La propriété intellectuelle, ou le rempart du génie
Pierre Kihn est Conseil en propriété industrielle, Mandatiaire agréé près l’Office européen des brevets et mandataire en marques et modèles de l’Union européenne. Il rejoint les rangs de l’Office Freylinger en 1992 et en est aujourd’hui le directeur général. Interview.
Parlez-nous de l’entreprise…
La petite structure fondée en 1966 a pris un essor considérable et compte désormais 45 collaborateurs qui sont de profils différents mais complémentaires. Des ingénieurs, physiciens diplômés et des juristes représentent les clients devant différents offices européens de propriété industrielle.
C’est l’une de nos particularités: nous représentons nos clients au-delà des frontières luxembourgeoises et sans intermédiaires locaux devant l’Office européen des brevets à Munich, l’EU IPO à Alicante, l’OMPI à Genève, le BOIP à La Haye et devant les offices nationaux allemand, autrichien, français, belge, anglais, irlandais et bien évidemment, luxembourgeois. Si les formalités sont relativement différentes d’un pays à l’autre, les lois nationales sont néanmoins harmonisées en grande partie.
Ainsi, nous sommes capables d‘offrir nos services dans tous ces pays à partir d’un point unique à Luxembourg; c’est ce qui nous distingue de nos confrères. Cela nous permet en outre de maîtriser les dossiers sans dépendre à d’autres prestataires.
Quelles sont vos activités?
Nous conseillons nos clients dans tous les aspects de la propriété intellectuelle (P.I.). Notre métier principal est d’aider nos clients à obtenir et à maintenir des droits de propriété industrielle c.-à-d. des brevets, des marques, des dessins, modèles et de les aider à les valoriser au mieux par des contrats de licence par exemple.
Nous intervenons aussi dans le cadre des logiciels informatiques. Comme le droit d’auteur n’est pas assujetti à un enregistrement systématique, nous aidons nos clients à se constituer des preuves de la date et de l’étendue de la création.
De manière générale, nous aidons nos clients à construire une stratégie de propriété industrielle.
Qui sont vos clients?
Ils peuvent être des industriels, des PME, des startups ou des institutionnels qui font de la R&D. Ils investissent pour développer de nouveaux procédés, produits ou machines qui doivent être protégés par des brevets. En collaboration avec le client, l’un de nos mandataires décrit l’objet du droit et nous déposons la demande de brevet dans le pays où le client a un intérêt commercial.
Nous assurons la défense de cette demande de brevet devant l’office de ce pays lors de l’examen où les critères de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle y sont vérifiés. L’examinateur peut émettre des objections tant sur le fond que sur la forme et nous devons être à même d’y répondre pour les clarifier, sans quoi nous devons faire appel. Nous gérons en outre tout ce qui entoure ce brevet.
Dans la grande majorité des pays, les brevets sont soumis à une taxe de maintien sans laquelle ils tombent, libres de droit, dans le domaine public (au plus tard 20 ans après le dépôt).
Nos clients développent des marques ou des produits ayant une esthétique particulière qu’il s’agit aussi de protéger.
Si nos clients sont, pour la plupart, implantés en Grande Région, ils ont des intérêts en dehors de Luxembourg et de l’Europe. C’est pourquoi, nous travaillons avec des confrères locaux qui se chargent de la défense des dossiers dans leurs juridictions, en Chine, aux Etats-Unis, au Japon etc. Nous avons des contacts avec des confrères dans tous ces pays et eux-aussi, viennent à nous lorsque leurs clients sont intéressés par l’Europe et le Luxembourg.
Où en est le brevet unitaire?
Toujours en discussion, et ce depuis quarante ans… Ce brevet unitaire doit être ratifié par les trois pays membres qui déposent le plus de brevets, à savoir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Une avancée significative avait été réalisée sous la pression politique depuis 2012. Une entrée en vigueur était même officiellement annoncée pour 2017. Cependant, tout semble être remis en cause par le “Brexit“. Tout dépendra des modalités de sorties et cela m’étonnerait que la question soit posée lors des négociations. Le brevet unitaire connait donc plein d’embûches.
Œuvrant depuis 1966, vous êtes un observateur privilégié de la diversification économique du pays…
Nous avons en effet accompagné beaucoup de sociétés luxembourgeoises. Je pense que le Grand-Duché a toujours été une place privilégiée pour la P.I., puisque nous sommes actuellement le pays de l’Union européenne qui dépose le plus de brevets (par habitant). Il y a trois ans, le président de l’Office européen des brevets a même déclaré lors d’une conférence à Luxembourg que les conseils luxembourgeois devaient être parmi les meilleurs, ce que nous n’avons bien évidemment pas contredit (rires).
Le Luxembourg a toujours su attirer les entreprises innovantes. Les H29 (pour Holding de 1929) ont été interdits par l’Union européenne en 2010 et l’imposition avantageuse des revenues de la propriété industrielle (Art. 50 bis LIR) a beaucoup aidé à l’implantation de sociétés exploitant des droits de P.I. à Luxembourg. S’il n’existe aujourd’hui plus de statut préférentiel pour la P.I., nous restons néanmoins un bain où l’activité est foisonnante.
La recherche privée, forte de grands acteurs comme Goodyear ou Delphi par exemple, a influencé la création d’une recherche publique plus organisée. La création de l’Université du Luxembourg, les CRP, les bourses du CNR, la volonté de rapatrier les chercheurs luxembourgeois basés à l’étranger en sont quelques exemples. La recherche publique se concentre ainsi sur les priorités de la politique de diversification économique multisectorielle (logistique, TIC, écotechnologies, technologies de la santé et de l’espace) menée depuis plus d’une décennie.
La P.I. s’inscrit-elle aussi plus largement dans la dématérialisation de l’économie européenne?
Autrefois, les frontières géographiques étaient une protection naturelle mais le monde a changé. L’époque où les douaniers de ma jeunesse contrôlaient les jauges d’essences des voitures à chaque passage de la frontière est révolue. Le Vieux Continent a une monnaie unique et un marché à travers lequel les biens, les capitaux et ses citoyens circulent librement.
Devant une situation où la P.I. représente plus de 70% de la valeur d’une entreprise, il faut faire preuve d’une grande rigueur et mettre en place une politique de protection efficace. C’est aussi l’une des raisons de l’augmentation des dépôts de brevets. Le but est de documenter la valeur immatérielle de l’entreprise par le dépôt systématique de brevets.