«Se loger au Luxembourg» Une thématique au cœur des activités du LISER
Le Dr Julien Licheron est chercheur au LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research). Dans ses recherches, il étudie la structure spatiale des prix de l’immobilier grâce à des modèles de prix hédoniques. Il analyse également les conditions de logement et les frais de logement pour les ménages au Luxembourg.
En quoi consistent les activités de recherche du LISER dans le domaine du logement?
Le LISER (anciennement CEPS/INSTEAD) est actif depuis de nombreuses années dans le domaine du logement. Le projet le plus connu en la matière est l’Observatoire de l’Habitat, qui est un service du ministère du Logement dont les travaux sont réalisés en collaboration avec le LISER. Depuis sa création en 2003, l’Observatoire de l’Habitat a cherché à combler les lacunes statistiques identifiées, notamment dans le domaine des prix immobiliers, des prix du foncier, des loyers, de la disponibilité des terrains à bâtir et de la consommation foncière dans les communes. Cet Observatoire a été chargé de collecter et d’analyser, en collaboration avec d’autres services étatiques et communaux, les données relatives au marché du logement. Depuis lors, l’Observatoire de l’Habitat diffuse régulièrement les résultats de ces travaux par l’intermédiaire de bulletins trimestriels, de notes, de dossier, etc. Les statistiques et les analyses produites sont également diffusées sur le site internet de l’Observatoire de l’Habitat.
Quels sont les thèmes de recherche actuels du LISER en matière de logement?
La recherche actuelle se concentre autour de cinq grands questionnements directement en lien avec le marché du logement: 1. Comment expliquer les fortes différences observées dans le prix des logements sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg? 2. Comment identifier une bulle immobilière, et le Luxembourg a–t-il connu de telles situations de bulle immobilière? 3. Quels sont les déterminants des pratiques de mobilité résidentielle et des choix de logement des ménages? 4. Comment estimer l’offre potentielle en logements au Luxembourg? 5. Quels sont les effets des politiques du logement?
Une préoccupation majeure du grand public est celle de la croissance continue des prix des logements. Pensez-vous qu’il existe une bulle immobilière et que la hausse des prix au Luxembourg pourrait se renverser dans les prochaines années?
A mon avis, il est très important de bien comprendre ce qu’est une bulle immobilière: c’est d’abord une situation dans laquelle les évolutions des prix des logements ne peuvent pas s’expliquer par les «fondamentaux» de l’économie, c’est-à-dire par les évolutions observées dans la demande et l’offre de logements. Dans une situation de bulle immobilière, la hausse des prix s’explique au-moins en grande partie par des comportements spéculatifs, des achats de bien immobilier uniquement motivés par une perspective de plus-values. Dans la plupart des pays qui ont connu une bulle immobilière ces dernières années, la hausse des prix était d’ailleurs accompagnée d’une très forte croissance de l’offre de logements. En Irlande ou en Espagne, la surproduction de logements a été particulièrement criante.
Le Luxembourg est-il aujourd’hui dans une telle situation? Je ne le crois pas. Certes, la hausse des prix des logements est particulièrement soutenue et surtout régulière: environ +4,5% par an pour les prix de vente des appartements et des maisons depuis 2010. Mais cette hausse des prix s’explique avant tout par un décalage persistant entre l’offre et la demande de logements. La demande est soutenue par une croissance démographique sans équivalent en Europe, d’environ 2% par an, mais également par une croissance des revenus des ménages plutôt supérieure à celle des pays voisins, des taux d’intérêt historiquement bas et des conditions de crédit plutôt favorables. Le STATEC avait ainsi estimé les besoins à quelques 6.500 nouveaux logements par an d’ici 2030 pour accueillir les nouveaux ménages et renouveler une partie du parc de logements qui est dégradée. Mais ces besoins étaient estimés sur la base de projections de croissance démographique d’environ 0,7% par an… alors que cette croissance démographique dépasse systématiquement 2% depuis 2010 ! Dans le même temps, l’offre en logements peine à augmenter aussi fortement. Les statistiques relatives aux bâtiments achevés du STATEC suggèrent que l’offre se maintient autour de 2.600 nouveaux logements créés depuis le début des années 2000, sans nette tendance à la hausse.
Comme expliquer que l’offre de logements peine à répondre à la demande très forte?
Dans le cadre de l’Observatoire de l’Habitat du ministère du Logement, nous réalisons depuis 2004 un suivi régulier du potentiel de terrains constructibles pour l’habitat. Dans la dernière mise à jour, nous montrions que plus de 2.700 hectares de terrains sont libres de construction et déjà affectés à l’habitat dans les documents d’urbanisme (les fameux Plans d’Aménagement Général, PAG) des communes. Dès lors, les réserves foncières sont encore importantes au Luxembourg, sans compter les possibilités d’extension des périmètres constructibles pour les communes et de densification d’une partie du stock de logements par des démolitions-reconstructions, deux phénomènes qui existent déjà au Luxembourg.
Mais plus de 90% des surfaces disponibles appartiennent à des propriétaires privés, majoritairement des particuliers. Le problème n’est donc pas tant un phénomène de spéculation, mais plutôt de rétention foncière. Etant donné l’augmentation régulière des prix des terrains, le montant limité de l’impôt foncier et l’absence de taxation généralisée sur les terrains non bâtis, le foncier est un très bon placement peu risqué… Ces dernières années, le Gouvernement tente donc de trouver des incitants pour mobiliser les terrains, qu’ils appartiennent à l’Etat et aux communes, ou également à des propriétaires privés. C’est notamment l’objet du “Baulückenprogamm“, qui cible particulièrement les petits terrains disponibles, qui sont a priori mobilisables rapidement. C’est également l’un des objectifs annoncés dans le cadre de la réforme fiscale 2017, avec la baisse temporaire de l’imposition des plus-values immobilières, qui a pris effet au 1er juillet 2016 et sera en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017.
Quels sont les autres challenges à relever sur le marché du logement au Luxembourg?
Pour toutes les raisons évoquées plus haut, je ne crois pas qu’il existe actuellement de bulle immobilière généralisée au Luxembourg. Cela ne veut toutefois pas dire que des comportements spéculatifs n’existent pas, et les prix sont peut-être anormalement élevés dans certaines zones très spécifiques ou sur certains segments de marché. Surtout, une absence de bulle immobilière ne signifie pas qu’il n’existe pas de problème sur le marché du logement!
Mais il se pose plutôt en termes de déficit d’offre de logements, et particulièrement de logements à prix abordables. Tout d’abord, le Luxembourg est l’un des pays européens où le secteur locatif social est le plus limité. Même si la définition du logement locatif social n’est pas très claire, nous pouvons noter que 3.000 à 4.000 logements appartenant au Fonds du Logement, à la Société Nationale des Habitations à Bon Marché (SNHBM) ou aux communes sont loués selon des loyers fixés par barème en fonction des revenus et de la composition des ménages. Cela ne représente que 1,5% du stock total de logements au Luxembourg… Dans ce cadre, le Gouvernement a annoncé un développement des logements locatifs sociaux dans les prochaines années, pour les ménages les plus en difficulté.
Mais il est également nécessaire de développer des formes alternatives de logements à coût modéré pour répondre aux importants besoins. A mon avis, il n’existe pas de solution miracle dans ce domaine, mais un ensemble de nombreuses petites solutions adaptées à des populations spécifiques. Le renforcement de l’Agence Immobilière Sociale, le développement d’initiatives de coopératives d’habitation ou de cohabitation intergénérationnelles vont dans ce sens.
Quel pourrait être le rôle du LISER dans l’analyse du marché du logement au Luxembourg?
Les travaux du LISER actuellement en cours viseront à renforcer les connaissances sur le fonctionnement du marché du logement luxembourgeois, tant au niveau microéconomique (au niveau des agents économiques, qu’il s’agisse des acquéreurs, des locataires, des promoteurs, etc.) qu’au niveau macroéconomique (pour la formation des prix de vente et des loyers).
Dans le cadre de l’Observatoire de l’Habitat du Ministère du Logement, et en collaboration avec les autres acteurs de la statistique publique comme le STATEC, il s’agira de perfectionner les outils statistiques existants dans le domaine du logement. Deux exemples récents sont, d’une part, la création d’une statistique détaillée sur les prix de ventes de terrains à bâtir pour l’habitat et, d’autre part, la création de statistiques sur la valorisation des places de stationnement et des garages dans les ventes d’appartements.
En matière de recherche plus académique, le LISER prévoit d’étoffer l’équipe dédiée aux analyses consacrées au logement. L’objectif sera dorénavant d’offrir des perspectives comparatives permettant de positionner le Luxembourg par rapport aux pays voisins et d’analyser la pertinence pour le Luxembourg de solutions expérimentées à l’étranger en vue d’augmenter l’offre de logements.
Source photo : LISER