L’ancrage du politique
De son bureau, au 15ème étage du Heichhaus de la place de l’Europe, le ministre de l’Environnement a une vue imprenable sur l’activité fourmillante qui anime le quartier du Kierchberg. On imagine qu’entre deux réunions, les forêts du Fraiheetsbam au loin rappellent à Carole Dieschbourg celles de son enfance. Portrait.
Récit d’une terre
De vastes forêts aux multiples teintes de vert, qui le froid venu orangent, jaunissent, puis brunissent, composent les paysages de l’est du pays. Le promeneur jurerait presque que c’est Monet qui a peint ces tableaux du Sublime où logent pour l’éternité d’immenses blocs de roches. Les 8.000 ans d’histoire de la région obligent à poser une main sur la pierre. L’Homme de Loschbourg[1], que certains à l’impudence des anachronismes disent qu’il est le premier Luxembourgeois, nous invite à un voyage dans l’Histoire. Nous partirions des églises de la région: la paroissiale de Berdorf (1847), la baroque de St Martin à Junglinster (1774), la Basilique St Willibrord d’Echternach (XIe); et des nombreux châteaux: Larochette (XIIIe), Beaufort (XIe) et Bourglinster (Xe); en passant par les ruines de la maison de maître du IIIe siècle romain, nous remonterions ainsi jusqu’au temps où les premiers hommes s’endormaient encore sous les voutes étoilées.
La Petite Suisse luxembourgeoise offre maintes richesses naturelles et culturelles à qui sait les apprécier.
Au moulin des savoirs
C’est dans ce cadre magnifique du Mullerthal, que le moulin à eau des Dieschbourg, aujourd’hui centenaire, prend place. Il est pour l’heure, le théâtre merveilleux des jeux d’un frère et d’une sœur que l’on imagine se cacher derrière les cuves pour mieux espionner la besogne du père. Le meunier produit des farines de blé et de seigles du pays et reçoit de nombreux producteurs de la région. Sa mère, institutrice, est une écologiste de la première heure qui amène régulièrement toute la tribu à des manifestations antinucléaires.
Les campagnes préfèrent le silence de la terre aux bavardages des villes, on y éduque les âmes comme on cultive les jardins et valeurs et savoirs se transmettent par peur qu’ils ne se perdent. L’économie, la politique, la culture, s’invitent immanquablement à la table des Dieschbourg, «une bonne école», se souvient-elle aujourd’hui dans un sourire nostalgique. L’enfant est très tôt la spectatrice des liens qui unissent les techniques artisanales et la nature. Lorsque la petite Carole, boucles d’or et grands yeux bleus joue dans le jardin familial au milieu des poules, des ânes, des chèvres, des chiens et des chats, elle connaît le tempérament de chacun d’eux et sait qu’il n’existe pas de différence de nature entre les Hommes et les animaux, mais uniquement de degré. Carole s’endort à la musique du vent qui s’engouffre dans la forêt et aux ombres des arbres qui dansent sur les fenêtres. Féérique ou contraignante, la nature fait toujours partie intégrante des enfances en campagne.
L’adolescente s’éprend de passion pour la littérature et vague d’un ouvrage à l’autre selon les choix du cœur. Contrairement aux écrans numériques qui imposent les images, le livre invite à une construction de l’esprit, pour mieux raconter le monde. Stendhal dit du roman qu’il est «un miroir que l’on promène le long d’un chemin», Proust que le travail du romancier est de retranscrire le «son du cœur». Carole Dieschbourg développe des curiosités et des plaisirs intellectuels pour la sociologie, les arts, la politique. Elle s’initie au latin, à l’espagnol, passe un bac littéraire et part pour l’Université de Trêves où elle étudie l’Histoire, la langue et la littérature allemande avec l’ambition d’enseigner. Elle y rencontre des militants et s’engage avec eux contre la réduction de financement des universités.
Jeune diplômée, elle travaille dans l’entreprise familiale et publie un livre sur les moulins du Mullerthal, «Die Mühlen des Müllerthals». Elle plonge alors dans ses souvenirs d’enfance et dans l’histoire de la terre pour retranscrire les liens qui unissent les artisans à la matière. De rencontres en discussions, elle fait le constat que le cadre sociétal, en d’autres termes la politique, n’est pas toujours propice à une activité économique respectueuse de l’environnement. Elle décide alors de le changer.
Une politique ancrée
Carole Dieschbourg se lance en politique avec l’envie de recréer des liens entre l’économie et l’écologie. Élue au conseil communal d’Echternach en 2011, elle envoie valser ceux qui cherchent à lui coller une étiquette de «femme quota». D’abord en rappelant que «chez les Verts, les listes sont paritaires, c’est comme ça», mais aussi et d’abord en se mettant au travail pour le développement durable de sa commune. Elle rentre dans le gouvernement de coalition DP / LSAP / déi gréng le 4 décembre 2013 et est en charge du portefeuille de l’Environnement.
Ministre, Carole Dieschbourg n’en reste pas moins fille de meunier et préfère la simplicité des rapports humains aux lumières des projecteurs. Certes, la fonction oblige dorénavant plus à des lectures de raison, (elle cite Peter Wohlleben et Robert Habeck), mais aussi à un certain contrôle de l’image.
Alors que les politiques occidentaux font le constat du désamour de leurs électeurs, Carole Dieschbourg voit le Luxembourg comme une exception, «une chance» de ne pas perdre le lien qui unit les politiques aux citoyens.
À l’heure des paroles politiques aseptisées par les effets de langage sortis des chapeaux des experts en communication, l’incontrôlable et inévitable bourde oratoire devient virale sur les réseaux sociaux. Le ministre Dieschbourg s’en moquerait presque, comme Victor Hugo, elle trimbale un cahier où elle annote ses pensées journalières. Comme lui, elle fait ses discours à l’aide d’un plan en guise de structure, à l’image d’Hugo, elle puise sa verve dans l’encrier de la passion tout en essayant de garder à l’esprit, la réalité citoyenne.
[1] Squelette d’homme préhistorique âgé de 8.000 ans, découvert en 1935 au Mullerthal, dans la commune de Waldbillig.
Julien Brun