Secteurs public et privé: les fondamentaux pour une bonne gestion des compétences managériales
Selon Pierre Mangers, responsable du secteur public et du conseil aux PMEs auprès d’EY Luxembourg, la question cruciale de la gestion des compétences managériales en appelle une autre, tout aussi importante, celle de la gestion du succès, et des échecs, qui nous font grandir.
Le succès, dans le secteur privé, est souvent mesuré, entre autres, par la croissance du chiffre d’affaires ou de la clientèle, une réduction des coûts, une augmentation de part de marché. Ces indicateurs sont directement ou indirectement liés à la rentabilité économique de l’entreprise. Ils sont en grande partie quantitatifs. Dans le secteur public, les indicateurs sont plutôt qualitatifs, le succès étant défini comme une contribution sociétale plus difficilement mesurable.
Le défi majeur réside dans la perspective du succès dans une entreprise indépendamment du secteur privé ou public. Cette perspective prend en compte plusieurs éléments fondamentaux: le développement individuel, la performance d’une équipe, la transformation organisationnelle et la modernisation sociétale allant bien au-delà de la gestion des ressources humaines.
Les relations de travail, tout d’abord, constituent une des raisons d’échec ou de succès dans le monde du travail. En effet, un dirigeant agréable et ouvert n’aura aucun mal à tisser des relations et à travailler avec ses collaborateurs. Un deuxième point essentiel réside dans l’apprentissage de ses propres expériences et la remise en question. La culture, l’éducation et le vécu jouent incontestablement un rôle dans ce domaine. Enfin, le troisième est l’aptitude de mener une équipe, la motiver et la gérer.
En dépit de tous les problèmes que l’on peut imaginer, «l’administration ou l’entreprise tient le bon cap» si la personne à la tête de cette entité possède les trois qualités précitées. Le corollaire de cette observation est de ce fait le suivant: «réformer l’Etat ou restructurer une entreprise implique soit un « management du changement » en doses variables ou un « changement du management », tout au moins en partie, voire une combinaison des deux», confie Pierre Mangers.
L’exemple scandinave
La réforme de la fonction publique est entrée en vigueur le premier octobre, introduisant, entre autres, une procédure d’appréciation du personnel basée sur une gestion par objectifs. Dans une première phase, chaque responsable d’administration est invité à évaluer les travaux réalisés à tous les postes à responsabilité en misant sur les objectifs préalablement fixés.
«Cette initiative a une grande importance. Elle permet notamment aux fonctionnaires de tous niveaux de se remettre en question et de continuer leur développement individuel».
Dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, cette procédure d’évaluation est déjà très avancée dans le secteur public car elle intègre de façon continue le citoyen dans l’appréciation du service rendu, notamment via des guichets uniques, où l’avis externe est publiquement disponible. La qualité de l’échange y est primordiale. Les collaborateurs «gèrent» intelligemment leurs relations avec les citoyens et avec leur hiérarchie et ne sont dans ce cas pas «contrôlés» communément par leurs supérieurs. Pierre Mangers donne un exemple: «Si un collaborateur rend compte à son supérieur, ce n’est pas par politesse ou pour obtenir l’aval de ce dernier, mais parce que l’information s’avère utile et nécessaire pour prendre une décision permettant d’améliorer la qualité du service rendu au citoyen».
L’Etat luxembourgeois a de nouveau sollicité, au travers d’une enquête très récente, l’avis des citoyens sur la qualité des services publics. Cette sollicitation n’a cependant pas de lien direct avec la procédure d’appréciation comme dans les pays scandinaves ou aux Pays-Bas.
Au niveau culturel, le terme responsabilité a, dans ces pays, une autre signification que chez nous. «Ils croient en la responsabilité de chacun pour gérer leur propre carrière, autant dans le privé que dans le public». Le chef a donc un autre rôle. «Ce même chef est moins un superviseur qui contrôle que le travail soit fait, qu’un mentor qui aide son collaborateur à organiser sa carrière et ses objectifs. Le modèle scandinave est différent». Au leader du secteur public d’ajouter: «Ils privilégient davantage la mixité hommes/femmes. L’équilibre est mieux respecté à la fois dans le secteur public et privé».
Investir dans l’intelligence émotionnelle
Durant ces cinq dernières années, L’Etat luxembourgeois a commencé à investir dans le développement de son personnel et aspire à progresser dans cette voie. Mais cet investissement ne doit pas seulement se faire au niveau procédural et technologique, via par exemple des procédures d’appréciation, plans de formation, inventaires des compétences, dispositifs informatiques. Pour Pierre Mangers, investir dans l’intelligence émotionnelle est essentiel. «Nous devons considérer l’être humain dans son ensemble et privilégier les échanges entre le responsable et son collaborateur. Un supérieur hiérarchique doit identifier les aspirations de ses collaborateurs et ce que l’entreprise ou l’administration peut leur offrir. Un compromis intelligent peut ensuite être trouvé», explique-t-il.
Dans le passé, la gestion du personnel a souvent été déléguée en trop grande partie à un chef du personnel, estime Pierre Mangers. «Ce dernier peut être un administrateur des outils de gestion des ressources humaines.
Il gère les congés, les fiches de salaire, les plans de formation par exemple. Cependant, une intelligence dite « émotionnelle » doit venir du chef de département, mais également de ses collaborateurs. Ils doivent être formés pour comprendre quelle est leur contribution pour renouer, redévelopper une relation avec leur supérieur». Un changement de mentalité dans le secteur public pour répondre à ceux qui ont envie de s’investir et reconnaître leurs efforts est de ce fait primordial.
Selon un sondage réalisé en 2014 dans les entreprises allemandes, 15% des employés sont très engagés et s’identifient à leur entreprise. 15% sont au contraire totalement désengagés. 70% des individus interviewés accomplissent le travail qu’on leur demande, mais sans surplus. «C’est entre autres dans ce cas de figure que l’intervention d’un prestataire de conseil externe peut être bénéfique, afin d’augmenter la part des personnes motivées. Le but est de créer une relation constructive entre le collaborateur et son supérieur, une relation orientée vers une contribution mutuelle. Sans véritable engagement du personnel, aucun dirigeant ne peut atteindre ses objectifs», expose Pierre Mangers.
Poser la bonne question au bon moment
«Au cours du processus d’analyse et d’identification des forces et faiblesses d’une entreprise ou d’une administration, en vue d’un déploiement de mesures d’accompagnement et d’amélioration, il est essentiel de se poser les bonnes questions au bon moment et de ne pas se fier aux premières apparences», explique Pierre Mangers.
«Dans le cas où une hausse de l’absentéisme est à déplorer, il est important d’en déterminer les raisons. Bien souvent la recherche de valorisation par un supérieur en est la cause.
Un responsable hiérarchique doit donner envie à son personnel de s’investir davantage. Au-delà des compétences techniques, la possession d’outils fondamentaux en matière de compétences managériales constitue une clé de voûte du succès. Savoir gérer une relation de travail, être capable d’apprendre de ses propres expériences et savoir mener des équipes est incontournable», conclut-il.
Propos recueillis par Cynthia Deschamps, journaliste
Source photo: EY