Les gendarmes de l’innovation
Nadia Manzari rejoint la CSSF en 2001 où elle intègre le service banque. Elle participe aux travaux d’élaboration de la directive relative au service de paiement en tant qu’expert national et participe à sa transposition dans le droit national. Elle s’occupe aussi de la directive sur la monnaie électronique. C’est son éclectisme qui l’amène aujourd’hui à s’occuper des FinTech au sein de la Commission de Surveillance du Secteur Financier.
Que représentent les FinTech pour le Luxembourg?
En ce qui concerne les services de paiement nous comptons une dizaine de sociétés dans le domaine des paiements et quatre pour la monnaie électronique, ce qui est relativement important pour une activité qui a vu le jour en 2009. Je pense que les activités se sont considérablement diversifiées ces trois dernières années avec les monnaies virtuelles, l’économie solidaire et notamment la “distributed ledger technology“.
Comment sont perçues les demandes d’établissements à l’international?
Nous avons des retours très positifs au niveau international dans notre domaine d’activité. Il faut dire que nous sommes bien placés en Europe de par notre multilinguisme, notre stabilité et nos centres de données. Nous avons la réputation d’être attentifs à l’innovation et d’être réactifs, même si nous exigeons que ces acteurs soient régulés dès que des services financiers sont prestés. Nous avons été les premiers à implémenter la directive relative à la monnaie électronique en droit national par exemple. On peut même dire que ces dernières années, de nombreux acteurs dans le domaine des technologies financières nous ont préférés à Londres tout simplement parce qu’ils souhaitaient être réglementés
Comment se passe la procédure d’établissement?
Les dossiers d’agréments sont tous traités de la même façon. Nous avons des exigences qui sont recensées sur notre site internet et un certain nombre de documents et d’informations sont à nous remettre. Ensuite nous les classifions tous selon leur domaine (monnaies électroniques, services de paiements, monnaies virtuelles, etc.) pour certains nous devons déterminer quelle licence est la plus adaptée au service financier presté.
En ce qui concerne la durée de la procédure d’instruction d’un dossier, tout dépend de la maturité du dossier. S’il est complet, nous pouvons donner une réponse entre trois et six mois mais dans la plupart des cas, ils ne le sont pas. Même pour les activités dites “classiques“ comme les paiements ou la monnaie électronique, il y a toujours des éléments manquants. Nous faisons une première analyse du dossier et communiquons nos demandes additionnelles. Parfois, deux allers-retours entre les différentes institutions suffisent, parfois il en faut cinq ou six.
Les nouvelles activités sont plus compliquées à instruire dans le sens où elles soulèvent des questions souvent très techniques et spécifiques quant à la technologie utilisée. Nous devons définir avec l’acteur, quel sera son rôle et quelle loi lui sera applicable. Il s’agit souvent de solutions technologiques à partir desquelles des services financiers peuvent être prestés, reste à déterminer quel service et par qui le sera-t-il afin de déterminer si un agrément du secteur financier est nécessaire ou pas.
La CSSF n’a donc pas uniquement un rôle de gendarme, vous êtes également des accompagnateurs…
Nous sommes de plus en plus contraints à l’être et notamment avec les réglementations européennes que nous devons expliquer.
Lorsqu’en 2009, les entreprises qui étaient dans le commerce électronique se sont lancées dans la prestation de services financiers, certaines ne se rendaient pas compte de l’impact que la réglementation du secteur financier pourrait avoir sur leur activité. A l’époque aussi nous endossions déjà ce rôle en expliquant à ces professionnelles les impacts que la loi relative aux services de paiements aura sur leur activité.
Quel est l’impact des FinTech sur le secteur bancaire et est-ce qu’il y a une concurrence?
Dans le FinTech vous avez à la fois des startups qui développent un nouveau produit ou service financier et qui de ce fait, entrent en concurrence directe avec les acteurs traditionnels du secteur financier. Mais vous y retrouvez également des sociétés qui développent des solutions technologiques qui pourront ensuite être adoptées et intégrées par les professionnels du secteur financiers afin d’améliorer leurs services. Donc certes, une certaine concurrence existe mais les acteurs traditionnels du secteur financier profitent également pleinement de cette évolution en améliorant leur prestation de services. De plus je considère qu’un certain niveau de concurrence est toujours sain dans un marché. Nous avons assisté à des réactions similaires avec l’adoption de la directive relative aux services de paiement.
Il y aura du changement mais les activités bancaires ne seront certainement pas supprimées pour autant.
Le marché des FinTech est évolutif, cette rapidité pose-t-elle plus de difficultés dans les contrôles?
Cela fait depuis les années 2000 que les technologies financières coexistent avec le domaine bancaire via le commerce électronique. Lorsque je compare la mise en place des services de paiements de 2007 et ce qui se passe aujourd’hui, l’évolution va de plus en plus vite.
Le chalenge pour la CSSF, c’est de rester à jour en permanence afin de pouvoir traiter les dossiers dans ce domaine. L’avantage d’accompagner ces dossiers depuis leur début facilite également leur contrôle. Et ceci est important car dans le domaine des FinTech tout va très vite, il y a quelques mois encore, personne ne parlait de RegTech alors qu’aujourd’hui cela semble être la nouvelle tendance par exemple.
Je pense que certaines des nouvelles technologies viendront un jour remplacer les anciens modèles. Nous aurons moins d’intermédiations et plus d’acteurs autour des utilisateurs, des banques, des investisseurs et des clients.
Nous assistons actuellement à un changement dans l’écosystème financier. JuB