une réelle transformation de leurs métiers ont besoin que nous repensions le concept de formation continue pour l’adapter à ce nouveau contexte et soutenir la transformation en cours.
Ainsi, avec notre projet «Luxembourg Digital Skills bridge», nous voulons créer un pont entre les compétences d’hier, d’aujourd’hui et de demain pour permettre aux personnes de conserver leur emploi tout en s’adaptant à un nouveau contexte économique et professionnel. Concrètement, la démarche consiste dans un premier temps en une bonne évaluation des compétences existantes et des besoins futurs de compétences de l’entreprise. Ensuite, l’objectif est de préparer les salariés à obtenir les compétences dont ils auront besoin pour permettre à l’entreprise d’évoluer. Dans ce processus, l’Etat est alors prêt à prendre en charge les salaires pendant la période de requalification du personnel en utilisant l’instrument du chômage partiel pour soulager financièrement les entreprises qui doivent s’adapter rapidement.
Certaines personnes ne pourront toutefois pas effectuer cette transition de métier; plutôt que de les licencier, nous encourageons les entreprises à travailler sur des solutions d’emploi à l’extérieur. Nous avons presque 7.000 emplois non pourvus à l’ADEM, il faudrait donc les identifier et mettre en place des formations continues pour permettre aux salariés devant être réorientés d’y accéder.
Une version finale du projet Digital Skills bridge devrait être présentée à la fin du mois de mars afin de lancer les projets pilotes rapidement dans les entreprises dans lesquelles les processus de digitalisation sont à l’œuvre.
Quel est l’état du marché du travail luxembourgeois à l’heure actuelle?
Tout d’abord, on note que la première catégorie de profils recherchés par l’ADEM correspond à l’étude et au développement informatique. On retrouve ensuite les postes en maintenance des bâtiments et des locaux ainsi que le personnel de cuisine au niveau des profils les plus recherchés.
Les nouvelles technologies viennent donc effectivement bouleverser le marché de l’emploi: des suppressions d’emplois sont attendues, des compétences en informatiques seront exigées à terme dans tous les métiers,… Mais les indicateurs sur l’emploi au Luxembourg ne montrent pas à ce stade une destruction massive des emplois pour autant.
Pour faire face à ces changements, l’ADEM est en train de mettre en place un système où tout demandeur d’emploi aura droit à un bilan de ses compétences en informatique. Nous voudrions offrir à chacun d’entre eux, selon son niveau et les perspectives professionnelles qui s’ouvrent à chacun, une formation de base, une amélioration ou un perfectionnement des compétences en informatique. A travers une amélioration intensive de la formation continue, nous allons pouvoir améliorer la correspondance entre les formations proposées et les besoins du marché du travail.
Enfin, bien que le chômage ait retrouvé des niveaux très bas (5,6% actuellement), mon objectif reste de revenir à un chômage autour de 4%, ce que je considère correspondre au plein emploi pour le Luxembourg. Nous devons donc aussi aider les personnes les plus vulnérables sur le marché du travail, c’est-à-dire les personnes handicapées, en reclassement ou encore les personnes plus âgées. Le chômage de longue durée est quant à lui en baisse de plus de 9%.
Comment prévoir les impacts de la digitalisation à long terme?
La digitalisation n’aura pas qu’un impact sur l’emploi mais aussi sur la fiscalité, sur la sécurité sociale et d’autres indicateurs encore. Ce phénomène constitue un défi majeur pour les années à venir et si nous voulons le relever, notre croissance doit être positive.
L’évolution positive de notre croissance ne peut durer que si l’on a une économie qui tourne bien. Croire que l’on a assez de croissance et assez d’emplois pour refroidir le moteur, nous mènerait tout droit à un chômage qui augmente.
Il fut un temps où le secteur bancaire était le moteur de notre économie en termes de création d’emplois, mais ce n’est plus le cas, aujourd’hui ce secteur n’en crée plus. Il y aura un grand changement dans ce milieu sur les qualifications requises qui seront de plus en plus élevées, mais l’emploi y a une légère tendance à baisser. On ne peut donc pas figer l’économie et préconiser une telle approche est très dangereux.
La croissance qualitative n’est pas suffisante et avoir plus de 3% de croissance n’entre pas forcément en conflit avec nos idéaux écologiques. Bien sûr, il faut travailler sur l’énergie et limiter nos émissions de CO2, nous devons également recourir à davantage d’énergies renouvelables pour respecter nos objectifs climatiques ce qui permettra également de créer des emplois à ce niveau, mais il serait naïf de croire que tout cela pourra être accompli en changeant de modèle de croissance du jour au lendemain. Nous avons peut-être accumulé du retard dans certains domaines, je pense à la mobilité par exemple où pendant un certain temps les investissements ont été insuffisants et surtout beaucoup trop lents, mais nous ne rattraperons pas ces retards en figeant la croissance et le développement économique de notre pays.
La fonction publique est en constante recherche de candidats, comment expliquez-vous ce phénomène?
Les métiers de la fonction publique ont tendance à se complexifier: les profils recherchés doivent inclure des compétences en nouvelles technologies, ainsi qu’un bon nombre de soft skills. Un Etat moderne a donc besoin de personnes hautement qualifiées.
Pour moderniser la fonction publique, il faudrait aussi y introduire de la formation continue de qualité et relever le niveau de qualification de base pour certains emplois. Par exemple, les exigences qui s’adressent aux fonctionnaires de l’ADEM ou de l’inspection du travail deviennent de plus en plus élevées. Il faut donc beaucoup insister sur la formation de base ou bien investir dans la formation dès la signature du contrat afin que ces personnes soient bien préparées aux métiers qui les attendent, car certaines fonctions demandent des compétences techniques, un sens de la négociation, des connaissances en droit et bien d’autres aptitudes encore.
Actuellement il y a des centaines de postes à pourvoir dans la fonction publique, il faut donc que nous développions la formation et les compétences. En ce qui me concerne, nous ne sommes pas face à un problème d’ouverture de la fonction – car elle n’est pas fermée aux étrangers, nous sommes d’ailleurs souples au niveau des langues lorsque nous devons l’être, dans le secteur médical, par exemple – mais plutôt face à un problème de compétences à créer pour pouvoir y accéder. Trop de candidats ne réussissent pas l’examen d’entrée, c’est pourquoi le ministère de la Fonction publique est en train de revoir les méthodes de recrutement. Nous souhaitons encore améliorer la qualité de la fonction publique afin qu’elle soit à la hauteur des exigences de notre temps.
Par Martina Cappuccio