Les secours venus du ciel

«On pourrait dire que dans toutes nos activités confondues nous sauvons une vie par jour», déclare le souriant René Closter. Originaire de Troisvierges, il est le président et fondateur de Luxembourg Air Rescue (L.A.R.), l’organe luxembourgeois de transport aérien d’urgence, de rapatriement de personnes et de transfert d’organes. Rencontre avec cet ancien pompier professionnel qui a su par son dynamisme et sa force de caractère surmonter les obstacles pour créer une asbl qui rallie chaque point du pays en dix minutes, mais ne s’arrête pas aux frontières.
 
Sortie de l’œuf
Tout commence avec un accident. Dans la commune de Steinsel, un petit garçon tout juste descendu de son bus scolaire est renversé par une benne à ordures. L’un de ses pieds est sectionné. «Nous devions l’emmener rapidement au Centre Hospitalier de Toul, au-delà de Nancy, pour essayer de sauver son pied», se souvient René Closter. A l’époque, il est pompier professionnel. Vu l’urgence de la situation, les secours tentent de faire venir un hélicoptère de l’étranger pour prendre en charge l’enfant. D’Allemagne, de France ou de Belgique: aucun n’est disponible. «Nous avons dû emmener ce petit gars en ambulance. Il était sous le choc mais conscient, et il demandait sans cesse: “Monsieur, où est mon pied?”. Difficile de lui expliquer qu’il se trouvait dans un genre de frigo», raconte-t-il. Malheureusement, cette journée de juillet 1986 est synonyme de départs en vacances. L’autoroute est bondée et il faut quatre heures à l’équipe pour relier l’hôpital. Tout espoir de greffe est anéanti. «Il avait six ans, le même âge que mon fils à l’époque», précise-t-il.
Homme de terrain qui comptabilise 14.000 interventions de sauvetage à son actif, René Closter n’est pas facilement choqué. Mais ce drame le déstabilise. Il est conscient de l’intensification générale du trafic routier et des longues distances pour atteindre certains hôpitaux. «Ce jour-là, j’ai pris une décision: celle de créer un service de secours par les airs. Avec quelques amis pompiers, nous nous sommes lancés dans cette aventure sans aucun soutien, ni financier, ni même politique».
A l’époque, le SAMU venait de naître et n’était pas encore bien intégré dans le paysage. L’Etat craignait qu’un service héliporté d’urgence ne soit un gouffre financier. D’autant plus que le Grand-Duché n’avait jamais disposé d’hélicoptère sur son territoire. «Tout le monde était contre ce projet mais contre vents et marées, j’ai pris une hypothèque sur ma maison et loué un hélicoptère et son pilote venus d’Allemagne». Le 18 avril 1988, l’asbl Luxembourg Air Rescue est née.
 
Envol
Pendant des années, l’association vivote. Son siège social est installé dans une vieille tente de l’armée car la majorité du budget est attribuée à la location de l’hélicoptère et de son pilote. Pendant ce temps, René Closter quitte son emploi pour un poste de responsable de la sécurité, puis de directeur de la logistique mondiale, au sein d’une banque renommée. Il fait de nombreux voyages et vit à Hong-Kong, New-York ou Londres des années durant, tout en appuyant la petite structure depuis l’étranger.
L’organisation a grandement besoin d’un directeur et, lors d’un conseil d’administration, les collègues et amis de René Closter le sollicitent pour ce rôle. «Après une semaine de réflexion, j’ai accepté. J’ai quitté l’univers bancaire et j’ai pris la tête de L.A.R. en juillet 1996». Dès lors, l’asbl n’a fait que prendre de l’ampleur, grâce entre autres à sa popularité immense auprès de la population grand-ducale. En effet, L.A.R. est actuellement l’association luxembourgeoise comptabilisant le plus de membres, 185.000 pour être précis. Ce chiffre englobe 61% de la population luxembourgeoise. Via une cotisation annuelle, ils ont la garantie d’être rapatriés depuis le monde entier en cas de maladie ou d’accident.
 
Ascension
Mais le sauvetage aérien n’est pas la seule prérogative de Luxembourg Air Rescue. L’asbl possède une entreprise, Luxembourg Air Ambulance, qui lui permet de diversifier ses activités et d’être viable.
Le fondateur développe: «Grâce à cette structure particulière, nous pouvons obtenir le certificat de transporteur aérien, qui ne peut pas être décerné à une asbl. De plus, avec les cotisations de nos membres uniquement, nous ne pourrions pas exister car rien qu’un hélicoptère coûte six millions d’euros. Il nous fallait d’autres activités, pour d’autres revenus». Grace à sa société, L.A.R. se charge de rapatrier des patients pour des assureurs à travers le globe; de transporter des organes, notamment sur la France; de donner des formations, par exemple pour les médecins des armées belge et néerlandaise; ou encore de proposer la maintenance d’appareils pour autrui. Ces activités commerciales apportent les rendements nécessaires à la vie de la structure qui dispose, à l’heure actuelle, d’un parc de six hélicoptères de sauvetage et de cinq avions-ambulances.
Au total, L.A.R. effectue environ 3.000 missions par année. Ses engins sortent sur le terrain jusqu’à 15 fois par jour. Les sauvetages au Grand-Duché forment la plus grande part de ses activités mais les frontières du pays n’en sont pas pour l’organisme. Rien qu’en 2016, ses appareils se sont rendus dans 82 Etats. Devenu l’un des acteurs principaux dans le milieu du rapatriement, L.A.R. est également l’unique structure au monde  ayant des moyens de transporter des nouveaux nés sur des longues distances sur les avions sanitaires au niveau mondial.
En sus, Luxembourg Air Rescue prend régulièrement part à des collaborations internationales dans le cadre de catastrophes. L’association est en Iran en 2003, pour secourir les victimes d’un tremblement de terre. En 2005, une équipe médicale se rend en Indonésie suite au tsunami. Plus tard la même année, une équipe passe trois mois dans la région du Cachemire, au Pakistan, au cours desquels 2.112 patients et 20 tonnes de biens sont transportés.
 
Nid
Au cours de l’histoire de L.A.R., des containers ont remplacé la vieille tente de l’armée. Mais le véritable bâtiment n’est arrivé que fin 2015. Situé à l’aéroport du Findel, le lieu est composé de trois hangars d’une surface de 3.600 m2, ainsi que de 3.500 m2 de bureaux.
Ceux-ci abritent des infrastructures confortables pour le personnel. Au cœur du bâtiment, la centrale d’alerte ultra-moderne fourmille d’activités. On y gère l’organisation des missions et de la logistique. Le site contient également des salles de formation innovantes dont un lieu d’entraînement qui permet de recréer toute situation. «Cette pièce simule les bruits, les lumières, les tremblements, en bref les conditions d’une intervention. Ainsi, nous pouvons reconstituer des cas réels qui ont posé problème, par exemple», précise le directeur. L’équipement de ce lieu d’entraînement et la formation du personnel ainsi que les simulations d’hélicoptères coûtent 800.000 euros. Le mannequin qui en fait partie peut, lui-aussi, tout simuler: les cris, les pleurs, la fièvre, les saignements, la crise cardiaque ou l’apoplexie. C’est un patient idéal pour les apprenants. «Nous disposons aussi de notre propre salle de réanimation. Et en cas de catastrophe, l’un de nos hangars peut se transformer en un hôpital de fortune d’une centaine de brancards très rapidement», ajoute-t-il.
Le bâtiment a été conçu pour pouvoir accueillir des visiteurs, sans que cela n’interfère avec les employés sur place. «Chacun est libre de venir nous rendre visite: nos membres, mais aussi les écoles, les clubs et les associations. Nous recevons jusqu’à 3.000 visiteurs par an».
 
Nuée

Le capital le plus précieux de L.A.R. selon son fondateur: ses 165 spécialistes, qu’ils soient ingénieur, technicien, pilote, médecin, infirmier ou logisticien. Une équipe d’intervention est constamment sur le qui-vive, capable de décoller en deux minutes. «Vu l’extrême urgence de certaines missions et l’incertitude quant aux prochaines destinations, nous n’engageons quasi que  d’anciens pilotes militaires. Ne pas savoir si l’on se rendra le jour-même en Algérie, au Soudan ou en Russie, c’est parfois beaucoup de pression à gérer», explique-t-il.
René Closter a lui-même fait une formation de pilote d’hélicoptère afin d’être paré en cas de besoin. «J’ai passé ma licence à 42 ans», évoque-t-il, un sourire dans la voix. «C’est notre obstination qui a permis à notre vision de 1988 de devenir une réalité. Un politicien m’avait alors dit que j’avais la tête plus dure que les chênes qui poussent chez moi, dans le Nord. Peut-être avait-il raison».
 

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