Vieillissement de la population luxembourgeoise, état de santé et inégalités

Dr María Noel Pi Alperin est chercheur au LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research). Elle est actuellement responsable d’un projet intitulé «Dynamiques de santé et vieillissement de la population» (HEADYNAP – HEAlth DYNamics and Ageing Population[1]) financé par le Fonds National de la Recherche du Luxembourg. Ce projet vise à comprendre les conséquences économiques de l’évolution de l’état de santé dans un contexte de vieillissement de la population luxembourgeoise.
 
Le vieillissement de la population représente l’un des événements démographiques les plus importants des dernières décennies en Europe. Le Luxembourg n’est pas une exception. Ce processus démographique aura un impact fondamental sur l’économie, l’organisation de la société et la mise en place des objectifs politiques. L’ampleur de cet impact dépendra de l’évolution de l’état de santé de la population car elle affecte, notamment, la productivité du travail, la capacité d’épargne et donc la participation au marché du travail. En effet, il est bien connu qu’il existe un lien entre le vieillissement et la santé, car de nombreuses maladies sont liées à l’âge.
 
L’état de santé
Une des premières étapes nécessaires à la compréhension de l’impact de l’état de santé des individus sur l’économie, consiste à étudier l’état de santé lui-même. Plus particulièrement, il s’agit d’analyser l’état de santé de la population résidente au Luxembourg, d’en connaître les déterminants socio-économiques, ainsi que les facteurs qui expliquent les inégalités en santé.
Une façon de capturer l’état de santé global de la population consiste à se fier aux perceptions des individus quant à leur état de santé, autrement dit, la santé perçue. Leurs réponses sont alors regroupées en cinq catégories indiquant si les individus perçoivent leur santé comme excellente, très bonne, bonne, acceptable ou médiocre. Bien qu’elle soit souvent utilisée, cette mesure subjective de l’état de santé peut être influencée par des facteurs sociaux, économiques ou culturels, ce qui remet en cause sa fiabilité. Afin de pallier cette limite, nous avons opté pour une méthode alternative basée sur la construction d’un indicateur synthétique et un objectif de santé.
Cet indicateur agrège divers items qui reflètent différents aspects de la santé physique et mentale des individus. Plus particulièrement, la dimension mentale de la santé recouvre les problèmes de dépression mais aussi les problèmes de mémoire. La dimension physique, quant à elle, est caractérisée par un ensemble de maladies chroniques ou de longue durée, les problèmes de vue, les problèmes auditifs et les limitations des activités de la vie quotidienne. Toutes ces maladies et limitations, même si elles peuvent être présentes à tout âge, sont plus fréquentes parmi les personnes d’âge avancé.
Les résultats de notre étude montrent que les problèmes relatifs à la dimension mentale de la santé, et la dépression en particulier, sont les plus répandus dans la population luxembourgeoise d’au moins 50 ans. Parmi les différentes variables caractérisant la dimension physique de la santé, nous constatons que les individus sont principalement affectés par les maladies chroniques ainsi que par les problèmes de vue. Ces deux facteurs représentent respectivement 28% et 15% de la santé globale de la population.
 
Les inégalités socio-économiques
Une autre étape importante dans l’étude de la santé de la population concerne l’analyse des inégalités socio-économiques de santé. Plus particulièrement, il s’agit d’identifier quels facteurs génèrent des inégalités dans l’état de santé des individus, au-delà de leur âge et leur sexe.
Nous avons analysé trois ensembles de déterminants. Tout d’abord, les comportements. Il s’agit des décisions prises par les individus qui peuvent avoir un impact négatif sur leur état de santé. Par exemple, boire de l’alcool, fumer, ne pas avoir une activité physique régulière ou ne pas manger sainement. Ensuite, nous avons étudié les circonstances de la vie qui peuvent avoir un impact sur la santé mais qui ne répondent pas à des décisions prises par les individus, mais à des situations qui sont hors de leur contrôle. Parmi eux, il y a les facteurs génétiques, le pays de naissance, le niveau d’éducation des parents ou bien la situation financière de la famille quand l’individu était un enfant.  Enfin, nous avons les variables démographiques, telles que le sexe et l’âge des individus qui ont un impact sur la santé.
Les résultats ont montré que les variables reflétant les comportements ont un effet significatif sur la santé. Plus précisément, les individus qui ne fument pas ou qui pratiquent une activité physique régulière ont plus de chance d’être en bonne santé. En ce qui concerne les circonstances, nous constatons que les individus natifs du Grand-Duché de Luxembourg sont en meilleur état de santé que ceux originaires du Portugal, mais que leur santé est moins bonne que celle des individus provenant d’un pays de l’Union Européenne des 15 (autres que le Luxembourg et le Portugal). De plus, la probabilité d’être en bonne santé est plus élevée pour ceux qui ont un père avec un niveau d’éducation élevé, ou bien qui n’ont pas été confrontés à des difficultés financières en étant jeunes.
De manière générale, les différences entre les circonstances vécues par les individus et les comportements qu’ils réalisent eux-mêmes représentent chacun environ un quart des inégalités de santé. L’autre moitié, quant à elle, est due à des différences dans les variables démographiques (genre et âge).
 
Les circonstances

Les inégalités générées par les circonstances ne peuvent pas être ignorées car elles peuvent être considérées comme injustes. Contrairement aux efforts, les circonstances ne sont pas contrôlées par les individus. Ces résultats justifieraient une intervention gouvernementale visant à neutraliser l’effet négatif sur la santé d’un individu avec des parents qui ont un faible niveau d’éducation ou bien ayant souffert de difficultés financières pendant son enfance.
Notre analyse s’est concentrée par la suite sur les circonstances ou facteurs de risque exogènes pour la santé des individus et, plus particulièrement, dans l’identification des facteurs qui génèrent le plus des inégalités de santé. Les quatre facteurs de risque analysés sont les suivants: la nationalité des parents, le niveau d’éducation des parents, la situation financière des individus pendant leur enfance et la longévité des parents. Les résultats montrent que la nationalité des parents est le facteur qui génère le plus d’inégalités de santé parmi les quatre étudiés. Autrement dit, avoir ses deux parents immigrants constitue le facteur de risque qui aggrave le plus le niveau général d’inégalité de santé de la population. La nationalité des parents est suivie par le niveau d’éducation des parents, la situation économique étant enfant et finalement la longévité étudiée comme une variable proxy des maladies génétiques[2].
 
[1] HEADYNAP (Contrat FNR # C12/SC/3977324/HEADYNAP)
[2] Toutes ces études ont utilisé les données SHARE. Pour une description plus détaillée de l’enquête, voir l’encadré.
 
 
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SHARE: Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe
SHARE, première enquête européenne sur la santé, le vieillissement et la retraite, fournit des informations précieuses et essentielles sur les conditions de vie après 50 ans. Au Luxembourg, l’enquête SHARE est réalisée depuis l’année 2013. Près de 2.000 personnes ont déjà participé aux deux premières vagues de l’enquête.
 
Trois caractéristiques principales :
SHARE est internationale : Actuellement 27 pays européens, ainsi qu’Israël, font partie de l’enquête et proposent des données harmonisées afin de faciliter la comparabilité entre pays.
SHARE est longitudinale : Depuis 2004, cette enquête est réalisée tous les deux ans. Ceci permet de mieux comprendre le processus de vieillissement.
SHARE est pluridisciplinaire : L’enquête propose plus de 700 questions qui concernent différentes disciplines comme la santé, l’économie et les relations sociales et familiales.
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