L’artisanat se structure autour de la formation

Montaigne disait déjà en son temps qu’il avait vu «cent artisans plus sages et plus heureux que des recteurs d’université», et pourtant de nombreux stéréotypes continuent à véhiculer une image plutôt négative d’un secteur qui est le plus grand employeur du pays. Tom Wirion, Directeur Général et Président du Comité de Direction de la Chambre des Métiers, bouscule les idées reçues.
Pouvez-vous revenir brièvement sur les missions de la Chambre des Métiers?
C’est une institution publique à base élective. Les élus des différents secteurs d’activités de l’artisanat siègent dans cette chambre professionnelle et œuvrent dans l’intérêt des
artisans.
L’une de nos missions est de faire en sorte que l’environnement professionnel dans lequel évoluent les entreprises soit le plus propice à leur développement et à l’embauche de collaborateurs de plus en plus qualifiés. La formation constitue pour cela un enjeu crucial et la chambre est très engagée dans l’apprentissage, le brevet de maîtrise ou encore dans la formation continue.
Comment peut-on expliquer un manque de main-d’œuvre dans un secteur qui connaît une croissance annuelle constante depuis plusieurs années?
L’artisanat a toujours créé de l’emploi et cela même en temps de crise mais il est vrai que de nombreux métiers connaissent des difficultés pour trouver des salariés qualifiés. Nous pouvons l’expliquer à travers plusieurs facteurs mais celui de l’image est primordial. En effet, de nombreux stéréotypes continuent à alimenter le fantasme d’un travail de bureau plus attractif qu’un métier technique et manuel. L’artisanat est encore trop souvent un second choix chez les jeunes qui ont échoué dans d’autres filières de formation et qui ont connu une «orientation» par l’échec. Ce problème d’orientation engendre alors un manque de motivation.
De nos jours, ce secteur qu’on dit injustement «vieillot et dégradant» offre des perspectives de carrière qui répondent à des défis techniques et technologiques passionnants. Le domaine de la construction implique par exemple les maisons passives, l’assainissement, l’installation du photovoltaïque et des énergies renouvelables. Qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire, de la mode, de la santé ou encore de bien d’autres domaines, de nombreuses règles viennent structurer ces secteurs de sorte qu’en même temps que le savoir-faire requiert de plus en plus de compétences techniques, il nécessite également des capacités intellectuelles de plus en plus importantes. Nous avons des systèmes de formation analogues à ceux de l’Allemagne et pourtant le statut de l’artisan ici, ne jouit pas de la bonne image d’outre-Rhin.
Justement, quelles sont vos actions concrètes pour changer cette image plutôt négative?
Nous avons lancé une vaste campagne de promotion sous la marque ”Hands Up” afin de contrer les idées reçues et notamment auprès des plus jeunes et de leurs parents.
Le but étant d’interagir à travers les supports du web tels que les réseaux sociaux et le monde de la vidéo. Un concours est actuellement lancé et une remise de prix aura lieu le 24 septembre à Utopolis qui  récompensera la meilleure vidéo promotionnelle avec un chèque de 10.000 euros.
Les actions sur le terrain restent pour autant primordiales et nous agissons régulièrement dans les lycées techniques et professionnels pour faire bouger les mentalités.
Et pour ce qui est de l’orientation, quelles sont vos propositions?
Alors que certains métiers connaissent un grand succès de demandes d’apprentissages, d’autres au contraire peinent à trouver des jeunes motivés et nous cherchons des solutions pour résoudre ce déséquilibre.
Nous avons proposé d’introduire un test d’aptitudes dès la 9e afin de mettre ces talents au service de secteurs d’activités en manque d’employés. C’est un outil qui peut, en très peu de temps, participer à améliorer l’orientation et à faire réduire le chômage.
De plus, l’indemnité d’apprentissage est encore trop peu attractive comparée au salaire social minimum (SSM). Dans ce contexte, la Chambre des Métiers a proposé un modèle qui prévoit un relèvement des indemnités à hauteur du SSM, la différence entre l’indemnité et le SSM étant prise en charge par l’Etat. Le but de ce modèle est d’inciter les jeunes à opter pour un apprentissage artisanal, meilleur vaccin contre le chômage, et d’amoindrir à moyen terme le risque d’alourdir les chiffres de l’ADEM.
L’artisanat est-il un secteur traditionnel ou moderne?
L’artisanat se structure autour de la formation. La «Carrière Artisanat» est agencée sur le modèle suivant: diplôme d’aptitudes professionnelles (DAP), brevet de maîtrise (BdM), création d’entreprise, formation d’apprentis, formation continue, études supérieures. C’est l’un des derniers secteurs qui est réellement structuré au Luxembourg et cela lui confère une stabilité qui le rend plus résistant aux failles que connaissent d’autres secteurs économiques. L’artisan s’inscrit dans l’économie réelle et locale, avec des emplois enracinés. Il est devenu un acteur important du développement durable.
Tout en préservant la stabilité, cette structure doit cependant s’adapter aux défis actuels. La réforme de 2011 en matière de droit d’établissement en est un exemple, nous y avons fait un certain nombre d’ouvertures tout en maintenant un niveau élevé de qualification. La tradition et la modernité sont ainsi complémentaires et le dynamisme de 2014 qui a permis la création de 270 nouvelles entreprises nous pousse dans ce sens.
Pourquoi le brevet de maîtrise ne représente-t-il que dix pour cent des artisans?
Un projet pilote est en cours pour rendre le brevet de maîtrise encore plus attractif mais c’est une formation de trois à quatre ans et cela représente une charge importante pour ceux qui travaillent déjà. Nous avons un total de 35 brevets dans un pays de 550.000 habitants, c’est autant que l’Allemagne qui a
80 millions d’habitants. Il est prévu de réduire ce nombre à une quinzaine en les regroupant par familles de métiers et en gagnant ainsi à la fois en qualité et en rentabilité. Dans ce contexte, un projet pilote va démarrer dès la rentrée.