«Balance ton porc» à la justice

C’est avec ces mots clés que dans la foulée de l’affaire Weinstein, les femmes victimes de violences sexuelles ont été invitées à témoigner sur les réseaux sociaux. La loi du silence a été percée comme un gigantesque furoncle qui laisse éclater une parole enfin libérée. La honte qui change de camp est le soulagement de la douleur trop longtemps refreinée mais il en émane aussi des odeurs pestilentielles.
Les femmes qui ont «balancé» les noms de leurs agresseurs restent minoritaires mais dans les tribunaux Tweeter et Facebook où le doute est toujours à charge de l’accusé, jamais à son bénéfice, l’appel à la délation supplante la présomption d’innocence. Le mot «porc» est l’épitaphe de la fosse digitale où l’on enterre pêle-mêle les incivilités et les crimes; la honte recouvre lourdeurs des dragues, mots déplacés, gestes agresseurs et viols. Les commentaires condamnent alors en quelques clics et sans appel ce que les cours d’assises mettent des mois à instruire.
Est-ce qu’une campagne à scandale, dont raffolent les télévisions américaines, saurait dépasser le cadre des écrans, de la colère et de la compassion pour faire changer les comportements et rendre Justice? La honte ne suffit pas et pire, le procédé dessert la cause.
Qu’un individu use de sa puissance physique, sociale ou morale pour dominer, posséder et jouir du corps d’un autre sans son consentement est révoltant. Une société qui abandonne l’intégrité de la femme à la prédation du désir masculin est moins digne de celle des hommes que de celle des lions car comme disait le père d’Albert Camus, «un homme ça s’empêche».
Mais après cette indignation, la prise de conscience doit dépasser le climat d’émotion pour amener à des réflexions sur des sujets éminemment complexes: l’animalité humaine, les constructions sociales patriarcales et viriarcales, la culture du viol dans l’inconscient collectif. Voir l’autre dans sa différence et apprécier ses qualités propres relève moins de la morale que de la Culture. Dire que les femmes et les hommes sont égaux dépend d’une communication qui aura beau ruisseler sur les têtes, elle n’y fera pour autant jamais rien germer. Le prouver par le savoir et l’expérience est au contraire un acquis qui structure la pensée et donc, les comportements.
Pas plus que le racisme est l’affaire des minorités, la violence faite aux femmes n’est pas affaire de femmes. Le viol est une laideur de l’humanité qui dépouille la victime de son intégrité et c’est en cela qu’il est l’affaire de tous.