La révolution grand-ducale de l’eau propre

Imaginez une technologie qui permettrait de séparer tous les éléments du lisier pour en extraire une eau de très haute qualité; elle serait tellement propre qu’on pourrait la boire. Cette technologie serait peu gourmande en énergie et tiendrait dans la remorque d’un camion, ce qui la rendrait mobile. C’est une startup luxembourgeoise qui a réalisé cette folle ambition destinée dans un premier temps aux agriculteurs et producteurs de biogaz. Explications d’Emmanuel Trouvé, l’un des trois administrateurs d’Ama Mundu Technologies.
 
 
Comment est née l’aventure?
 
C’est tout d’abord le projet de trois amis, Michel Reckinger, Marcel Wilwert et moi-même. Nous partagions l’envie commune de contribuer à la résolution des problèmes de l’eau par l’innovation technologique.
Nous avons dès le début, intégré la problématique de l’économie d’énergie à celle de l’eau (deux domaines qui ne vont malheureusement pas toujours ensemble). Nous avons élaboré une technologie qui permet de trier les matières qui sont aujourd’hui présentes dans les eaux usées ou dans les déjections animales.
Parmi elles, les microparticules, pesticides, résidus de substances pharmaceutiques ou chimiques, les métaux lourds et les nanoparticules sont autant de substances présentes dans nos eaux et qui peuvent se retrouver par dizaine dans notre sang. Nous avons enfin trouvé un moyen simple de les retenir!
 

Comment cela fonctionne?

 
Nous extrayons les 90% d’eau qui composent les déjections animales (le lisier) et les jus liquides qui sont issus des usines de biogaz ou de décharges. Nous commençons d’abord par un processus de séparation de la matière sèche solide. Les déchets liquides passent ensuite dans un procédé de nanofiltration qui donne un premier engrais, riche en phosphore et en azote. Enfin, nous utilisons l’osmose inverse pour en extraire l’eau purifiée H2O. L’osmose inverse est un procédé connu mais habituellement utilisé à plus de 30 bar alors que nous n’en utilisons que 10. Cette baisse de pression (et donc de consommation d’énergie) est possible grâce aux différents procédés réalisés en amont. Les petits restes que l’on ne peut pas valoriser sont alors détruits.
 
 
Quelles sont les avantages de ce procédé comparés à ceux d’une station d’épuration classique?
 
L’innovation réside dans le changement de paradigme, il ne s’agit ni d’un traitement des eaux usées, ni d’une dépollution mais bien de la récupération d’une eau purifiée, d’engrais ou de combustibles renouvelables, par des procédés de fractionnement et de filtrage.
Et notre équipement (voir photo) ne prend que très peu de place puisqu’il tient dans une remorque de treize mètres. Notre unité mobile suffit à équiper une usine biogaz de 1,5 mégawatt qui n’aura plus besoin d’épandre le lisier brut dans les champs. Une version adaptée aux eaux usées municipales suffit aussi pour un peu moins de 1.000 habitants.
Nous pouvons par exemple intervenir en complément d’une station d’épuration qui serait insuffisante en capacité ou en qualité de rejet, et ce sans couler aucun bêton. Notre station a des résultats de qualité bien supérieurs répondant aux normes à venir, et c’est aussi une solution moins onéreuse.
Ce sont tous ces avantages qui ont permis au ministère de l’Economie de cofinancer notre premier projet de R&D depuis septembre 2015. D’autres programmes permettront de mieux s’adapter aux différentes matières et donc aux différents types de lisiers qu’ils soient bovin ou porcin mais aussi à plusieurs sites biogaz. Nous pourrons alors mieux valoriser l’eau extraite, les engrais.
 
 
Qui sont vos clients?
 
Les producteurs de biogaz, les agriculteurs, principalement des éleveurs, des stations d’épuration municipales, des exploitants mais aussi des promoteurs de bâtiments durables, l’hôtellerie, etc. Nous pouvons être actifs partout où il est question des eaux usées.
Beaucoup de professionnels du secteur pensent que la consommation d’eau changera d’ici les trente ans à venir. En allant de plus en plus vers les bâtiments durables et autonomes, il faudra inévitablement se poser la question de la réutilisation de l’eau et donc de son système de filtrage.
 
 
D’où le terme de révolution. Comment cette technologie peut-elle se développer à l’avenir?
 
La question des pressions toujours plus constantes que nous exerçons sur nos ressources naturelles en eau, et qui seront de plus en plus précieuses à l’avenir, se pose déjà.
L’eau prélevée dans le milieu naturel servira d’abord aux usages nobles, et après une ou plusieurs préparation au recyclage, elle servira à l’arrosage, pour les toilettes et pour alimenter une chaudière par exemple. Après ces usages successifs, elle retrouvera le chemin des canalisations, de la station d’épuration et enfin de la nature.
Cette solution écologique, serait également une issue économique car aujourd’hui, les deux tiers du prix de l’eau proviennent des moyens de son acheminement. D’ici 2050, le Luxembourg comptera plus d’un million d’habitants et ce doublement de la population sera autant de tuyaux d’approvisionnement à poser, puis à entretenir.
Le recyclage limiterait les approvisionnements d’eau par immeubles, quartiers, ou du moins, par zones et le système centralisé serait soulagé par des systèmes décentralisés. Le coût de remplacement du réseau serait bien moindre et la responsabilité des consommateurs bien plus grande; c’est notre relation à l’eau qui changera, moins notre façon de l’utiliser.
 
 
Racontez-nous votre présence à la foire agricole d’Ettelbruck…
 
Nous avions travaillé jours et nuits pour que notre prototype soit prêt à être présenté. Je pense que nous avons suffisamment réussi à vulgariser notre procédé pour parler aux professionnels, aux nombreux élèves et étudiants et aux autorités qui sont venues nous rendre visite. Nous y avons trouvé un engouement qui nous a vraiment touchés.
 
 
Des ambitions futures?
 
Nous avons pris part à un deuxième projet de recherche appelé “Persephone“ dans lequel nous travaillons en collaboration avec les instituts et les agriculteurs de la Grande Région et des des Pays-Bas. Nous avons une approche pragmatique dans laquelle nous interagissons directement avec les utilisateurs finaux que sont les agriculteurs.
Notre technologie est en avance sur la législation actuelle qui n’a donc pas encore prévu notre cas : nous produisons des engrais minéraux et de l’eau pure à partir de lisiers. La directive relative au nitrate doit alors évoluer et c’est pour cela que le projet de R&D collaboratif va générer des données scientifiques qui, nous l’espérons, feront évoluer la réglementation européenne, l’innovation, l’écologie et l’économie circulaire dans laquelle nous nous inscrivons.
 
 

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