Rendre à l’artisanat ce qu’il vous a donné

Le pâtissier Tom Oberweis a succédé le 15 juin dernier à Roland Kuhn à la tête de la Chambre des Métiers. Il est le premier artisan issu de l’alimentaire à être élu à la présidence de l’institution mais n’est pas intimidé par cette charge. Interview.
 
Pourquoi avez-vous choisi d’être candidat à la présidence de la Chambre des Métiers?
Cela fait 25 ans que je suis engagé pour l’artisanat en général et, comme vous vous en doutez, particulièrement pour les métiers de l’alimentation. J’étais toujours consulté par la Chambre quand il y avait des avis à rendre dans mon secteur. Je crois qu’il est important que des professionnels s’engagent pour l’artisanat, pour donner leur avis et le servir. Quand Roland Kuhn m’a demandé si j’étais intéressé par le poste, je lui ai d’abord dit qu’il fallait que j’organise ma société pour pouvoir me consacrer à une telle fonction. Il faut savoir rendre à l’artisanat tout ce qu’il vous a donné. Le bénévolat est important pour faire avancer les choses.
 
Etes-vous contraint, de fait, de lâcher un peu les rennes de votre entreprise?
Il faut dire que cela fait un certain temps que j’ai dû déléguer certaines tâches. Avec une entreprise qui compte désormais 380 salariés c’est normal. Mais je garde une grande présence dans l’entreprise. De plus, dans mon métier on a la chance de commencer très tôt et d’avoir de longues journées. Cela nécessite d’avoir des collaborateurs qui prennent des responsabilités.
 
Quelle est la situation de l’artisanat au Luxembourg?
La conjoncture est bonne et l’artisanat tire son épingle du jeu. En témoignent les données structurelles: il y a plus de 7.000 entreprises qui occupent environ 90.000 personnes. L’artisanat est ainsi le premier employeur au Luxembourg. Dans l’artisanat, la majorité des créateurs d’entreprises sont des non-luxembourgeois. Ceci est indéniablement une richesse pour le secteur et notre pays et nous pouvons en être fiers. En même temps, il serait souhaitable que ceux qui ont été formés au Luxembourg prennent davantage la responsabilité de s’engager, et de créer leur société. L’esprit d’entreprendre et l’esprit d’initiative sont des valeurs sur lesquelles nous devons travailler.
 
Que faut-il faire pour susciter davantage l’intérêt des résidents pour l’Artisanat?
C’est notre rôle de promouvoir l’artisanat dans les écoles. Dès le départ, il faut montrer aux jeunes tout ce qui peut être entrepris. Aujourd’hui, on ne prend pas assez en compte les aptitudes des élèves lors de leur orientation, l’accent est trop souvent mis sur les langues si bien que des jeunes qui pourraient choisir l’artisanat ne le font pas. Par conséquent, la main d’œuvre étrangère, qui ne parle souvent qu’une langue, est importée. L’Etat et l’administration attirent aussi beaucoup de jeunes. Avec son programme de valorisation de l’artisanat pour les jeunes «handsup», la Chambre des Métiers montre la diversité et les perspectives de carrière qu’offre l’artisanat. Mais il faudra intensifier nos efforts dans ce domaine.
 
Quels problèmes rencontrent les artisans au Grand-Duché?
L’artisanat, avec une centaine de métiers, n’est pas homogène. Il existe toutefois des points communs à tous les métiers. A côté du défi de trouver des gens qualifiés, le manque de terrain à un prix abordable, soit pour créer son entreprise, soit pour la développer, est un réel problème. La Chambre n’arrête pas de le thématiser, mais jusqu’à présent sans grand succès. Une étude a été réalisée l’année dernière montrant que l’artisanat a besoin d’environ 100 hectares. Et quand bien même le terrain a été trouvé, vu les prix pratiqués, il est difficile pour certaines sociétés d’obtenir la confiance des banques. Le financement est une autre difficulté que rencontre le secteur et il est souvent un frein à la création ou la reprise d’une entreprise. Je trouve par conséquent très positif que dans le «Pakt Pro Artisanat» que nous avons signé avec la secrétaire d’Etat à l’Economie Francine Closener, une garantie de dernier ressort pour les mutualités est prévue. Cela permettra aux mutualités d’accompagner davantage de projets d’entreprise. Il faudra également réfléchir à d’autres pistes pour améliorer la situation du financement.
 
Les entreprises luxembourgeoises sont-elles freinées dans leur développement au point de ne pas pouvoir s’attaquer à la Grande Région?
Le Luxembourg est un marché qui vit dans les deux sens. Tous les jours il y a des entreprises étrangères, des salariés étrangers qui viennent travailler au Grand-Duché. Et tous les jours, il y a des entreprises luxembourgeoises qui s’exportent dans la Grande Région. On a de plus en plus d’entrepreneurs luxembourgeois qui nous disent qu’ils sont contents de pouvoir compter sur un deuxième pilier, notamment dans la construction.
 
Cela signifie-t-il que la qualité luxembourgeoise est reconnue?
Bien entendu. Les entreprises luxembourgeoises ne misent pas sur les tarifs mais sur ce qu’elles proposent. Si nos entreprises sont reconnues pour leur qualité, c’est aussi grâce à la formation. C’est un cercle vertueux.
 
La formation connaît-elle une crise dans certains secteurs?
Roland Kuhn dit que dans un rayon de 200 kilomètres, dans le secteur de la construction, il n’y a plus de main d’œuvre. L’idée est maintenant de se tourner vers les pays de l’Est. Mais où loger ces travailleurs, comment les faire venir? Il faudra trouver les bonnes recettes pour séduire la main d’œuvre qualifiée étrangère de façon à ce qu’elle vienne travailler dans l’artisanat. Sans oublier de former et de motiver les jeunes de notre propre pays.
 
A l’issue de votre mandat, dans cinq ans, que voudriez-vous que l’on retienne?
En tant que secteur intensif en main d’œuvre, l’apprentissage et la qualification est une des priorités. Par conséquent, je vais m’investir pour que la formation initiale dans l’artisanat continue à se développer en termes de nombre et de qualité.
La réforme du brevet de maîtrise est un autre cheval de bataille important pour le secteur que j’entends mener à bon terme. L’artisanat est un des derniers secteurs qui soit structuré, au sens d’une carrière qui dépend des diplômes et avec des conditions de qualifications professionnelles pour s’établir. Nous aimerions l’ouvrir un peu plus, sans remettre en cause la structure, pour créer des passerelles et permettre à des personnes qui n’ont pas choisi la voie de formation classique DAP-Brevet de maîtrise, de pouvoir créer leur entreprise.
Je voudrais également contribuer à ce que l’artisanat profite des opportunités qu’offre la digitalisation. Il faudra aussi, sur un autre point, faciliter la transmission des entreprises car c’est un vrai problème aujourd’hui. Autant dire que le travail ne manque pas…

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