Le souffle entrepreneurial
Claude Wagner a bâti un groupe exceptionnel dont les nombreuses enseignes en matériaux, bricolage et sport font partie paysage grand-ducal. Le 12 décembre dernier, il s’est vu désigné Entrepreneur de l’Année 2016, un prix décerné par EY. Mince et vif, le quinquagénaire a encore des airs de jeune homme. Mais ne vous y trompez pas: les conseils qu’il donne trahissent sa très longue expérience du marché luxembourgeois. Rencontre.
De poucet à géant
«Qu’est ce qui m’a distingué des autres candidats?». Claude Wagner répète la question, un fin sourire lui traversant le visage. Il ne réfléchit pas longtemps. «Le jury a souligné que j’ai bâti mon aventure entrepreneuriale en partant de zéro, construisant le groupe de toute pièce. Je crois que c’est ça qui les a séduit». Et de fait, qui aurait pu soupçonner qu’un jeune banquier puisse, en une quinzaine d’années seulement, être à la tête de presque 850 salariés?
Au début de sa carrière, Claude Wagner suffoque dans son costume d’employé trop étroit. Frustré de ne pas pouvoir mettre en pratique ses idées, il quitte le confortable univers bancaire. Peu après, il reprend sa première société: Bati Chimie. Un changement de nom et une refonte plus tard, Bati C devient une entreprise diversifiée, spécialisée en matériaux de construction, aménagement et décoration. L’entrepreneur est convaincu que ce choix d’un angle plus généraliste leur a évité de disparaître: «Cela nous a empêché d’être absorbés par une plus grande structure. Le client ne souhaite plus s’adresser à différents interlocuteurs pour ses travaux. Il ne veut avoir de contact qu’avec une entreprise unique qui le conseille de A à Z et le suive sur tous les aspects de son projet. C’est l’objectif de Bati C».
En 2001, Hoffman rejoint le groupe CWA. Originellement le plus important négoce en bois de la Grande Région, la société conserve cette place prépondérante mais se décline par la suite en un hall décoration et un espace bricolage. Claude Wagner explique: «Nous avons remodelé et même développé Hoffmann en ouvrant une seconde enseigne. Avec ces activités, les implantations sont à la fois spécialisées dans le négoce de gros pour les professionnels et également tournées vers les particuliers bricoleurs».
En deux décennies, Claude Wagner et son groupe reprennent une dizaine d’entreprises, généralement du secteur du bricolage et des matériaux de construction, telles que Batiself. Mais un autre domaine fait de l’œil au serial entrepreneur. «Depuis toujours, je suis passionné par le sport. Cela m’a amené, à ouvrir un Intersport en 2002 à Bertange». Chemin faisant, un deuxième site de l’enseigne est ouvert à Mersch en 2007, suivi par la reprise de l’immense Citabel Sports de Leudelange, une année plus tard. Les magasins S-Cape et Surf’In viennent étoffer l’offre sportive peu après.
Bien que ses choix puissent sembler disparates à première vue, son appétit entrepreneurial est soutenu par une idée globale, un fil conducteur. Le groupe présente en effet des sociétés aux activités complémentaires, situées sur deux grandes branches du commerce: le bâtiment et le sport.
Persévérer, s’entourer, s’adapter
Après avoir souligné les spécificités de son groupe, Claude Wagner insiste sur les qualités des autres participants à la compétition organisée par EY: «Comme l’a dit le président du jury, Nicolas Buck, toutes les entreprises présentes auraient mérité le prix d’Entrepreneur de l’Année. Le panel était superbe et j’ai apprécié rencontrer ces personnes passionnées. Nous travaillons dans des domaines différents mais nous sommes animés par la même volonté, la même persévérance».
Cette persévérance est d’ailleurs son premier conseil aux hommes et femmes qui souhaitent se lancer. «Le premier défi, c’est d’avoir le courage de se jeter dans l’eau froide. Et elle est glacée, surtout au commencement, je vous le garantis (rires). Les premières années sont difficiles». Il s’anime à l’évocation de ses débuts: «On se retrouve face à beaucoup d’obstacles à franchir; et même si l’on trébuche sur l’un deux, il faut garder son objectif en ligne de mire et continuer. Les résultats, surtout financiers, ne sont pas toujours présents rapidement. Mais tôt ou tard, si l’engagement se maintient, ils seront à la clé. Il précise cependant: «Il faut être réaliste: les échecs existent. Il faut accepter les contrecoups et recommencer».
Sa deuxième recommandation est de bien s’entourer. Selon lui, les partenaires, fournisseurs, investisseurs et collaborateurs doivent absolument être écoutés. «Les banques qui accordent des moyens de financement offrent aussi des conseils. Elles forcent les entrepreneurs à se structurer, ne fut-ce qu’administrativement. En créant une compagnie, il y a tant à considérer: l’autorisation de commerce, l’enregistrement du nom de la société, le siège social, la comptabilité, la téléphonie,… Cela peut sembler insurmontable mais des fiduciaires, des avocats ou des institutions offrent leurs services pour aider les jeunes pousses». Et dans le voisinage de l’entrepreneur, les individus les plus importants sont les collègues. «Ils font la force d’une société», affirme Claude Wagner. Il se souvient de la préparation de son dossier avec EY et d’une question sur le superpouvoir qu’il souhaiterait posséder s’il était un superhéros. «Tout de suite, j’ai pensé au clonage. Ah, si j’étais capable de cloner mes meilleurs collaborateurs!», s’exclame-t-il. Mais avoir des employés motivés n’est pas suffisant. Encore faut-il leur déléguer des tâches efficacement: «Je donne des responsabilités et des libertés à mes collaborateurs. Je leur fixe des objectifs et, ensuite, je les laisse faire. Ainsi, ils peuvent développer leurs propres idées et nous adaptons notre stratégie ensemble, par après. Cette inter-connectivite nous permet de bien gérer le quotidien de l’entreprise».
Dernier avertissement de Claude Wagner, et peut-être le plus important: savoir s’adapter. Il explique que dans un milieu aussi petit que celui du Grand-Duché, la concurrence est rude. «Et bien trop souvent sous-estimée. Quand vous arrivez sur un marché, les confrères réagissent, ils vont essayer de vous doubler en adaptant leurs produits, leurs services, leurs offres ou leurs prix. A vous de l’anticiper, d’essayer de rester en phase avec votre marché». Nouvelles technologies, tendances de la mode ou besoins de la clientèle; Claude Wagner conseille aux jeunes entrepreneurs d’être toujours sur le qui-vive. «Prenez note des critiques et essayez de vous adapter au plus vite», conseille-t-il.
Enthousiasme envers l’avenir
Claude Wagner puise dynamisme et assurance dans son épanouissement personnel et dans sa passion pour le sport. «Je suis satisfait, dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle, et crois que l’un tient l’autre. Le samedi, je me promène souvent avec mes enfants dans les divers magasins du groupe, pour discuter avec les collaborateurs et les clients. Par ailleurs, je cours très régulièrement dans la nature, dans la magnifique forêt du «Bambësch» ou sur les plaines. Je crois que cela m’apporte l’énergie et l’équilibre dont j’ai besoin».
Ce grand sportif est loin d’être à bout de souffle entrepreneurial. Outre la refonte de tous les sites internet du groupe, il a prévu d’ouvrir deux nouveaux magasins liés à l’univers sportif en 2017: un Intersport à Junglinster et un Citabel à Dudelange. De plus, l’enseigne Bati C de Bertrange verra se développer son département Home & Style. Quant à Bâtiself, c’est l’implantation d’Ingeldorf qui subira une refonte complète. Il ajoute: «Au long de cette année, nous poursuivrons également notre cheminement avec Poliform Varenna, respectivement en mobilier et cuisine».
«Puis, nous peaufinerons notre projet pour la finale de l’Entrepreneur de l’Année qui aura lieu à Monaco en juin», conclut-il, avec un sourire plus timide. «Bien entendu, il nous faut rester modestes: l’échelle du Luxembourg est petite. Je participerai à la finale avant tout comme spectateur. Je suis heureux de prendre part à cette aventure pour voir que les grands de ce monde imaginent. C’est une belle opportunité d’apprendre des meilleurs entrepreneurs internationaux, d’essayer de comprendre leur façon de travailler et de rapporter l’une ou l’autre idée dans mes bagages». SoM