Itinéraire d’un champion adoré
Le regard concentré sur l’ascension de Balès, les jambes puissantes et le mouvement élégant qui rappelle presque une danseuse étoile. Puis, un saut de chaîne, un ralentissement de l’élan et l’attaque d’un toréador survitaminé qui lui ravit la victoire. Tel aurait pu être le souvenir cauchemardesque de cette quinzième étape du Tour de France de 2010. Portrait d’une légende luxembourgeoise qui ne regrette rien.
Une enfance prédestinée
De son enfance, Andy Schleck se souvient surtout de la nature du sud-est luxembourgeois et de ses paysages forestiers où il aimait se réfugier, des jeux dans le jardin familial à Mondorf-les-Bains et du sport qu’il pratiquait déjà très tôt. Football, tennis et six ans de hockey sur glace plus tard, il choisit le vélo.
Il faut dire que l’environnement familial le prédestinait à la petite reine. Son grand-père avait eu un magasin de bicyclettes en 1920 avant de faire de la compétition dans les années 30. Son père était un ancien coureur professionnel qui compte huit Tours de France à l’époque du grand Eddy Merckx. Bien évidemment, il y a aussi ses deux frères, Steve l’aînée (qui n’est jamais passé professionnel) et Frank; «je profitais des vélos utilisés par mes grand-frères», se souvient-il d’un sourire nostalgique. Durant les vacances d’été, ses parents l’emmènent souvent sur les étapes du tour et les odeurs de l’asphalte, les visages marqués par la douleur et l’effervescence du public s’entremêlent dans les rêves du petit garçon. La petite reine créatrice de tous les fantasmes, élabore doucement les ambitions inconscientes d’un futur grand champion.
Le père travaille beaucoup et les valeurs de la famille Schleck sont celles d’une famille modeste. Andy gagne toutes les courses au niveau national et rêve du monde professionnel comme l’on rêve de devenir James Bond. À la coupe du monde, il remarque néanmoins qu’il porte le smoking aussi bien que les coureurs des grandes nations cyclistes. Il se laisse quatre ans pour devenir professionnel, «le temps de finir mon bac» parce qu’on ne badine pas avec les études chez les parents Schleck. Deux mois plus tard, à ses 18 ans, il gagne la “Flèche du Sud“ qui est renommée à l’international et passe professionnel.
Le monde pro
Avec son mètre 86 et ses 68 kilos, il est un excellent grimpeur qui allie puissance et endurance. Il est doté de grandes facultés de récupération avec des paramètres physiologiques et des valeurs sanguines naturellement favorables et son cœur au-dessous des 30 pulsations par minutes au repos, reste inéluctablement celui d’un grand champion.
À la question du souvenir le plus marquant du tour, il cite sa victoire dans le Galibier et le podium partagé avec son frère. Il est de la trempe d’un Laurent Fignon, d’un Poulidor ou d’un Charly Gaul; il est de ces coureurs qui sont tout aussi attachés aux victoires qu’aux amitiés d’un tour. Tel un Zidane ou un Mohammed Ali, l’élégance du geste est toujours au service de l’efficacité et c’est peut-être la raison pour laquelle il avait le sourire lorsqu’il grimpait les cols. La souffrance était présente dans chaque fibre musculaire, dans chacune de ses articulations mais pas dans son esprit. On retrouve cette élégance dans son comportement dans la compétition mais aussi en dehors. Lorsqu’il a eu son saut de chaîne, il a été le premier à demander aux journalistes d’arrêter de “cracher“ sur Contador, même pour le dopage de l’espagnol, même pour celui d’Armstrong. Il lui en veut de l’avoir attaqué, de ne pas avoir continué de rouler normalement, il lui en veut de s’être dopé et de lui avoir volé des souvenirs qui lui revenaient de droit (celui du podium sur les Champs-Elysées entre autres), mais il se refuse de participer à l’acharnement de la meute médiatique. Avec le temps, il a trouvé le sentiment d’avoir gagné le Tour de France 2010 et «les honneurs que j’ai reçus du président de la République à l’Elysée» y sont certainement pour quelque chose, lui reste les souvenirs de deux belles victoires d’étapes sur ce tour.
Si son compatriote Charly Gaul, celui qu’on surnommait “l’ange de la montagne“ a été sacré le sportif du siècle en 1999, c’est parce qu’il représentait bien plus que des victoires. Il avait permis à tout un peuple, d’oublier les atrocités de la Seconde Guerre mondiale et de retrouver une dignité perdue. Tous les sportifs susmentionnés ont en commun d’avoir une popularité naturelle, presque instinctive avec le public. Ce même public n’oublie pas les barrières de sécurités et les quatre gardes du corps qui le séparaient d’Amstrong lorsqu’il s’échauffait sur son rouleau, lorsqu’on pouvait presque taper sur l’épaule du luxembourgeois. Car c’est là l’âme du cyclisme: un sport populaire qui relève d’une simplicité résolument opposée à l’extravagance hollywoodienne et Andy Schleck incarne l’image du champion proche des gens.
On se souvient aussi de l’émotion qui l’étreint durant la conférence de presse qui annonce la fin de sa carrière à 29 ans. Après trois ans de blessures à répétition, son genou trop faible ne pouvait plus soutenir ses envies de retour. Peu de sportifs de haut niveau restent dans leur région natale y préférant le glamour des hôtels de luxe et les lumières de boites de nuit; Andy a choisi de rester là où il se sentait le mieux, c’est-à-dire chez lui.
Nouveau départ
Il aurait pu être attiré par les strass et paillettes de la télévision et devenir consultant. Il est aisé pour un ex-champion à la popularité assurée de trouver une activité très bien rémunérée mais cela aurait été trop facile. Il lui fallait un autre défi audacieux à relever.
Il retourne sur les traces de son aïeul en ouvrant avec son beau-père, un magasin de vélo unique en Grande-Région. “Andy Schleck Cycles“ est le seul magasin de vélo au monde à proposer un financement sur quatre ans avec l’entretien gratuit. Il offre également un service à domicile, «on passe prendre votre vélo chez vous et on vous le ramène révisé par nos mécaniciens professionnels en 24 heures». L’ancien coureur y voit beaucoup de parallèle avec son ancienne activité car avec trois mécaniciens, un vendeur, son épouse à la gérance, son beau-père et lui-même, cela fait un effectif de sept personnes à gérer. «Tout comme dans un peloton, il faut prendre les bonnes décisions» et il a réussi à compenser la crainte de l’échec par un travail acharné, de la gestion à l’encodage en passant par le choix des produits proposés.
«Je veux continuer de partager ma passion» et son engagement personnel pour la promotion du vélo le motive à s’occuper bénévolement d’enfants deux fois par semaine et a travailler avec la Croix-Rouge pour aider les réfugiés, «cela me procure une joie incommensurable», s’explique-t-il.
Il est de ceux qui ne souhaitent rien oublier, ni le vol d’une victoire, ni même les mois douloureux qui ont suivi sa chute, «cela fait partie de ma vie». Il regrette l’effervescence des courses, les amitiés du peloton et la joie des victoires mais certainement pas la dureté des entraînements. Il continue de faire du vélo, à raison de trois fois par semaine mais ne souhaite plus faire de col. De toute façon il les a déjà tous fait. Pour le reste, l’ex professionnel devenu chef d’entreprise se dit heureux de sa reconversion et si l’on peut juger de la réussite d’une vie à la satisfaction que l’on ressent en regardant dans le rétroviseur de nos souvenirs, le trentenaire peut être fier de cette première partie. En tout cas, on l’est pour lui.