Rigueur, force et passion

Se moquant des «qu’en dira-t-on», Danièle Fonck entre dans la pièce, une cigarette à la main et d’un pas assuré. A coup de sourires charmeurs, sur un ton franc teinté d’humour, la directrice générale du Groupe Editpress – première femme à accéder à cette fonction – nous parle des coulisses de sa réussite, sans tabou ni complexe, avec beaucoup d’humilité.


Une vocation
«Vous serez ballerine ou journaliste», voilà ce que la jeune Danièle s’entend dire en classe de septième. Lily Unden, peintre émérite de l’époque et professeur dans son école, avait donc vu juste. Si son premier amour a été le ballet, le journalisme s’est très vite imposé comme une évidence. «Comme la danse classique, le journalisme vous apprend une extraordinaire rigueur et discipline».
Le choix de sa formation académique lui paraissait aussi évident que celui de la ville dans laquelle elle les poursuivrait. «Beaucoup de familles luxembourgeoises de l’époque envoyaient leurs enfants en France, et plus précisément à Paris, pour leurs études». Elle est très vite tombée sous le charme de la ville Lumière qu’elle considère encore aujourd’hui comme la plus belle des métropoles européennes.
 
Ses débuts au Monde
Danièle Fonck a notamment été influencée dans son écriture par Françoise Giroud qu’elle considère toujours comme un exemple pour les femmes journalistes. Elle a dévoré ses romans plusieurs fois comme elle engloutit chaque jour des ouvrages de littérature française. S’endormant parfois sur ses livres, elle ne peut se passer de cette nourriture cérébrale qui l’alimente quotidiennement.
Ayant débuté son parcours professionnel au Monde à Paris, Danièle Fonck a très vite l’opportunité de travailler pour le Tageblatt. Mais selon les standards de l’époque, elle avait tout faux: «J’étais une femme. Je venais de la capitale. Je n’étais pas Eschoise. En plus, je voulais m’exprimer en français!». Néanmoins, à l’instar de sa mère, une femme forte et émancipée, la jeune journaliste qu’elle était a tenu bon et a appris à mener ses batailles. «J’ai eu la chance de tomber sur un rédacteur en chef qui était ouvert aux idées de jeunes journalistes» raconte-t-elle. Ainsi, elle a rapidement hérité de la rubrique «politique étrangère» et de fil en aiguille, elle a remporté un premier combat en devenant la première journaliste à créer une page européenne dans un quotidien luxembourgeois.
«A l’époque où je n’exerçais que mon métier de journaliste, j’y ai retrouvé tout ce que je recherchais dans la profession; ce métier m’a apporté le respect et la passion des autres. Grâce à lui, j’ai constamment douté et j’ai été amenée à me dépasser».
Rêvant de voyages, de Moyen-Orient et de rencontres journalistiques, elle interviewe les plus grands: le chancelier autrichien Bruno Kreisky, le président Yasser Arafat, le Premier ministre britannique Tony Blair pour ne citer qu’eux. La rencontre qui l’aura sans doute le plus marquée, est celle de l’Ayatollah Khomeiny. «Je l’ai rencontré à la veille de son départ de Neauphle-le-Château pour l’Iran et j’ai tout de suite compris qu’il nous bernait – nous , Européens – et  qu’une fois rentré au pays, le sort des femmes n’y serait pas enviable», raconte-t-elle en tant qu’une des deux seules femmes au monde à l’avoir interviewé.
La journaliste n’a jamais eu froid aux yeux. Malgré la peur qui la prenait parfois au ventre sur les trottoirs minés de Sarajevo ou dans les rues libanaises où les balles perdues volaient et auraient pu la toucher, malgré les haut-le-cœur que provoquait la vue de la chair meurtrie des hommes dont les moignons, à peine cicatrisés, dégageaient une odeur nauséabonde, elle a toujours surmonté les difficultés pour avoir l’opportunité d’écrire sur des sujets qui la passionnaient.
 
L’appel des responsabilités
Danièle Fonck a ensuite gravi les échelons de la hiérarchie en devenant rédactrice adjointe en 1992, puis rédactrice en chef en 2004 avant d’accéder au poste de directrice du Groupe il y a six ans. En évoluant dans sa carrière, elle a donc accumulé les responsabilités tout en gardant un pied dans la profession. Entre-temps, en 2008, elle accède à nouveau à un poste jamais assumé par une femme avant elle: celui de présidente du Conseil de Presse.
Elle monte alors une nouvelle fois au front, animée d’une volonté de réformer la législation relative à la liberté d’expression dans les médias. «Si les journalistes sont parfois manipulés, dans notre pays comme dans bien d’autres, c’est souvent faute d’un accès correct à l’information», clame-t-elle haut et fort. Si la liberté d’expression d’un journaliste ainsi que la protection de ses sources doivent être garanties, il est également essentiel, selon elle, qu’un journaliste reconnaisse son devoir principal, celui d’honnêteté envers les lecteurs.
Mais pour la directrice, la manipulation des journalistes est moins préjudiciable que celle des masses opérée par ce qu’elle considère comme étant «un des grands malheurs du journalisme»: la communication. «Il est fondamental que les journalistes essaient d’être bien informés et qu’il ne se laissent pas impressionner dans cette quête». En effet, de son point de vue, le contrôle de l’information a toujours été un problème: le journaliste doit simplement être honnête et s’armer d’un solide sens de la déontologie. Elle nuance toutefois son propos: «Je ne crois pas non plus en la transparence absolue, il y a des choses qu’il faut dire et d’autres, que l’on fait mieux de taire».
Sous sa carapace de femme de pouvoir déterminée, se cache également une femme douce et spontanée qui s’est livrée sans pudeur ni faux-semblants. Avant de quitter la pièce, elle ajoute, presque coupable de ne pas l’avoir mentionné plus tôt: «et j’adore mes petits neveux!» dans un sourire amusé et chaleureux.   MC

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