La transformation digitale du Luxembourg et de son secteur public – Statut
La transformation digitale du pays est un enjeu crucial pour le Grand-Duché, particulièrement s’il désire développer sa compétitivité, renforcer sa diversité économique et attirer davantage d’entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC). «Ce n’est donc pas un hasard si le Premier ministre est également le ministre des Communications et des Médias». Pierre Mangers, responsable du secteur public chez EY revient sur l’impact du numérique sur le fonctionnement du Luxembourg et de son secteur public. Interview.
Quels sont les domaines dans lesquels le numérique est ou peut être encore introduit?
C’est une technologie d’usage général qui pénètre tous les aspects de la politique publique des citoyens, des entreprises et des administrations. Je ne citerai que sept domaines d’applications. Ainsi le numérique s’introduit déjà dans la mobilité du transport public (1) comme par exemple la diffusion du temps d’arrivée des bus sur smartphones. Dans la santé (2), des exemples observés incluent la télésurveillance, la téléconsultation ou la mutualisation des données médicales des laboratoires d’analyse. L’éducation (3) avec l’apparition des universités digitales offrant des cours en ligne (MOOC: Massive Open On-line Courses). Je pense également à la vie quotidienne (4) en observant des bracelets numériques à même de mesurer la forme physique de ses détenteurs. N’oublions pas l’économie réelle (5) où les entreprises profitent pleinement des gains des technologies numériques, permettant ainsi d’automatiser davantage leurs processus transactionnels et de raccourcir le cycle d’innovation. Le domaine de l’environnement (6) est particulièrement intéressant pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Enfin, l’administration publique (7) dématérialise de plus en plus ses activités dans ses échanges avec les citoyens et les entreprises. Le numérique déclenche un gain de productivité grâce à l’accélération de la simplification administrative entre les administrations et leurs requérants, les citoyens et les entreprises.
Où se place le Luxembourg dans ce processus?
Selon le dernier rapport émis par la Commission européenne (DG CNECT), le Luxembourg se classe en 2015, et ce comparativement à 2014, en dixième place des 28 pays Etats membres de l’Union européenne (UE) sur l’indice relatif à l’économie et à la société numérique. Cet indicateur regroupe un ensemble de cinq piliers incluant la connectivité (1), le capital humain (2), l’utilisation de l’internet (3), l’intégration des technologies numériques (4) et les services publics numériques (5).
Consécutivement aux investissements infrastructurels consentis par notre pays, ce dernier se positionne en 4ème place en termes de connectivité (1) et de capital humain (2) avec 97% des habitants internautes et 86% possédant des compétences numériques de base. Cependant, environ 60% des entreprises à la recherche des experts en TIC rencontrent des difficultés à trouver des talents en raison du nombre insuffisant de diplômés en sciences naturelles, ingénierie, informatique et mathématiques; un défi que le Ministère de l’Education nationale a relevé avec sa stratégie «digital4Education» visant à former les enseignants et les jeunes à l’appropriation des avantages et risques de la société numérique dans la vie quotidienne et sur le lieu de travail.
Egalement à noter, le pays se place à la 4ème place parmi les 28 pays de l’UE en termes de taux d’utilisation d’internet (3). Cependant, il occupe la 21ème place sur l’intégration des technologies numériques (4) par les entreprises, avec un recul du commerce électronique des PME.
Au niveau des services publics numériques (5), le pays affiche seulement la 22ème place parmi les 28 pays membres de l’UE. Le pays a réalisé un effort considérable pour créer des services administratifs en ligne. Il faudra poursuivre ces efforts et faire évoluer, selon la CE, le préremplissage des formulaires pour lesquels le pays compte seulement 20 sur 100 points alors que la moyenne de l’UE est de 49 points.
Un mot sur les premiers de la classe?
En 2015, le Danemark était le 1erpays parmi les 28 pays membres de l’UE, un pays qui montre une très grande appétence des services en ligne. Il a créé une panoplie de services de bout-en-bout entre le requérant et l’administration. Ainsi, chaque citoyen danois peut choisir par quel canal (sms, courrier électronique, médias sociaux) il souhaite recevoir certaines informations administratives, comme la date d’échéance de sa carte d’identité par exemple. Pour cette même carte, chaque citoyen accède à un formulaire de renouvellement en ligne déjà pré-rempli avec ses données personnelles, et qu’il peut signer via son téléphone mobile. Sa nouvelle pièce d’identité lui est ensuite expédiée à son adresse. Il ne s’agit pas uniquement d’être présent sur le web mais bien de communiquer l’état d’avancement des demandes individuelles des citoyens.
Mais sachez que l’Estonie vient tout fraîchement de détrôner le Danemark en tant que champion européen des services publics numériques. Ce pays excelle notamment au niveau de l’utilisation des services d’e-gouvernement permettant à 80% des internautes d’envoyer des formulaires administratifs en ligne (32% étant la moyenne européenne). L’Estonie est surtout connue pour l’implémentation du principe «une saisie d’information suffit» en vue de simplifier la vie de ses citoyens et entreprises. L’approche de mettre l’utilisateur dans le centre de mire de sa stratégie digitale s’est déjà rentabilisée pour le gouvernement estonien, car 95% des déclarations d’impôts ont été enregistrées sous forme électronique en 2013.
Les premiers de la classe digitale pourraient tout-à-fait inspirer notre pays à évoluer en tant que «digital leader» et à acquérir le même niveau de performance dans les piliers que sont l’intégration des technologies numériques et des services publics numériques, au même titre que dans la connectivité, le capital humain et l’utilisation de l’internet. Propos recueillis par Julien Brun